Stéphanie Vallée. Photo : Site web de l'Université d'Ottawa
Stéphanie Vallée. Photo : Site web de l'Université d'Ottawa
En 2016, la ministre de la Justice de l’époque, Stéphanie Vallée, a introduit l’ordonnance de protection (l’équivalent du fameux « 810 » au criminel) au civil. Alors que cette protection avait été créée spécifiquement pour venir en aide aux victimes de violence conjugale qui ne veulent pas porter plainte (ou ne l’ont pas encore fait), elle n’avait encore jamais été utilisée dans ce contexte.

Juripop, qui a obtenu cette ordonnance au mois d’août dernier dans un dossier de violence conjugale, affirme que c’était une première, selon les recherches que l’organisme a effectuées. Une preuve que cette ressource est encore méconnue des acteurs qui oeuvrent dans des contextes de violence conjugale.

Et alors que le Québec ne possède pas, contrairement à plusieurs provinces et territoires canadiens, de lois spécifiques pour protéger les familles de la violence conjugale, cette disposition est particulièrement importante, souligne Roxane Charpentier, avocate chez Juripop, qui représentait la femme qui vient d’obtenir cette première ordonnance.

« C'est le seul article qui ouvre une porte à une protection, pour les victimes de violence conjugale, qui n’est pas celle d’aller porter plainte à la police », explique-t-elle.

Il faut comprendre que porter plainte n’est pas toujours souhaité par les victimes de violence conjugale. Premièrement parce que c’est assez fastidieux, souligne Me Charpentier, mais aussi, parfois, parce qu’une arrestation peut vouloir dire que le père sera déporté du Canada, par exemple.

L’ordonnance civile peut aussi être utilisée lorsque la victime a porté plainte, mais que celle-ci n’a pas été retenue.

Me Roxane Charpentier. Photo : Site web de Juripop
Me Roxane Charpentier. Photo : Site web de Juripop
Dans le cas qui nous concerne, Me Charpentier estime que c’était la seule avenue. On ne peut donner tous les détails dans cette affaire, pour ne pas porter atteinte à l’intégrité et à la sécurité de cette femme, mais celle-ci était victime de violence psychologique et économique depuis de nombreuses années – ce qui est plus difficile à prouver que de la violence physique. Et sa cliente n’était pas encore prête à porter plainte, précise l’avocate.

« Pour moi, le défi était de tomber sur une juge qui allait aller dans le sens du droit, et non pas décider de couper la poire en deux, ajoute Me Charpentier. C’est comme si le droit avait été écrit pour ce genre de dossier. »

« Ma cliente était très angoissée et stressée, poursuit-elle. Quand on a reçu le jugement, elle est sortie dehors et elle a explosé en larmes de soulagement. Elle était vraiment reconnaissante. »

Faire connaître cette ordonnance

Cette ordonnance a été obtenue dans l’un des 25 dossiers que l’organisme pilote gratuitement, qui fait partie des projets financés par la subvention de 2,6 M$ octroyée par le gouvernement du Québec. Cette même subvention sert également à opérer une ligne d’assistance juridique en droit familial pour répondre aux questions des victimes de violence conjugale.

Juripop espère maintenant que ce jugement va faire connaître l’ordonnance civile de protection aux juristes qui oeuvrent dans ce domaine et aux ressources qui viennent en aide aux victimes de violence conjugale.

Me Justine Fortin. Photo : Site web de Juripop
Me Justine Fortin. Photo : Site web de Juripop
Justine Fortin, avocate et chargée de projets chez Juripop, qui travaille pour ce volet servant à recenser les besoins des victimes de violence conjugale, avoue elle-même avoir pris connaissance de l’existence de cette ordonnance à l’hiver dernier, seulement.

C’est l’une de ses étudiantes du Collège Brébeuf, où elle enseigne, qui a proposé cette voie dans un cours.

« Maintenant, depuis qu’on a découvert son existence, elle fait partie intégrante de toutes nos procédures, explique Me Fortin. Nos procédures modèles contiennent une section là-dessus, et on la remplit dans tous les cas où ça s’applique. »

« Balayée du revers de la main »

Pour Justine Fortin, l’obtention de cette ordonnance représente un premier pas vers un système de justice plus adapté aux victimes de violence conjugale.

« En droit de la famille, la violence conjugale est trop souvent balayée du revers de la main, affirme Me Fortin. On va souvent privilégier le lien parent-enfant…»

« On va souvent entendre des phrases comme : “ Monsieur est un bon père, il va au parc, il fait les devoirs avec les enfants… Il a peut-être eu un comportement agressif ou des propos dénigrants envers Madame, même devant ses enfants… Mais c’est un bon père, et les enfants ont besoin de leurs parents. ” Et c’est une logique tout à fait tordue. Le meilleur intérêt de l’enfant, c’est qu’on tienne compte de l’impact des actions de son papa envers sa maman », poursuit-elle.

Cela s’inscrit dans la mission que s’est donnée l’organisme, pour son volet sur la violence conjugale, subventionné par le gouvernement.

« On fait le pari que des avocats formés et spécialisés en violence conjugale, qui plaident la violence conjugale, qui reconnaissent ce phénomène comme affectant le contexte de séparation, c’est ce qui va faire avancer le système et qui va permettre de faire le pont, de réparer le fossé qui s’est créé pour les personnes victimes de violence conjugale, explique-t-elle. Non seulement ça, mais au lieu que ce soit les victimes qui s’adaptent à notre système, on fait le pari que c'est nous qui devons nous adapter et changer notre façon de faire. »