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Décès d'un combattant de la justice

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Didier Bert

2023-12-14 10:15:00

Un professeur de droit de l'Université de Sherbrooke est décédé. Qui était ce fervent défenseur de la justice?
René Turcotte n’est plus... Source: USherbrooke
René Turcotte n’est plus... Source: USherbrooke
René Turcotte s’est éteint à l'âge de 77 ans.

Natif de Johnville, René Turcotte aura enseigné à la faculté de droit de l'Université de Sherbrooke durant plus de 30 ans, de 1972 à 2003. Il menait des recherches sur le droit criminel et le droit pénal.

À la suite de sa carrière d’enseignant, il a continué d’exercer comme arbitre de griefs. Dans une entrevue accordée à La Tribune en 2005, René Turcotte expliquait avoir grandi sur une ferme au sein d’une famille de 13 enfants, puis avoir travaillé à l'entretien des rails entre Schefferville et Sept-Îles quand il était étudiant.

« Je rêvais d'être avocat. Je souffrais de voir certaines injustices. Je voulais être avocat pour combattre les injustices. Parce que je me souvenais d'avoir lu Bertolt Brecht. Il a écrit que l'injustice est humaine, mais que le combat contre l'injustice est encore plus humain. Ça m'avait marqué. Je suis donc devenu avocat. Je l'ai peu pratiqué, c'est vrai. Je voulais transmettre des connaissances. Quand on m'a offert de devenir professeur à la faculté de droit, j'ai accepté et je ne l'ai jamais regretté », détaillait-il dans l’entrevue.

Scandalisé par l’injustice

René Turcotte avait montré sa détermination à faire triompher la justice lors de la bataille juridique qui l’avait opposé à la Couronne dans l'affaire Dominique, au début des années 1990. Trois hommes reconnus coupables d'un viol contre une jeune fille avaient porté le jugement en appel. La Couronne avait alors demandé la réouverture de l'enquête. Mais la victime, à qui on avait prêté le nom de Dominique, avait refusé de vivre les affres d'un nouveau procès. La Couronne avait conclu à un arrêt des procédures contre les prévenus.

L'affaire avait scandalisé René Turcotte. Criant à l’injustice dans les médias, il a affirmé que la Couronne n'aurait pas dû agir ainsi. Durant un an et demi, il a réuni de la documentation jusqu'à dénoncer publiquement le procureur.

De son côté, le procureur a répliqué en poursuivant le professeur de droit en diffamation, réclamant 100 000 $.

« Cette histoire a causé un stress énorme à ma famille. Moi, le stress que je subissais, je me disais que ce n'était pas grave. Ce qu'avait subi la victime, ça, c'était grave. Je ne pouvais pas refaire le procès. Je n'étais pas le ministre de la Justice. Je ne pouvais pas l'ordonner. Par contre, je me disais que si je gagnais, la victime saurait que j'avais raison. Au moins quelqu'un se sera tenu debout pour une femme qui a été massacrée par le système », expliquait René Turcotte au quotidien estrien.

René Turcotte a fini par avoir gain de cause. La Cour supérieure a reconnu les interventions « quelque peu cavalières » du professeur, sans leur attribuer un caractère diffamatoire.

Un professeur engagé

Sur le plan universitaire, René Turcotte a dirigé des équipes étudiantes lors des procès interfacultaires et aux concours de plaidoirie intercanadiens Gale, Laskin et Pierre-Basile-Mignault.

Le professeur de droit s’est engagé dans les comités facultaires, ainsi que dans des activités syndicales.

En 1997, René Turcotte est nommé secrétaire général de l’Université de Sherbrooke pour un mandat de quatre ans. Mais il reste en fonction seulement neuf mois.

À ce poste, René Turcotte s'oppose au recteur Pierre Reid, joignant sa voix à des vices-recteurs et des doyens qui réclament la démission du recteur. Le conseil d'administration soutient le recteur, et René Turcotte perd son poste pour retourner à l’enseignement.

« Si j'avais à revivre ces événements, je ferais la même chose. Pourquoi? Parce que je suis un juriste et que j'ai fait le serment d'office de respecter la règle de droit. Je n'aurais donc pas d'autre choix que de refaire ce que j'ai fait, même si je me suis rendu compte, dans cette histoire, que tous les humains n'ont pas le même respect pour la règle de droit. Comme secrétaire général, j'étais le gardien des statuts de l'université. J'avais et j'ai toujours une absence totale de souplesse pour le non-respect des lois, des règlements et des statuts », martèle-t-il en entrevue.

Il a dirigé le Centre de Sherbrooke de l'École du barreau du Québec. Il a également siégé au Comité de formation professionnelle et au Comité de vérification du Barreau.

Outre ses activités d’enseignement, René Turcotte a été commissaire à la Commission des services juridiques, vice-président du conseil d'administration et membre de la corporation du Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke.

Par ailleurs, il a été conseiller juridique bénévole du Regroupement provincial des Centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS).

Josiane Turcotte et René Turcotte. Source: USherbrooke
Josiane Turcotte et René Turcotte. Source: USherbrooke
Engagé en politique

René Turcotte s'était engagé en politique. En 1994, il est le candidat du Parti québécois dans le comté de Saint-François. Il perd en obtenant près de 42 % des votes face à Monique Gagnon-Tremblay, qui aura été réélue sans discontinuer de 1985 à 2012.

René Turcotte était le père de Me Josiane Turcotte, vice-présidente principale aux affaires juridiques chez Novacap.

Sur la page de l'avis de décès, son entourage professionnel lui rend hommage. « Il était un être généreux envers son entourage, toujours fidèle à ses convictions. J'ai particulièrement retenu de lui son amour de l'enseignement et le respect qu'il vouait à ses étudiants, ce qui m'a inspirée dès le début de ma carrière. Je lui en serai toujours reconnaissante », écrit Me Nathalie Vézina, professeure de droit à l’Université de Sherbrooke.

Louis Marquis, le doyen de la faculté de droit de l’Université de Sherbrooke salue le disparu: « j’ai pu côtoyer René dans différentes circonstances (il m’a enseigné; nous avons été dans le même comité de direction facultaire, etc.). Toujours, tout le temps, il demeurait fidèle à ses valeurs. De plus, on passait invariablement un bon moment en sa compagnie. »

«Il avait la faculté de droit à cœur et je retiens le souvenir de son grand dévouement », écrit Josée Perreault, la directrice de la section Préparation, Service des stages et du développement professionnel à l'université de Sherbrooke. Mme Perreault a siégé avec René Turcotte au Conseil d’administration de l’association des diplômées et diplômés en droit de l’Université de Sherbrooke (ADDUS).

René Turcotte laisse dans le deuil son épouse Diane Quirion, ainsi que ses trois enfants et ses quatre petits-enfants.
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