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Qui menace les élus au Québec?

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Radio -canada

2021-06-22 14:11:00

Plusieurs politiciens portent plaintes contre des citoyens qui les menacent en ligne. Retour sur les récentes condamnations…
Selon la porte-parole du Directeur des poursuites criminelles et pénales, les personnes qui menacent des politiciens en ligne sont souvent des gens sans antécédents judiciaires et sans profil particulier. Photo : ISTOCKPHOTO
Selon la porte-parole du Directeur des poursuites criminelles et pénales, les personnes qui menacent des politiciens en ligne sont souvent des gens sans antécédents judiciaires et sans profil particulier. Photo : ISTOCKPHOTO
La police observe une hausse vertigineuse des signalements pour menaces en ligne envers les élus au Québec. Qui sont les « monsieur et madame Tout-le-Monde » s’étant retrouvés avec un casier judiciaire pour avoir violemment déversé leur fiel contre les politiciens? Voici ce que révèlent des condamnations récentes.

Le mécanicien conspirationniste

« TUEZ-MOI ÇA », a écrit en majuscules Jean-Sébastien Gibson sur Facebook, en septembre 2020, sous une publication complotiste. « Ça », c'était en référence au premier ministre du Québec, François Legault. Le résident de Bromont, « nouvellement papa », a plaidé coupable d'une accusation de menaces en mars dernier. Le mécanicien de 24 ans, qui s'est aussi fait sermonner par son employeur, « a compris sa leçon » et a pris conscience de la gravité de ses écrits, a déclaré son avocat Nicolas Lemyre Cossette devant la Cour du Québec.

« Dans la plupart de ces dossiers-là, quand les individus n'ont pas d'antécédents ou (ont) des antécédents non similaires pour ce genre d'infractions, les juges ont imposé des sentences suspendues (ou sursis de peine, NDLR) ainsi que des ordonnances de probation avec des conditions particulières », a expliqué à la juge la procureure Geneviève Côté, du Bureau de la grande criminalité et des affaires spéciales, qui sillonne le Québec pour piloter des dossiers de menaces envers des personnes de l'Assemblée nationale.

Parmi ses conditions, Jean-Sébastien Gibson n'a pas le droit de faire référence à tout membre du gouvernement ni aux représentants de la santé publique sur les réseaux sociaux.

Qu'est-ce qu'un sursis de peine?

Lorsqu'aucune peine minimale n'est prévue au Code criminel pour une infraction, le tribunal peut prononcer un sursis de peine, communément appelé sentence suspendue. Le contrevenant s'engage alors à respecter les conditions de sa probation. S'il ne le fait pas, le tribunal peut lui imposer la peine qu'il juge appropriée. Un sursis de peine entraîne un casier judiciaire.

Une chômeuse exaspérée

« Je ne le referai plus », a juré d'une voix enfantine Kassandra Asselin, 24 ans, devant la Cour du Québec en mai dernier. En novembre 2020, la résidente de Québec vivait de « l'exaspération » face aux mesures sanitaires après avoir perdu son emploi. Elle a répondu au statut d'un ami Facebook en écrivant : « Je lui péterais les deux jambes à Legault » suivi de « mots injurieux », a rapporté la procureure aux poursuites criminelles et pénales Catherine Sheitoyan, le 5 mai dernier, devant le juge Mario Tremblay.

« Je vois devant moi une personne très jeune, une personne frêle, qui ne semble pas être en mesure de mettre sa menace à exécution, a déclaré le juge. Mais le crime, ce n’est pas le risque qu’on le fasse. Le crime, c’est que peu importe la taille de la personne, son âge, elle est seule chez elle un soir et décide de lancer ça. C’est comme si elle lançait des couteaux vers les gens, ça les blesse, vous comprenez? Ça les inquiète ».

Kassandra Asselin a reçu un sursis de peine avec une probation de 18 mois. Une peine « très peu sévère », selon le juge, pour la jeune femme toujours sans emploi, qui vit de ses économies et qui est sans antécédents judiciaires.

Une référence au caporal Lortie

Une publication sur la possibilité de devoir porter un masque à l'extérieur a fait sortir de ses gonds Martin Toulouse, en juillet 2020, à Jonquière. L'homme, déjà actif sur Facebook pour critiquer les mesures sanitaires, a publié un lien vers un reportage de Radio-Canada sur la tuerie à l'Assemblée nationale perpétrée par le caporal Denis Lortie en 1984, avec le commentaire « Va falloir qu’il arrive de quoi de grave pour qu’ils comprennent, gang de sales ».

« Il est clair qu’il n’avait pas l’intention de mettre ses menaces à exécution, mais cela n’a pas d’incidence, a tranché le juge Paul Guimond de la Cour du Québec, en mai dernier. Ce qui est également clair (...) c’est qu’en publiant sur le réseau Facebook, M. Toulouse a l’intention d’être pris au sérieux », a conclu le magistrat avant de le reconnaître coupable d'avoir proféré des menaces envers les membres de l'Assemblée nationale.

L'homme de 48 ans, qui a des antécédents en semblable matière et qui se dit aux prises avec des « incapacités physiques » qui l'empêchent de faire des travaux communautaires, a finalement écopé d'un sursis de peine avec une probation de deux ans et l'obligation de faire un don de 750 $.

La députée Catherine Fournier, cible des complotistes

« En plein délire », tenant un « discours politique décousu », Yvan Monette fils a bombardé de messages la députée indépendante de Marie-Victorin, Catherine Fournier, à l'été 2019. Des propos sur la souveraineté, les téléphones Samsung, Hydro-Québec, des insultes, des avances et des photos à connotation sexuelle se sont succédé, avec un ton de plus en plus agressif. « Il y avait des messages vocaux, des messages écrits, des photos sexuellement explicites. Je pouvais recevoir 30, 40 messages par jour », se rappelle Mme Fournier, quelques mois après que son harceleur eut plaidé coupable au palais de justice de Longueuil.

L'élue a porté plainte « trois ou quatre fois » à la police pour du harcèlement en ligne dans les dernières années. « J’ai eu énormément plus de menaces et de messages agressifs pendant la pandémie », affirme-t-elle. Celle qui est devenue une cible pour les internautes complotistes a même eu peur pour sa sécurité en voyant les multiples messages qui se trouvaient sous des vidéos antimasque.

« Je n’ai pas des heures à mettre à chaque jour pour lire les commentaires et m’assurer : "Est-ce qu’il y a une menace envers moi? Est-ce qu’il y a des commentaires qui vont trop loin?" Un moment donné, ça m’a inquiétée. Je me suis dit : "Je n’ai aucun contrôle, il peut s’écrire n’importe quoi" ». Yvan Monette fils, 40 ans, a écopé d'un sursis de peine, de 200 heures de travaux communautaires et d’une probation de trois ans. Il doit avoir un suivi psychiatrique, soigner sa toxicomanie et ne pas fréquenter les réseaux sociaux.

Explosion des signalements à la police

La Sûreté du Québec observe une hausse vertigineuse des signalements sur Internet pour menaces envers les élus. De 16 signalements en 2019, on est passé à 286 en 2020.

Outre François Legault, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, et celle de Longueuil, Sylvie Parent, ont aussi porté plainte. Le directeur national de santé publique, Horacio Arruda, a également été ciblé.

Tous les signalements ne constituent pas des infractions criminelles, mais il est difficile de savoir combien mènent à des accusations, puisque le ministère de la Justice n'a pas de statistiques spécifiques pour les accusations de menaces et de harcèlement commis en ligne. Globalement, tous contextes confondus, ces chefs sont relativement stables au Québec depuis 2015, à un peu plus de 15 000 par année.

Signe toutefois que le phénomène inquiète les autorités, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) centralise tous les dossiers de harcèlement envers les élus au Bureau de la grande criminalité et des affaires spéciales pour étudier les tendances. Un profil de harceleur semble se dessiner, selon la porte-parole du DPCP, Me Audrey Roy-Cloutier.

« Souvent, ces crimes sont commis par des gens sans antécédents judiciaires, sans histoire, sans profil particulier, qu’on pourrait qualifier de "monsieur et madame Tout-le-Monde" finalement. Qu’est-ce qui amène quelqu’un qui n’a pas de valeurs criminelles, ou quoi que ce soit, qui n’a pas commis de délit antérieurement, à subitement aller sur Facebook ou quels que médias sociaux que ce soit, et décider de menacer quelqu’un derrière son écran? » C'est une des questions qui intéressent le DPCP.

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