Me Abdulkadir Abkey a 12 ans lorsque la guerre civile en Somalie frappe Mogadiscio, la capitale de son pays natal.
Me Abdulkadir Abkey a 12 ans lorsque la guerre civile en Somalie frappe Mogadiscio, la capitale de son pays natal.
Me Abdulkadir Abkey a 12 ans lorsque la guerre civile en Somalie frappe Mogadiscio, la capitale de son pays natal.

Il ne comprend pas tout de suite, il est trop jeune. Mais le bruit des tirs dans des rues désertées le forcent à prendre conscience de ce qui se passe : la guerre a éclaté.

Fin 1989, le jeune somalien, élevé par son grand-père avec ses cinq soeurs, se retrouve alors sur les routes fuyant sa terre en guerre.

Une promesse

« Vous allez peut-être entendre ma voix craquer … », prévient d’emblée Me Abkey en entrevue, encore ému des années plus tard du décès de son oncle, « son idole » dit-il, qui avait débuté des études d’avocats peu de temps avant la guerre.

Blessé par quatre balles, il décède en Ethiopie au début des années 90. « Je lui ai alors fait une promesse : “je sais que tu n’as pas réussi à pratiquer, alors je vais le faire. Je vais finir le travail que tu as commencé.” »

En 1993, la route vers l’assermentation est encore longue. Elle se poursuit en Éthiopie, à l’arrière des maisons où lui et ses cinq soeurs dorment là où dorment d’ordinaire les animaux. Sur des coussins. Dans de mauvaises conditions hygiéniques. Et ce, pendant plus de deux ans.

Me Abkey choisit l'université d'Hertfordhire
Me Abkey choisit l'université d'Hertfordhire
Un jour, on vient les chercher : l’ambassade de Grande-Bretagne prend des réfugiés. « J’appelle ce moment : le second souffle de la vie », confie l’avocat qui arrive en Angleterre à l’âge de 14 ans, ce pays « magnifique » dit-il, avec seulement un bagage pour lui et ses soeurs. Il se souvient encore de la première fois où il voit un escalier roulant, du premier taxi, et de la première chambre d’hôtel, avec ce grand lit Queen…

Une nouvelle réalité

Aux côtés de cousins et oncles sur place, une nouvelle existence débute pour le jeune Abdulkadir. Tout est apprentissage : la langue anglaise, les habitudes de vie, l’école. Au départ, tout le surprend : les professeurs ne frappent pas les enfants pour les punir, les couples s’embrassent en public dans la rue.

Il travaille fort pour apprendre la langue, se mettre à niveau. Cinq ans plus tard, cinq universités sur six lui ouvrent ses portes. Me Abkey choisit celle d’Hertfordhire. Il y obtiendra un baccalauréat en droit ( en 2001 et une maîtrise en droit commercial et e-commerce en 2002. La promesse faite à son oncle est respectée. Mais le destin frappe une nouvelle fois à sa porte…

« La soirée magique »

L’avocat rencontre Me Marie-Ève Auclair, conseillère juridique principale au Développement international chez Desjardins. À l’époque, elle est encore étudiante en droit et se trouve en Angleterre pour une année d’échange universitaire. Il tombe sous son charme immédiatement.

Après plusieurs invitations, elle accepte de l’accompagner à un match de soccer. « C’est la “soirée magique”, dit-il, là où notre relation a commencé. Je savais que c’était elle, qu’elle était l’amour que je cherchais pour me combler. » À l’été 2000, un an plus tard, il la demande en mariage.

Aujourd’hui, ils sont les parents de trois enfants : sa « princesse numéro 1 » Jasmine née en 2008, Adam né en 2010 et Norah en 2014, née la même année où il décide de partir en solo et de lancer son propre cabinet où il pratique en droit commercial et corporatif.

Quand il débarque au Québec, il doit recommencer un baccalauréat en droit à Laval. Pour y arriver financièrement, il travaille dur : entre autres comme assistant gérant dans un hôtel à Lévis. En 2005, il décrochera son baccalauréat en droit québecois.

En 2003, il ne parlait pas français. Depuis, il a exercé plusieurs mois chez Fasken Martineau ainsi qu’au sein de plusieurs ministères au gouvernement : éducation, environnement et justice. « Quand on aime, tout est réalisable », lâche-t-il simplement. « C’est grâce à elle que je suis devenu l’homme que je suis.»

Des mentors

Me Éric Hardy a été l'un des mentors de Me Abkey
Me Éric Hardy a été l'un des mentors de Me Abkey
Nouvel obstacle : il lui fut d’abord très difficile de se trouver un stage dans un cabinet. La réalité était telle que personne ne voulait prendre un immigrant, explique-t-il. Jusqu’à ce qu’il rencontre les bonnes personnes.

Me Éric Hardy est de celles là : il lui ouvre les portes d’Ogilvy Renault devenu depuis Norton Rose Fulbright. « Il fait partie, avec Me Marcel Aubut et Me Jacques Dupuis, de ceux qui m’ont donné ma chance et qui m’ont aidé à tenir la promesse faite à mon oncle », déclare Me Abkey, aujourd’hui âgé de 37 ans.

Ainsi, plusieurs rencontres lui sont décisives : Me Mabel Dawson, l’ancienne directrice de l’École du Barreau centre de Québec, qui l'a beaucoup aidé lors de son apprentissage ainsi que le ministre Me Pierre Moreau, avec qui il a travaillé au Ministère de la Justice ou encore Line Beauchamp, l’ancienne ministre de l’Environnement et de l’Éducation.

Socialement responsable

Il le sait : les avocats ont de nombreuses obligations, avec leurs clients, avec leurs heures facturables à respecter. « Mais j’ai toujours cru à cette idée d’être socialement responsable à l’intérieur de notre société. Il faut ouvrir la porte aux réfugiés, aux avocats qui vont arriver de Syrie pour que l’on se mettre au même niveau que nos confrères de New-York ou de Londres : le monde change, on doit s’impliquer. »

Selon lui, les bénéfices d’affaires sont énormes : sur le long terme, les réfugiés, qui maîtrisent la langue arabe feront le pont entre nous et là d’où ils viennent, ils ouvriront des possibilités sur des transactions avec le pays d’origine, aideront à développer des liens avec des clients ou encore feront venir des investissements au Québec.

Optimiste, il évoque un slogan anglais « Every little helps », et estime que le monde entier devrait s’ouvrir aux gens qui viennent d’ailleurs.

Et s’il avait quelque chose à dire aux avocats, et aux autres..., ce serait ceci : « Il faut toujours sourire, et garder l’espoir. Le reste se bâtit autour. »