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Le plus vieux métier du monde… une nouvelle profession?

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Gabriel Granatstein

2010-11-18 11:15:00

Si jamais on légalisait l’exploitation de maisons de débauche, les travailleurs du sexe qui y travaillent obtiendraient-ils le statut d’employés? Gabriel Granatstein, avocat chez Ogilvy Renault, répond.

Le débat sur la prostitution est bel et bien relancé! La récente décision de la juge Himel de la Cour supérieure de l’Ontario en est la preuve.

Ce jugement déclarant inconstitutionnels trois articles du Code criminel reliés à la prostitution est venue toucher le cœur de l’un des sujets les plus sensibles au sein de la société, réveillant ainsi la controverse, les discussions, les sorties publiques des groupes qui y sont favorables et des groupes qui s’y opposent farouchement. La juge Himel a en effet considéré ces articles du Code criminel contraires aux valeurs fondamentales de la Charte canadienne des droits et libertés, particulièrement celles protégeant le droit à la liberté d’expression et le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité.

La déclaration d’inconstitutionnalité de ces articles entraîne évidemment plusieurs questions et incertitudes quant au statut de la prostitution au Canada de façon générale, et particulièrement quant à celui des «travailleur(se)s du sexe» ou « prostituées » (ce dernier terme étant celui employé par la juge Himel).

Dans l’éventualité où l’on en viendrait à légaliser l’exploitation de maisons de débauche, les travailleurs du sexe qui y travaillent obtiendraient-ils le statut d’employés? Et ceux qui travaillent seuls, dans la rue, seraient-ils considérés des travailleurs autonomes?

Selon l’état actuel du droit, les travailleurs du sexe exerçant leur profession à l’intérieur de maisons de débauche pourraient être considérés comme des « employés » au sens de la Loi sur les normes du travail. Ils pourraient alors bénéficier de tous les avantages et protections conférés aux travailleurs régis par cette loi, tels que les congés de maladie et de maternité ainsi que le droit à des vacances annuelles. Ils risqueraient également de se voir assujettis à des obligations plus spécifiques par l’entremise de réglementation en matière de santé et sécurité du travail, comme la soumission à des tests médicaux effectués par un organisme compétent. Au Québec, c’est la Commission de la santé et de la sécurité du travail (« CSST ») qui serait chargée de développer cette réglementation particulière. La Commission des lésions professionnelles, le tribunal administratif chargé d’entendre et de statuer sur les contestations de décisions rendues par la CSST concernant les demandes de réclamations des travailleurs, deviendrait certainement un endroit plus occupé où des questions inédites seraient soulevées. L’obtention du statut d’employé des travailleurs du sexe dépendrait de plusieurs facteurs, dont notamment la relation qu’ils entretiennent avec les propriétaires des maisons de débauche. Cette question pourrait d’ailleurs faire l’objet d’un futur article.

C’est aux Pays-Bas que la situation légale des travailleurs du sexe est la plus avancée. En effet, les travailleurs du sexe doivent obtenir un permis de travail de l’Union européenne afin d’exercer leur travail dans les maisons de débauches légales et bénéficient même d’organisations syndicales qui militent pour leurs droits. Ils doivent en outre se soumettre à des tests médicaux réguliers et sont dans l’obligation d’utiliser des moyens de contraception. D’autres pays comme l’Allemagne, la Suisse et la Grèce ont également procédé à la décriminalisation de la prostitution à des degrés divers. Plus près de nous, l’État du Nevada, aux États-Unis, a également légalisé les maisons de débauche; les travailleurs du sexe sont soumis à des tests médicaux hebdomadaires, à un nombre d’heures de travail minimal et sont considérés par la loi comme « entrepreneurs indépendants ». La prostitution « dans la rue » demeure cependant illégale.

Le plus vieux métier du monde ne devrait pas disparaître de si tôt. Est-il alors temps pour le Canada d’accepter de reconnaître cette réalité? Est-il possible de préserver les valeurs morales de notre société tout en protégeant les travailleurs du sexe en leur offrant un statut légal qui mettrait un terme à cette constante marginalisation?

Les débats sociaux qui entourent la légalisation de la prostitution prennent souvent une connotation morale qui peut se traduire par une question bien simple : accepterions-nous que nos enfants, frères, sœurs ou ami(e)s soient impliqués dans ce milieu? À mes yeux, la réponse est claire : non. Je dois néanmoins avouer que s’il advenait que quelqu’un qui m’est proche le soit, je voudrais savoir que cette personne bénéficie de toutes les protections légales offertes. Cela demeure impossible lorsque les travailleurs du sexe sont forcés de travailler dans l’ombre, toujours à la limite de la légalité. La seule façon d’assurer un minimum de sécurité à ces hommes et ces femmes est de règlementer l’industrie du sexe afin qu’ils cessent de se cacher et de redouter le système de justice. C’est d’ailleurs la position qu’ont adoptée le Nevada ainsi que quelques pays membres de l’Union européenne.

La réglementation de ce milieu éliminerait-elle toute prostitution illégale? J’en doute. Néanmoins, elle augmenterait considérablement la sécurité des travailleurs du sexe. La décision de la juge Himel pose peut-être les premières pierres d’une révolution de la considération sociale et légale des prostituées. Le débat risque d’être long et houleux, surtout avec l’annonce du gouvernement fédéral qui songe sérieusement à porter la décision en appel. Le sort de cette problématique est entre les mains du pouvoir judiciaire. La suite risque d’être intéressante…


Biographie

Admis au barreau en 2009, Gabriel Granatstein est avocat chez Ogilvy Renault à Montréal, en droit de l'emploi et du travail. Avant de se joindre au cabinet, il a été officier au sein des Forces canadiennes et a notamment été affecté au maintien de la paix en Bosnie. Il demeure membre de la Réserve. Me Granatsteein tient un blogue sur le droit du travail au Québec et est également présent sur Twitter.
Diplômé en droit de l’Université de Montréal (LL.B.), il a auparavant obtenu un baccalauréat en science politique à McGill (B.A.).
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4 commentaires

  1. DSG
    What’s happening with our courts?
    First the Lola case, now this!

    If this trend continues, soon prostitutes will be asking alimony from their clients.

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 13 ans
      Re : What’s happening with our courts?
      > First the Lola case, now this!
      >
      > If this trend continues, soon prostitutes will be asking alimony from their clients.

      Nice one.

  2. PBG
    nouvelle clientèle pour OR
    Le développement de nouvelles clientèles prend une tournure inattendue chez OR. Peut-être est-ce plutôt la philosophie d'affaire de Norton Rose

  3. Me
    Me
    >>>>> Le développement de nouvelles clientèles prend une tournure inattendue chez OR. Peut-être est-ce plutôt la philosophie d'affaire de Norton Rose

    Avec ou sans le mariage à un grand cabinet international, ceux qui innovent et qui ont de l'imagination gagnent. C'est le cas de la plupart des membres de OR. C'est pas le cas de la plupart des membres du Barreau... alors restez campé dans vos confortables habitudes.

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