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Une première modernisation du droit fédéral de l’environnement

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Marilou Dostie-nicol

2023-08-03 11:15:00

Focus sur le projet de loi S-5 qui vient renforcer le droit sur la protection de l'environnement…
Marilou Dostie-Nicol, l’auteure de cet article. Source: LinkedIn
Marilou Dostie-Nicol, l’auteure de cet article. Source: LinkedIn
L’instrument principal du droit canadien de l’environnement est la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) (LCPE). Adoptée en 1999, on y retrouve notamment des dispositions relatives à la prévention, aux substances toxiques ainsi qu’à la pollution et à la gestion des matières polluantes.

Son respect et son application sont soutenus par divers contrôles et recours, dont l’action en protection de l’environnement. Malgré ce rôle clé et l’évolution des connaissances en la matière, la LCPE n’a pas fait l’objet de refonte ou de mise à jour conséquente depuis son adoption.

Malgré l’absence d’un consensus sur les mesures à adopter, les citoyens, les entreprises et les organisations se sentent de plus en plus concernés par la question environnementale.

Après une première tentative en 2021, le Projet de loi S-5 : Loi sur le renforcement de la protection de l’environnement pour un Canada en santé (ci-après « Projet ») a franchi la dernière grande étape législative le 30 mai dernier en passant la troisième lecture à la Chambre des communes.

Dans cet article, nous nous limiterons à deux modifications qui relèvent davantage des droits environnementaux des justiciables, à savoir le droit à un environnement sain et le concept de « personne vulnérable », tels que rédigés en date des présentes. Nous terminerons par de brèves considérations constitutionnelles.

Le droit à un environnement sain Le droit à un environnement sain est ajouté au préambule du Projet ainsi qu’à la mission du gouvernement fédéral.

Son insertion en tête de la première partie de la LCPE témoigne de la volonté du législateur de mettre ce nouveau droit de l’avant. En introduisant le droit à un environnement sain en droit canadien, ce dernier répond à l’appel lancé par les Nations Unies en ce sens à l’été 2022.

Le Projet ne définit pas ce qu’est « le droit à un environnement sain » pas plus qu’il ne définit ce qu’est un « environnement sain ». Il prévoit en revanche un « cadre de mise en œuvre », dont l’élaboration reviendra au ministre de l’Environnement et au ministre de la Santé.

Nous avons cependant un aperçu de son contenu :

Contenu 

Conformément à l’objet de la présente loi, le cadre de mise en œuvre précise notamment les éléments suivants :

a) les principes à considérer dans l’exécution de la présente loi, tels que le principe de non-régression, le principe de l’équité intergénérationnelle et les principes de justice environnementale, l’un de ceux-ci étant la prévention des effets nocifs qui touchent de façon disproportionnée les populations vulnérables;

b) les recherches, études ou activités de surveillance visant à appuyer la protection du droit à un environnement sain visé à l’alinéa 2(1)a.‍2);

c) les limites raisonnables à ce droit qui découlent de la considération des facteurs pertinents, notamment sociaux, sanitaires, scientifiques et économiques;

d) les mécanismes visant à appuyer la protection de ce droit

Sous réserve du cadre de mise en œuvre à venir, nous pouvons formuler quelques observations. La première est que le droit à un environnement sain s’applique aux individus seulement puisque l’on parle du « droit de tout particulier ».

Les personnes morales et autres entités ne pourront donc pas se prévaloir de ce droit. Nous notons ensuite que, contrairement à son homologue québécois, le législateur fédéral a choisi d’insérer, à même la disposition, une pondération importante.

En effet, il sera pondéré par « des limites raisonnables ». Pour l’heure, nous ignorons quand et comment le cadre de mise en œuvre sera mis à jour ou modifié. En principe, l’adoption du principe de non-régression devrait assurer une certaine pérennité de l’orientation choisie par les ministres actuels en limitant la possibilité, pour les ministres subséquents, de diminuer la protection accordée.

Enfin, nous nous questionnons également sur la nature d’un éventuel recours basé sur ce droit ainsi que sur les conclusions possibles. Les citoyens pourront-ils invoquer ce droit pour faire cesser un projet? Obtenir des dommages? Y aura-t-il un volet punitif pour l’auteur de l’atteinte?

Pour l’heure, rien ne semble empêcher l’utilisation de l’injonction et le recours en dommages-intérêts actuellement prévus si leurs conditions d’ouvertures sont remplies.

Introduction du concept de « population vulnérable »

Le Projet est porteur de plusieurs modifications dans l’encadrement des substances toxiques, mais c’est l’introduction du concept de « population vulnérable » qui a retenu notre attention. Le gouvernement aura désormais l’obligation de protéger la santé des populations vulnérables, notamment en tenant compte de celles-ci dans l’évaluation de la toxicité des substances et de leurs effets cumulatifs.

Le Projet définit la population vulnérable comme un « groupe de particuliers au sein de la population du Canada qui, en raison d’une plus grande sensibilité ou exposition, peut courir un risque accru d’effets nocifs sur la santé découlant de l’exposition à des substances ».

Une plus grande sensibilité ou exposition peut découler de plusieurs sources, tels l’âge, l’existence de conditions médicales, de conditions sociaux-économiques défavorables, et l’emplacement géographique, etc.

Cet ajout reconnaît donc que nous ne sommes pas tous égaux devant les conséquences environnementales, que certains groupes sont disproportionnellement affectés par la dégradation de l’environnement.

Force est de constater toutefois que les notions de vulnérabilité et « d’effet cumulatif » sont plutôt subjectives et, faute de définition, laissent place à plusieurs interprétations et soulèveront peut-être des difficultés d’application.

Considérations constitutionnelles

Pour certains, une meilleure protection environnementale se traduit souvent en termes quantitatifs, soit une plus grande protection environnementale. Il n’est donc guère surprenant que le Projet élargisse la portée de la LCPE sur plusieurs aspects.

Ce faisant toutefois, le législateur fédéral doit demeurer dans son champ de compétence. Dans R. c. Hydro Québec, la Cour suprême a établi que : « la protection de l’environnement, au moyen d’interdictions concernant les substances toxiques, constitue un objectif public tout à fait légitime dans l’exercice de la compétence en matière de droit criminel ».

Dans le cas du Projet, une analyse plus approfondie est nécessaire afin de déterminer si l’élargissement des pouvoirs réglementaires du ministre aux produits, activités et plus généralement à la pollution constitue un empiètement sur la compétence des provinces en matière de propriétés et de droits civils.

Un commentaire similaire peut être fait à l’endroit du système de permis pour les substances toxiques que le Projet propose d’introduire.

Bien que des permis soient déjà prévus dans le texte actuel de la LCPE, ces derniers sont sporadiques et ne sont pas organisés en « système ». L’utilisation proposée par le Projet se rapproche davantage aux mécanisés municipaux et provinciaux de permis, soit un ensemble d’autorisations sujettes à conditions.

Ce rapprochement n’indique cependant pas, en lui-même, un excès de compétence, mais une telle règlementation concurrente pourrait être source de débats et de difficultés d’application, surtout en cas de conflits. Pour un exposé sur les considérations relatives à la Charte canadienne des droits et libertés, voir l’Énoncé concernant la Charte publié par le ministre de la Justice ici.

Commentaires et conclusions

La mise à jour de la LCPE était attendue. Le Projet inclut plusieurs changements notables, tant au niveau des principes que dans l’application sur le terrain. Cependant, certains soulignent que les engagements du gouvernement en matière de droits environnementaux manquent de clarté.

Par exemple, bien que la reconnaissance d’un droit à un environnement sain soit perçue comme une avancée par plusieurs, le manque de précision concernant ce droit donne aux auteurs du cadre de mise en œuvre un pouvoir discrétionnaire important.

De plus, des questions se posent sur les implications juridiques de l’inclusion des termes « limites raisonnables » dans la disposition. Certains pourraient déplorer de telles limitations préalables.

Dans un même ordre d’idées, l’engagement du gouvernement du Canada de mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones figure uniquement en préambule, ce qui lui donne peu d’effets juridiques directs. Elle peut toutefois avoir une certaine valeur interprétative.

Enfin, certains déploreront que le législateur n’ait pas saisi cette occasion pour introduire le principe de précaution comme l’a fait l’Union européenne depuis des années.

Cet article a été publié à l’origine sur le Blogue du CRL du Jeune Barreau de Montréal.

À propos de l’auteure

Marilou Dostie-Nicol est conseillère juridique pour Financement agricole Canada.

Avant ça, elle était avocate recherchiste au Ministère de la Justice du Québec.

Marilou Dostie-Nicol est diplômée d’un Master en droit des affaires de l’Université de Montréal.

1936
1 commentaire
  1. Lecteur attentif
    Lecteur attentif
    il y a 11 mois
    Merci
    Très intéressant et bien écrit, merci pour cet article sur un sujet majeur.

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