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Comment protéger son entreprise en cas de divorce ?

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Julie Gagné

2021-11-05 11:15:00

Une avocate explique les enjeux et les pratiques à adopter pour protéger son entreprise en cas de divorce entre conjoints...

Me Julie Gagné, l’auteure de cet article. Sources: Site web de Bernier Fournier Avocats
Me Julie Gagné, l’auteure de cet article. Sources: Site web de Bernier Fournier Avocats
Il existe trois différents types de régimes matrimoniaux en droit québécois. Chacun d’entre eux prévoit un partage des biens différents lors d’un divorce, ce qui peut influencer l’entreprise dont est propriétaire l’un des conjoints.

Le premier régime est celui de la société d’acquêts, lequel s’applique automatiquement si nul autre régime n’est fixé par contrat de mariage1. Il prévoit entre autre un partage des biens accumulés pendant l’union, selon deux classifications de biens : les biens propres et les acquêts2. Un bien sera désigné comme un acquêt, sauf s’il est déclaré propre par la Loi3. Entre autres, les revenus gagnés pendant l’union sont considérés comme acquêts, ainsi en cas de divorce, la valeur de ceux-ci devra être séparée entre les époux, sans tenir compte duquel des conjoints ils proviennent. Au contraire, un bien qualifié de propre demeurera la propriété du conjoint auquel il appartient, il n’y a donc pas de partage pour les biens qualifiés ainsi. Les biens délimités dans la Loi en tant que propres sont énumérés à l’article 450 du Code civil du Québec (ci-après « C.c.Q. »):

« Sont propres à chacun des époux:
1° Les biens dont il a la propriété ou la possession au début du régime;
2° Les biens qui lui échoient au cours du régime, par succession ou donation et, si le testateur ou le donateur l’a stipulé, les fruits et revenus qui en proviennent;
3° Les biens qu’il acquiert en remplacement d’un propre de même que les indemnités d’assurance qui s’y rattachent;
4° Les droits ou avantages qui lui échoient à titre de titulaire subrogé ou à titre de bénéficiaire déterminé d’un contrat ou d’un régime de retraite, d’une autre rente ou d’une assurance de personnes;
5° Ses vêtements et ses papiers personnels, ses alliances, ses décorations et ses diplômes;
6° Les instruments de travail nécessaires à sa profession, sauf récompense s’il y a lieu. »4

Le deuxième régime matrimonial est celui de la séparation des biens, lequel doit expressément être prévu au contrat de mariage pour éviter que la société d’acquêts ne soit automatiquement appliquée5. La séparation des biens est davantage basée sur l’indépendance matérielle entre les conjoints, puisque chacun demeure propriétaire de ses biens, peu importe à quel moment ils ont été acquis. Chacun des conjoints administre ses biens de façon autonome.

La seule exception, laquelle s’applique à tous les régimes, est celle du patrimoine familial, qui se résume en ce que tout bien ou dette utilisés pour les besoins de la famille, qu’il y ait ou non des enfants, devront être séparés équitablement entre les époux en cas de séparation6. Un exemple concret est la résidence familiale et les meubles qui la garnissent. Dans le cas d’une entreprise, si une partie de la bâtisse utilisée pour les fins de l’entreprise sert également de résidence familiale, on devra la partager selon les règles du patrimoine familiale7.

Le dernier régime est la communauté de biens. Il s’agit d’un régime qui peut être qualifié de désuet, en ce sens qu’il n’est plus appliqué depuis juillet de l’année 1970, puisqu’il a été remplacé par le régime de la société d’acquêts. La communauté de biens prévoit que l’homme administre tous les biens communs tandis que la femme est limitée aux biens qui lui sont réservés. En cas de divorce, la séparation des biens s’opère de façon particulière. Ici, contrairement à la société d’acquêts, on partage les biens eux-mêmes et non leur valeur, c’est-à-dire que les ex-conjoints demeurent copropriétaires. Ce régime étant plus rare de nos jours, il est non pertinent de l’aborder plus amplement.

L’entreprise dans tout ça…

« Constitue l’exploitation d’une entreprise l’exercice, par une ou plusieurs personnes, d’une activité économique organisée, qu’elle soit ou non à caractère commercial, consistant dans la production ou la réalisation de biens, leur administration ou leur aliénation, ou dans la prestation de services. »8

L’entreprise peut prendre diverses formes juridiques, lesquelles emportent des répercussions différentes sur le partage des biens au moment du divorce. Certaines entreprises détiennent une personnalité juridique, ce qui signifie qu’elles ont la pleine jouissance des droits civils, elles sont indépendantes de leurs dirigeants. On les appelle personnes morales9. Leur patrimoine leurs appartient en propre, il est distinct de celui des actionnaires10. Les sociétés par actions et les corporations sont des exemples d’entreprises détenant une personnalité juridique.

D’autres entreprises sont plutôt qualifiées d’entreprises individuelles. Cela signifie qu’il n’y a pas de distinction entre le patrimoine de l’entreprise et celui de son propriétaire, ils sont confondus. De cette façon, les actifs de l’entreprise se retrouvent dans le patrimoine de son propriétaire, tout comme les passifs. Conséquemment, au moment de la séparation des biens en cas de divorce, ces biens peuvent être accessibles par l’autre conjoint.

La grande différence entre une personne morale et une entreprise individuelle est la distinction des patrimoines. En ayant un patrimoine distinct, les personnes morales sont à l’abri, quant à leurs actifs et leurs passifs, du partage des biens, alors que dans une entreprise individuelle, ce n’est pas le cas11.

Plus précisément, en présence d’une société par actions, qui est une personne morale, seules les actions ou les parts sociales appartenant au conjoint(e) pourront constituer un acquêt12 dans la société d’acquêts, si les actions sont acquises pendant l’union13. Par contre, dans le cas de la séparation des biens, étant donné qu’il n’y a pas de partage des biens, les actions ou parts sociales demeurent la propriété du conjoint. En bref, s’il y a des actions et qu’on se retrouve sous le régime de la société d’acquêts, l’entreprise pourrait être touchée par le partage obligatoire des biens entre conjoints.

Quelques pratiques à adopter

En tant qu’entrepreneur ou propriétaire d’entreprise, il est préférable de s’unir initialement sous la séparation des biens, puisque tel que stipulé précédemment, ce régime prévient l’immixtion de patrimoine.

Cependant, s’il appert qu’on se retrouve marié sous la société d’acquêts, certaines pratiques devraient être préconisées afin d’éviter de mettre l’entreprise dans une situation financière précaire.

Dans le cas d’une entreprise individuelle, où le patrimoine du propriétaire et celui de l’entreprise ne font qu’un, il vaut mieux délimiter les biens de l’entreprise attentivement, puisqu’en vertu de l’article 450 (6) du C.c.Q. : « les instruments de travail nécessaires à [la] profession » sont considérés propres à chaque époux14.

Autrement, en présence d’une personne morale, il est capital de prévoir les effets d’un divorce sur l’actionnariat de l’entreprise et de faire signer la convention unanime d’actionnaires à l’autre conjoint, afin que ce dernier en prenne connaissance. À titre d’exemple, il est possible d’envisager une clause pour retrait d’affaires en cas de divorce15, laquelle clause permettrait aux autres actionnaires d’acheter les actions de l’actionnaire divorcé et d’ainsi protéger le patrimoine de l’entreprise.

Sur l’auteure

Me Julie Gagné pratique chez Bernier Fournier Avocats depuis 2019. Membre du Barreau du Québec depuis 2004, elle se spécialise en droit des affaires, droit de la famille et litige civil. Rédigé avec la collaboration de Mme Marianne Lapointe, étudiante en droit.


Références :
# ''Code civil du Québec'', RLRQ, c. C-1991, art. 432 (ci-après « C.c.Q. »).
# Art. 448 C.c.Q.
# Art. 449 à 459 C.c.Q.
# Art. 450 C.c.Q.
# Art. 432 C.c.Q.
# Art. 416 C.c.Q.
# Art. 416 et ss. C.c.Q.
# Art. 1525 al. 3 C.c.Q.
# Art. 301 et ss. C.c.Q.
# Art. 302 C.c.Q.
# Christian LABONTÉ, « L’ABC du partage des entreprises dans le cadre de la société d’acquêts », dans S.F.C.BQ., vol. 273, ''Développement récent en droit familial 2007'', Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, p. 650.
# ''Id.'', p. 652
# Art. 450 (1) C.c.Q.
# Art. 450 (6) C.c.Q.
# Paul MARTEL, « Les conventions entre actionnaires : une approche pratique »,12e édition, Montréal, Éditions Wilson et Lafleur, 2017, p. 91.
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1 commentaire

  1. Anonymous
    Anonymous
    il y a 2 ans
    Droit de créance ?
    Il n'y a pas d’immixtion de patrimoine dans la société d'acquêts. L'autre époux a un droit de créance représentant la moitié de la valeur des actions/parts et non un droit de propriété.

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