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Les juges de la Cour Suprême doivent-ils être bilingues ?

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Mathieu Piché-messier

2008-05-01 10:53:00

À la veille du départ du juge Michel Bastarache de la Cour Suprême du Canada, plusieurs avocats francophones réclament que les juges nommés au plus haut tribunal du Canada soient bilingues.

L’Association du Jeune Barreau de Montréal (AJBM) appuie cette revendication.

Elle estime qu’il y a lieu de renforcer le caractère bilingue de la Cour suprême en exigeant le bilinguisme fonctionnel de la part de tous les candidats aspirants à faire partie du nombre restreint de magistrats qui ont l’immense responsabilité de siéger en appel final de toutes les causes d’importance au pays.

Bien que plusieurs technologies soient disponibles pour pallier aux lacunes linguistiques des juges de la Cour Suprême, tels que le service de transcription ou le service de traduction simultanée, il n’en demeure pas moins que nous évoluons dans un système fédéral bilingue et même si les traducteurs sont qualifiés, ils ne sont toutefois pas nécessairement des juristes qui peuvent saisir les termes techniques spécifiques équivalents. De plus, la traduction simultanée ne permet pas un temps de réaction adéquat pour interrompre, poser des questions, tant pour le juge que pour les avocats ou même pour les justiciables qui ont droit de pouvoir saisir toutes les nuances et subtilités de chacune des langues respectives.

Il est à noter que l’unilinguisme à la Cour Suprême pose par ailleurs concrètement certains problèmes sérieux qui nous forcent à militer aujourd’hui pour la nomination de juges bilingues. En effet, en présence d’un juge unilingue, les délais procéduraux peuvent être plus longs, ne serait-ce que pour la traduction des divers documents, plaidoiries et opinions des juges qui sont échangés dans le cadre de la préparation des jugements. De plus, accepter un juge unilingue, c'est imposer une langue de travail à huit autres juges considérant que tout professionnel a le droit de travailler dans la langue officielle de son choix.

Le bilinguisme est d’ailleurs exigé à plusieurs niveaux de manière à accéder à diverses fonctions publiques. Cette réalité, d’autant plus palpable au Québec, exige que les travailleurs, pour plusieurs professions confondues, soient bilingues. Ce critère est d’ailleurs primordial pour tous les postes de haut niveau au sein de la fonction publique et sur la scène politique.

Dans le monde juridique, les standards légaux exigent le bilinguisme de nos législations et réglementations, et également dans le contexte des procédures judiciaires. La pratique courante du droit partout au Canada où se côtoient quotidiennement les deux langues, exige des avocats de maîtriser, à tout le moins de comprendre, tant l’anglais que le français.

Certains craignent cependant que le critère du bilinguisme annihile les chances de candidats unilingues qui seraient peut-être plus compétents au détriment de candidats bilingues moins qualifiés et suggèrent de continuer à nommer des juges unilingues, en autant que ces derniers s’engagent à devenir bilingue. Cette proposition nous semble simpliste et difficile d’application.

En effet, une fois nommés, les juges, selon les critères d’indépendance des tribunaux judicaires, ne peuvent être destitués de leur fonction que lors de scénarios spécifiques et rares, la compétence linguistique n’étant certainement pas l’un de ces scénarios. Ainsi, une fois nommés à la Cour Suprême, les juges unilingues n’auront aucune obligation autre que morale d’apprendre une autre langue. Quel serait le délai imposé aux juges unilingues pour devenir bilingue? Devrait-on leur imposer des tests linguistiques pour s’assurer de leur compréhension des deux langues?
Soulignons que notre opinion s’applique tant dans le contexte de juges unilingues francophones que pour des juges anglophones.

Rappelons que seulement 9 juges siègent à la Cour Suprême et qu’ils sont choisis parmi les juristes les plus qualifiés au pays. On ne peut croire et soutenir que tous ces candidats illustres seraient unilingues. Par ailleurs, dans un contexte où les règles du jeu sont claires pour les aspirants juges à la Cour Suprême, ces candidats pourront se préparer et prendre les cours nécessaires afin de maîtriser tant la langue de Shakespeare que celle de Molière au fil de leur carrière.

L’AJBM ne peut donc que soutenir la proposition d’exiger le bilinguisme comme critère de sélection essentiel pour la nomination des juges au plus haut tribunal du pays de manière à ce que les justiciables puissent faire pleinement valoir leurs droits dans les deux langues officielles, au profit d’une justice plus ouverte et qui tient pleinement compte des réalités linguistiques canadiennes.

Par Mathieu Piché-Messier, président de l'AJBM
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