Parole aux conseillers juridiques

Tête-à-tête avec le boss de Bombardier

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Emeline Magnier

2014-03-03 15:00:00

Droit-inc est allé à la rencontre du grand patron des services juridiques de Bombardier. Au menu, fonctionnement interne, gestion des services, facturation et regards externes sur les cabinets d’avocats...

Après avoir exercé 20 ans en pratique privée au sein du cabinet Hudon Gendron en droit immobilier et bancaire, Me Daniel Desjardins a été choisi pour diriger les affaires juridiques chez Bombardier.

Âgé de 42 ans lors de son entrée en fonction, il y a plus de 15 ans, il est actuellement le vice président principal aux affaires juridiques, secrétaire et président du comité de la responsabilité d'entreprise du chef de fil du transport aérien et ferroviaire.

Droit-inc: En quoi consiste votre fonction chez Bombardier?

Me Daniel Desjardins dirige depuis 15 ans les affaires juridiques chez Bombardier
Me Daniel Desjardins dirige depuis 15 ans les affaires juridiques chez Bombardier
Me Desjardins: Quand je suis rentré en poste en 1998, il y avait 50 avocats qui travaillaient chez Bombardier. Aujourd'hui, nous sommes 175 dans 17 pays différents. Nous avons une structure décentralisée qui nous permet d'avoir une cellule juridique intégrée dans chaque unité d'affaires pour appuyer les opérations là où elles se déroulent. Notre stratégie, c'est d'être local et global.

En tant que vice-président, je dois m'assurer que nos équipes ont toute la latitude, les outils et les ressources nécessaires pour effectuer leurs missions de façon adéquate. C'est un rôle de gestionnaire de talents, de développeur de compétences, de garant de la coopération, de la rigueur et de l'esprit d'équipe de l'entreprise. J'assure également la bonne gouvernance dans l'analyse des risques et la gestion des contrats. Il y aussi l'aspect de veille juridique: je dois toujours être en mesure de comprendre les enjeux qui affectent ou affecteront la société dans l'une ou l'autre des juridictions où nous sommes présents. Il faut donc être très proactif.

98% de nos projets se déroulent à l'extérieur du Canada ce qui représente un chiffre d'affaires de 17 milliards de dollars. Le principal défi est celui de la globalisation et de la complexité des enjeux : il faut gérer des unités d'affaires à l'échelle de la planète dans le cadre de projets complexes. C'est beaucoup d'heures, mais il n'y a pas de miracle, la recette on la connaît: rigueur travail et passion.

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Qu'est ce qu'être conseiller juridique chez Bombardier?

Notre métier c'est de vendre des trains et des avions. C'est un métier bien particulier et aucun cabinet d'avocats au monde ne fait ça. Tous nos clients sont des autorités publiques et nous participons à 400 appels d'offres par année dans des domaines très techniques, sur fond de partenariats public-privés extrêmement complexes.

C'est en cela que nous avons une grande valeur, nous avons développé une expertise juridique et commerciale. Nos avocats donnent des conseils juridiques mais sont aussi parties prenantes dans les décisions d'affaires et dans la gouvernance. Ils doivent avoir un grand sens de la gestion et de l'optimisation des risques. C'est ce qui rend notre travail passionnant: ils analysent les contrats en dehors de leur bureau et sont à la table du fournisseur, des premières discussions jusqu'à l'achèvement du projet. Ils doivent être connectés à la réalité de l'entreprise et en comprendre tous les processus pour réussir à la supporter au niveau opérationnel, stratégique, manufacturier, mécanique, ingénierie. Dans une entreprise comme la nôtre, la richesse est dans la généralité, il faut être capable de faire la synthèse de plusieurs éléments. C'est là où l'avocat interne à toute sa valeur. Nous vivons un renouveau à chaque projet, c'est une ouverture sur le monde fascinante.

Dans quelles mesures faites-vous appel à des cabinets d'avocats externes?

C'est bien souvent le contexte mondial dans lequel l'entreprise évolue qui nous conduit à faire affaire avec des cabinets externes. Nous devons apprendre à l'interne mais nous allons chercher des avocats à l'externe qui nous éduquent sur ce qui se passe dans tel ou tel pays. Nous créons un service juridique local quand il y a une masse critique dans un état en particulier. Il y aura alors un ou plusieurs avocats internes qui iront chercher un cabinet d'avocats externe local.

Me Daniel Desjardins a exercé 20 ans en pratique privée au sein du cabinet Hudon Gendron en droit immobilier et bancaire
Me Daniel Desjardins a exercé 20 ans en pratique privée au sein du cabinet Hudon Gendron en droit immobilier et bancaire
Nous allons aussi à l'externe pour ce qui a trait au litige et en cas de surplus de travail temporaire. Mais avec notre domaine d'activité très spécialisé, l'internalisation des services représente pour nous de nombreux avantages, c'est un investissement. Depuis plusieurs années, nous avons diminué de manière importante nos factures d'honoraires et avons économisé des millions de dollars.

Comment choisissez-vous les cabinets d'avocats externes avec qui vous traitez?

Ce sont les services juridiques qui embauchent directement les cabinets d'avocats. Ce sont les personnes les mieux placées pour évaluer leurs besoins. C'est un aspect fondamental qui a grandement évolué: il y a 20 ans, l'associé d'un cabinet siégeait au conseil d'administration d'une compagnie et c'est son cabinet qui était choisi pour la représenter. Aujourd'hui, ce n'est plus comme ça.

On fonctionne par juridiction et par type de dossiers. On peut parfois choisir un cabinet avec une présence globale ou aller chercher un partenaire ultra-spécialisé dans un petit bureau. Notre choix est toujours guidé par la satisfaction du client. Nous n'avons pas de relation d'exclusivité, on va toujours vers la meilleure expertise. Pour ma part, je veux une relation un à un avec l'associé directeur du cabinet, une ou deux rencontres annuelles pour comprendre sa gestion et la vision de son bureau. Il est également bien important que de leur côté, ils aient une bonne compréhension de nos propres enjeux.

De manière générale, nous restons fidèles au cabinet qui ont pris le temps de nous connaître et avec qui nous avons bâti une relation à long terme, mais je suis ouvert à la compétition: je n'hésite pas à aller rencontrer un bureau pour savoir ce qu'il font.

Comment fonctionnez-vous au niveau de la facturation et de l'évaluation des coûts?

Nous avons de l'expérience à l'interne, et à l'externe, les cabinets ont aussi assez de ressources pour savoir combien va coûter un dossier. Le débat existant autour de la disparition des heures facturables est un faux débat. Il faut d'abord déterminer le coût afférent à un mandat et ensuite décider du mode de facturation, à l'heure ou au forfait.

Il est important de gérer par dossier, d'exposer son projet, ses attentes quant au résultat et au niveau de service attendu, et surtout de garder le dialogue ouvert constamment avec le cabinet. C'est pour ça que je veux qu'un avocat interne gère les dossiers avec les avocats externes et qu'il fasse une mise à jour une fois par année sur la facturation, la satisfaction et les avancées sur les services rendus.

Peu importe l'unité de mesure, ce qui compte en bout de ligne, c'est le coût. De nombreux cabinets ont adopté ce mode de fonctionnement mais certains résistent et auront de grands défis à relever s'ils ne s'adaptent pas.

Selon vous, quel est le plus grand défi que les cabinets d'avocats ont à relever dans le monde des affaires d'aujourd'hui?

Il est fondamental qu'ils aient une vision claire d'eux-mêmes et de ce qu'ils veulent devenir. Ils ne peuvent pas agir pour tout le monde et pour tout type de mandats. Il faut délimiter un terrain de jeu; toute la stratégie et la façon de gérer doivent être fixées en conséquence. Beaucoup de cabinets peinent à la tâche tandis que d'autres le font très bien. Avoir autant d'associés que de visions pour un même bureau n'est pas le bon mode de fonctionnement, et c'est pourtant le cas pour certains.

Les cabinets d'avocats sont à la croisée des chemins, le monde évolue autour d'eux, et certains sont perdus: ils veulent s'imposer sur le mid-market tout en devenant une véritable plateforme juridique. Il faut trouver le modus vivendi et se gérer comme n'importe quelle compagnie qui est en affaires, en fonction du client, des compétiteurs, de leur main d'œuvre et du budget, tout en étant proactif. Si tu n'évolues pas aujourd'hui, tu dérives.

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