Isabelle Gélinas. Source: courtoisie de l’étudiante
Isabelle Gélinas. Source: courtoisie de l’étudiante
Isabelle Gélinas n’a rien d’une étudiante typique ; celle qui vient de célébrer son cinquantième anniversaire a été admise à l’École du Barreau. Surpris ? Elle commence pourtant ses cours ce mois-ci.

Après plus de 20 ans de carrière en traduction, elle a choisi de reprendre ses études en droit. Traductrice agréée, elle a reçu son baccalauréat en droit en 1997, à l’Université de Montréal.

Rencontre avec une étudiante pas comme les autres…

Pourquoi avez-vous décidé de passer l’examen du Barreau cette année ?

J’ai un parcours professionnel assez atypique. À la fin de ma deuxième année au baccalauréat, j'ai travaillé en informatique pendant deux ans et j'ai mis mes études de côté. Après un séjour en Amérique du Sud pour un autre emploi, je suis revenue à l’université à l’université pour terminer mon baccalauréat.

À l'époque, la mentalité du domaine me repoussait un peu. Au fil du temps, j'ai essayé de me rapprocher du droit avec la traduction. La majorité de mon travail portait sur des traductions juridiques. J’ai traduit beaucoup de contrats, de jugements et des mémoires pour la Cour suprême impliquant divers domaines comme le droit des assurances, le droit du travail et le droit du logement.

Avec le temps et l’expérience, j'ai réalisé que j’étais prête à passer à l’étape supérieure. Le moment était bien choisi, car il me reste encore 25 ans minimum pour travailler.

Quel domaine juridique vous intéresse le plus ? Quel est votre objectif de carrière ?

Je vais sûrement me diriger vers le droit de la famille et le droit civil. J'aimerais aussi offrir des conseils en matière de logement par l'entremise de formation ou de clinique juridique.

Mon objectif est de créer une pratique pour rendre la justice plus accessible à tous. L'accès à la justice n’est pas adéquat dans ma région, en Mauricie, à Shawinigan. J’aimerais justement y contribuer en travaillant pour la justice sociale et la justice de proximité, que ce soit à mon compte ou en partenariat avec d'autres cabinets qui offrent des services similaires.

Je viens à peine de commencer mes recherches. Pour l’instant, je préfère me concentrer sur mes études. Je ne suis pas inquiète si ma pratique commence tranquillement, car j’ai encore mon métier de traductrice. Éventuellement, je ne ferai plus de traduction et deviendrai avocate à temps plein.

Comment arrivez-vous à vous organiser entre le Barreau, les traductions et la vie de famille ?

Même si on m’avait prévenu, les études pour le Barreau demandent beaucoup de travail. J'ai à peine quelques jours dans le corps et je suis déjà essoufflé.

J’ai deux adolescents, un chum, deux chiens et deux chats. On parle de la charge mentale du côté des femmes et c'est quelque chose que je vis au quotidien. Après avoir fait les cours préparatoires, j'ai réalisé que je n’y arriverais pas si je restais chez moi. Donc, j’ai loué une chambre à Québec avec une colocataire. Je vais essayer de revenir chez moi le plus souvent possible les fins de semaine.

Il y a d'autres femmes qui ont des enfants et qui font leurs études à l’École du Barreau. Chapeau bas. Je ne me vois pas le faire. J’ai la chance d'avoir les ressources financières pour me permettre de quitter la cellule familiale temporairement.

Comment se sont déroulées vos premières semaines ? Les cours sont à distance ?

Malheureusement, les cours sont encore en ligne. C'est une grosse déception parce que j'avais vraiment hâte d’aller en classe, de revivre mes années d’études. Toutefois, on a des ateliers et le contact se fait bien. La plateforme, me dit-on, s’est vraiment améliorée comparativement à l'an passé.

Par contre, il faut être quatre heures et demie devant un écran en continu. On doit lire les documents avant le début des cours puis les suivre, avec ou sans pause selon les professeurs. C’est long et ça demande beaucoup de concentration.

Est-ce que le cerveau fonctionne aussi rapidement à 50 ans qu’à 20 ans ? J’ai le goût de dire oui, mais je ne suis pas convaincue. Ça me demande un petit effort d'où l'isolement dans un petit appartement.

Comment se passe votre intégration au sein de la cohorte ?

L’intégration s’est très bien faite à travers les réseaux sociaux. Il y a des groupes Facebook créés par les associations étudiantes en droit. J'avais fait un appel à tous sur le groupe du Centre de Québec.

Je leur ai raconté que lorsque j'étais étudiante, on appelait les personnes de mon âge dans nos classes, soit les « back to school » ou soit « le club des varices ». Aujourd'hui j'étais dans ce club et j'espérais que mes collègues allaient être plus gentils que nous l’étions à l’époque, qu’ils n’allaient pas hésiter à venir me parler. J’ai reçu plein de bonnes réponses. On m’a accueillie les bras ouverts.

Êtes-vous la seule « back to school » ?

Dans mon groupe, je semble être la seule. J'ai posé la question sur un groupe Facebook, et, à mes souvenirs, il y a un étudiant qui a eu son baccalauréat en droit en 2008-2009.

Le Comité d'accès à la profession m’a dit que j'étais une première dans les annales. Ils étaient très curieux de mon choix et avaient beaucoup d'hésitations au départ. Finalement, j’ai réussi à les convaincre.

Avez-vous quelques mots pour conclure cette entrevue ?

Je tiens à dire qu’il est possible d’entreprendre des changements de carrières dans une vie. Il ne faut jamais hésiter à foncer. Qu'on soit jeune ou vieux, il n’est jamais trop tard pour faire quelque chose qui nous passionne. C'est très cliché, mais c’est tellement vrai !