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Le droit canadien des brevets : un conseil évalue la brevetabilité tandis qu’une cour évalue la validité

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Pablo Tseng, Keith Bird Tilaye Terrefe Et Hugo Mak

2025-07-22 11:15:05

Focus sur une récente décision rendue en vertu de la Loi sur les brevets.

Pablo Tseng,Tilaye Terrefe et Hugo Mak - Source : McMillan

Dans la récente décision Zacon Limited v Provincial Doors Inc. et al, 2025 ONSC 2954 (la « Décision de la Cour »), la Cour supérieure de justice de l’Ontario (la « Cour ») a conclu que, en vertu de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4 (la « Loi »), la décision d’un conseil de réexamen sur la brevetabilité d’un brevet « n’usurpe pas » la capacité d’une cour à déterminer la validité du même brevet.

Contexte

En octobre 2006, le brevet canadien nº 2,348,348 intitulé « Portes de ventilation equilibrees » (le « Brevet ’348 ») a été délivré à Zacon Limited (« Zacon »). En 2019, Zacon a intenté une action en contrefaçon de brevet devant la Cour (l’« Action ») contre, entre autres, Provincial Doors Inc. (« Provincial ») et Pretium Resources Inc. (« Pretium »). En réponse, Provincial et Pretium ont toutes deux fait valoir des moyens de défense affirmative selon lesquels le Brevet ’348 était invalide pour des motifs d’antériorité et d’évidence (les « Moyens de défense affirmative »).

En mai 2021, et conformément à l’article 48.1 de la Loi, Provincial a demandé au commissaire aux brevets de réexaminer le Brevet ’348 au motif que certains documents lui étaient antérieurs et/ou le rendaient évident (la « Demande »). Suivant les directives du commissaire aux brevets, un conseil de réexamen (le « Conseil ») a été constitué pour traiter la Demande. Le Conseil a déterminé que la demande n’a soulevé aucun nouveau point relativement à la brevetabilité qui n’a pas été examiné précédemment au cours de la poursuite relative au Brevet ’348. Par conséquent, il n’y aurait pas de réexamen du Brevet ’348 (la « Décision du Conseil »).

Au vu de la Décision du Conseil, Zacon a déposé une requête en vertu de la règle 25.11 des Règles de procédure civile en Ontario, affirmant que : i) les Moyens de défense affirmative étaient identiques aux allégations faites dans la Demande au commissaire aux brevets; et ii) puisque la Décision du Conseil était finale et sans appel, permettre aux Moyens de défense affirmative d’être plaidés devant la cour (et dans l’Action) ferait double emploi avec la Demande et constituerait donc un recours abusif au tribunal. Zacon a ajouté qu’un tel double emploi pourrait donner lieu à des résultats incohérents et équivaudrait à une révision de facto de la Décision du Conseil, malgré le caractère définitif de cette décision.

En réponse, Provincial et Pretium ont notamment fait valoir les arguments suivants :

  • la Demande ne portait pas sur la validité du Brevet ’348, mais plutôt sur sa brevetabilité;
  • les conditions pour que s’applique la préclusion pour même question en litige ou le principe de la chose jugée n’ont pas été remplies puisque les défendeurs dans l’Action n’étaient pas tous parties à la Demande.

Réexamen d’un brevet et contestation de la validité d’un brevet

L’article 48.1 de la Loi prévoit que chacun peut demander le réexamen de toute revendication d’un brevet sur dépôt, auprès du commissaire aux brevets, d’un dossier d’antériorité constitué de brevets, de demandes de brevet accessibles au public et d’imprimés, sur paiement des taxes réglementaires. Dès réception d’une telle demande, le commissaire aux brevets constitue un conseil de réexamen dont le mandat est de décider si la demande soulève ou non un nouveau point de fond relativement à la brevetabilité des revendications du brevet en cause. En cas de décision positive, le conseil de réexamen réexaminera les revendications du brevet. En cas de décision négative, le conseil de réexamen en informe la personne qui a déposé la demande et refuse de réexaminer les revendications du brevet.

En général, il y a deux façons de contester la validité d’un brevet. En vertu de l’article 59 de la Loi, le défendeur dans une action en contrefaçon peut invoquer, en défense, tout fait ou manquement susceptible de rendre le brevet invalide. Dans un tel cas, la décision de la cour quant à la validité ne lierait que les parties à la procédure. En vertu de l’article 60 de la Loi, toute personne intéressée peut intenter une action devant la Cour fédérale contre le breveté pour faire déclarer le brevet invalide. Dans un tel cas, la décision de la cour quant à la validité serait exécutoire en général.

Analyse

La Cour a estimé que la question qui lui était présentée dans cette requête était différente de celle qui avait été soumise au Conseil. Plus particulièrement, elle a formulé en ces termes les questions dont elle et le Conseil ont été saisis :

En ce qui concerne la question soumise au Conseil, la Cour a noté que le Conseil devait décider (traduction) « si les documents soumis par Provincial présentaient une question relative à la validité d’une ou de plusieurs revendications qui n’avait pas été prise en compte auparavant au cours de la poursuite relative au brevet ». En répondant à la question qui lui était posée, le Conseil a en fin de compte estimé que les défauts du dossier d’antériorité allégués par Provincial étaient identiques ou très similaires à ceux soulevés par l’examinateur des brevets dans le cadre de la poursuite relative au Brevet ’348 et qu’ils ne soulevaient pas un nouveau point de fond relativement à la brevetabilité. Il a donc refusé de réexaminer le Brevet ’348.

En ce qui concerne la question soumise à la Cour, cette dernière a noté qu’elle devait déterminer si les défauts du dossier d’antériorité allégués dans l’Action, qui étaient les mêmes que ceux allégués par Provincial dans la Demande, ainsi que d’autres défauts pris en compte par l’examinateur, rendaient le brevet invalide.

La Cour a rejeté la requête de Zacon, au motif que (traduction) « lorsqu’une demande de réexamen est rejetée au motif qu’elle ne soulève aucun nouveau point de fond, cela ne signifie certainement pas que la décision de l’examinateur initial est infaillible et incontestable. Dans un même ordre d’idée, lorsqu’un conseil de réexamen confirme, compte tenu d’un nouveau point de fond soulevé, que toutes les revendications du brevet sont brevetables, cela n’usurpe certainement pas la capacité de la cour à déterminer la validité du brevet. »

Points à retenir

La Décision de la Cour permet de tirer les enseignements suivants :

Les procédures d’examen et de réexamen sont spécifiquement axées sur la question de la brevetabilité.

Conformément à la décision de la Cour :

L’article 86 des Règles sur les brevets (DORS/2019-251) (les «Règles »), exige que l’examinateur détermine s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’une demande de brevet est conforme à la Loi et aux Règles.

L’article 48.2 de la Loi exige que le Conseil de réexamen détermine « si la demande soulève un nouveau point de fond relativement à la brevetabilité».

Selon la Loi, la question de la validité d’un brevet délivré est du ressort de la cour. Conformément à la décision de la Cour :

L’article 59 de la Loi prévoit que, dans toute action en contrefaçon de brevet, le défendeur peut invoquer comme moyen de défense tout fait ou manquement qui, d’après la Loi ou en droit, entraîne la nullité du brevet.

L’article 60 prévoit que toute personne intéressée peut demander à la Cour fédérale de déclarer qu’un brevet est nul.

Lorsqu’une demande de réexamen est rejetée au motif qu’elle ne soulève aucun nouveau point de fond, cela ne signifie certainement pas que la décision de l’examinateur initial est infaillible et incontestable.

Lorsqu’un conseil de réexamen confirme, compte tenu d’un nouveau point de fond soulevé, que toutes les revendications du brevet sont brevetables, cela n’usurpe pas la capacité de la cour de déterminer la validité du brevet.

Le fait pour les défendeurs d’invoquer une invalidité comme moyen de défense dans le cadre d’une procédure judiciaire ne constitue pas un abus de procédure.

Il convient de noter qu’un breveté peut proposer des modifications de revendications ou de nouvelles revendications dans le cadre d’une procédure de réexamen, à condition que les modifications proposées n’élargissent pas la portée d’une revendication du brevet. En revanche, la validité d’un brevet relève de la compétence de la cour et, contrairement à une procédure de réexamen, la procédure judiciaire n’offre pas au breveté la possibilité de modifier le brevet.

À propos des auteurs

Pablo Tseng est un avocat chevronné dans le domaine de la propriété intellectuelle au sein du cabinet McMillan

Keith Bird possède une vaste expérience en matière de droit de la propriété intellectuelle chez McMillan.

Tilaye Terrefe rédige et dépose des demandes de brevet, et en fait le suivi, pour le compte de clients divers, allant d’entreprises en démarrage à des multinationales chez McMillan.

Hugo Mak est étudiant en droit chez McMillan.

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