Le juriste Alain Roy, professeur à la Faculté de droit de l’Université de Montréal.
Le juriste Alain Roy, professeur à la Faculté de droit de l’Université de Montréal.
En matière de droit de la famille, le bilan du gouvernement de Philippe Couillard « est un désastre », selon le juriste Alain Roy, professeur à la Faculté de droit de l’Université de Montréal.

Le coprésident de la Commission citoyenne sur le droit de la famille estime que les libéraux n'ont pas eu « le courage » de réformer en profondeur un système législatif vieux de presque 40 ans, « incohérent et anachronique ».

Cette commission citoyenne, créée et soutenue par la Chambre des notaires du Québec, a prêté l'oreille aux propos de 150 personnes et organismes au printemps dernier, à l'occasion d'audiences tenues pendant huit jours dans six villes de la province. Les membres de la commission voulaient « prendre la mesure du fossé qui sépare les couples et parents des règles qui forment le droit substantiel de la famille ».

Dans le rapport qu'ils ont déposé mardi, les commissaires affirment que cet exercice leur a permis aussi de préciser « des limites ou des carences institutionnelles qui affectent le système de justice en matière familiale ».

En entrevue à Midi info sur ICI Première mardi, l'avocat, notaire et professeur Alain Roy, qui est aussi très impliqué dans le droit animalier, a affirmé que de réformer le droit de la famille suscitait « des questions sensibles ». À son avis, le gouvernement libéral du Québec n'a pas eu le « courage » d'enclencher « cet important chantier ».

Alain Roy rappelle qu'il avait présidé un comité réunissant dix experts qui avaient rendu, en 2015, un rapport fort attendu de 650 pages contenant 82 recommandations. Le comité, mis sur pied par le gouvernement du Québec, recommandait d'entreprendre une réforme législative de fond en comble pour placer l'enfant au coeur du droit familial.

« Tabletté, aucune suite », dit Alain Roy au sujet du sort qu'a réservé le gouvernement Couillard à cet outil de réflexion.

Le professeur de droit constate que, dans la campagne électorale en cours, « tous les partis politiques actuellement parlent de famille ». Les formations politiques s'engagent à « améliorer la vie des familles par différents programmes sociaux, différentes mesures, constate-t-il. Mais on oublie que la base, c’est le droit civil. Le droit de la famille contenu dans le Code civil ».

Et ce droit de la famille, datant de 1980, accuse son âge, explique M. Roy. Il n'a fait l'objet que d'une « petite réforme d'appoint » qui n'a pas suffi pour répondre aux situations que posent « les nombreuses configurations familiales qui cohabitent maintenant » dans notre société. « Quand on fait simplement du patchwork (...) on en vient finalement à une mosaïque complètement incohérente et c’est le portrait qu’on doit tracer aujourd’hui du droit de la famille », dit Alain Roy.

Le mariage comme critère premier

En quoi le droit de la famille est-il à ce point désuet?

C'est qu'en 1980, on avait « retenu comme critère, comme porte d’entrée du droit de la famille, le mariage », dit Alain Roy. À cette époque, pour vivre en couple et procréer, il fallait se marier. Les temps ont changé : à l'heure actuelle, 62 % des enfants au Québec naissent hors mariage et 40 % des couples sont en union de fait, cite le professeur Roy. Ce critère du mariage ne tient plus la route et « notre cible n'est pas la bonne », selon lui.
Pour illustrer son propos, Alain Roy expose les deux situations suivantes.

Deux conjoints de 65 ans qui se marient sont assujettis à des mesures de protection économique, comme le partage du patrimoine familial. « Une protection dont ils n’ont pas besoin », estime M. Roy. Chacun des conjoints, sans doute à la retraite, dispose de son fonds de pension respectif. « Leur relation en est une de pure conjugalité (...) et il n’y a pas de préjudice économique qui sera engendré par la relation de couple », dit-il.

À l’opposé, un couple dans la trentaine qui vit en union de fait avec trois enfants ne bénéficie d'aucune protection, fait-il valoir. Dans l'éventualité où la conjointe se retire du marché du travail pour s'occuper des enfants, la situation de cette mère sera d'autant plus précaire advenant une séparation.

« Il va falloir que quelqu’un se réveille » - Alain Roy

Dans ce droit de la famille en criant besoin de réforme, les familles recomposées, les couples ayant recours à la procréation assistée et toutes ces autres familles qui ne correspondent pas au modèle traditionnel « ne trouvent pas écho », dit Alain Roy.

« Si le prochain gouvernement n’a pas plus de courage que le gouvernement actuel, malheureusement on ne progressera pas beaucoup », prévient Alain Roy. Le droit privé de la famille, conclut-il, « c'est pas des cadeaux qu'on donne, ce sont des responsabilités qu'on crée (...) ».