Julien Lacroix et la justice populaire

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Julie Couture

2022-11-21 11:15:00

Deux ans plus tard, une enquête journalistique révèle que les victimes alléguées jugent trop sévères les conséquences que l’ex-humoriste a subies. La criminaliste décortique…

Me Julie Couture, l’auteure de cet article.
Me Julie Couture, l’auteure de cet article.
C'était en juillet 2020, "l'affaire Julien Lacroix" plongeait les médias dans une nouvelle tempête liée au mouvement #metoo. Des allégations d'inconduite sexuelle et d'agression sexuelle pesaient contre lui. Il a été immédiatement "cancellé" comme on dit dans le jargon. Les dénonciations publiques ont eu raison de sa carrière.

Deux ans plus tard, une enquête révèle que les victimes alléguées jugent trop sévères les conséquences que celui-ci a subies. Retour sur un sujet qui revient régulièrement dans les médias : l'impact des dénonciations publiques et du tribunal populaire.

Le mouvement #moiaussi / #metoo

Je vous en avais déjà parlé à l'été 2020, avant même que l'histoire de Julien Lacroix ne sorte. Les dénonciations publiques sur internet ne sauraient se substituer à notre système de justice. C'est à lui de traiter ces dossiers, et non pas à la justice populaire des médias sociaux. Le tribunal permet un processus juste et s'assure que les droits constitutionnels de chaque individu soit respecté. C'est ainsi que l'on peut rendre une réelle justice.

L'importance du mouvement #moiaussi / #metoo, qui aura bientôt cinq ans, n'est pas à minimiser. Les victimes doivent pouvoir dénoncer leurs agresseurs. Ils et elles devraient également avoir accès à davantage d'aide de la part du système de justice. Mais dénoncer sur la place publique sans passer par le processus établi comporte des risques. Cela amène également son lot de conséquences. L'histoire de Julien Lacroix en est un très bon exemple.

Le temps de réflexion nécessaire

On le sait : le processus judiciaire est souvent long et pénible. L'arrêt Jordan presse le système de justice de respecter les délais. Mais le temps d'attente pour les victimes demeure une épreuve pénible. C'est parfois ce qui les pousse à vouloir se faire justice soi-même, sur les médias sociaux ou via des journalistes. Cela dit, le temps permet parfois d'avoir un temps de réflexion face aux événements souvent émotifs qui se sont produits. Si on se fie au reportage d'Isabelle Hachey qui a tant fait jaser cette semaine, c'est ce qui se serait produit pour certaines victimes alléguées de Julien Lacroix.

Neuf personnes ont allégué avoir subi des inconduites ou agressions sexuelles de la part de Julien Lacroix. Quelques-unes maintiennent leurs allégations et estiment que les conséquences subies par l'humoriste sont toujours justifiées. D'autres, toutefois, prétendent que si c'était à refaire, elles feraient les choses autrement. Peut-être n'auraient-elles simplement rien dit. Peut-être auraient-elles fait le choix de passer par le système de justice, si crime il y avait eu. D'autres avouent carrément avoir été recrutées pour témoigner, par des humoristes qui les incitaient à dénoncer Julien Lacroix. Pour d'autres, il s'agissait de "passer un message à la société".

Manque de nuances

Rappelons qu'accuser faussement un individu est un crime selon le code criminel ; il s'agit d'un méfait public. Réfléchir à ce qui s'est réellement produit dans les faits est une étape importante avant de dénoncer.

Deux ans plus tard, une des présumées victimes retourne dans sa tête la scène qui l'a conduite à se joindre au groupe en se demandant si ce n'était pas qu'une anecdote. L'ex-conjointe de Julien Lacroix, qui était au centre du dossier à l'origine du scandale, trouve que son témoignage était trop émotif, manquait de nuances et ne reflétait pas la réalité. Une autre, étudiante en droit, n'a jamais songé s'adresser au tribunal pour cette histoire. Il s'agissait plutôt, pour elle, de faire un exemple avec Julien Lacroix, dans une société qui a un réel problème avec le consentement et les inconduites sexuelles.

"Canceller" Julien Lacroix

Comme cette étudiante le rappelle dans l'enquête en question, la violence sexuelle est un large spectre. Julien Lacroix avait des comportements déplacés et visiblement besoin d'être éduqué sur la notion de consentement. Mais il n'était pas le monstre que les médias ont dépeint et que la colère populaire a créé. Il avait bel et bien causé des préjudices à certaines personnes. Mais aurait-il mérité la prison si les victimes avaient porté plainte à la police ? Nous ne le saurons pas. Méritait-il de perdre sa carrière et de recevoir des menaces de mort ? La question se pose et la réponse est non.

La colère, la tristesse et le choc des autres allégations peuvent créer un contexte qui rend toute réflexion difficile. L'effet d'entraînement et la pression de témoigner ont pesé sur certaines des victimes alléguées, si on se fie à leurs récents témoignages. Le tableau a changé, l'amertume s'est estompée, le ressentiment est disparu, et les regrets apparaissent.

Les conséquences du lynchage public

Quand une victime passe par les médias sociaux ou les médias traditionnels pour dénoncer un agresseur, celui-ci ne peut pas se défendre. Nous vivons dans une société qui croit en la présomption d'innocence. Le slogan "''On vous croit''", du mouvement #moiaussi / #metoo, est basé sur la notion qu'il faut croire toutes les victimes. Ceci porte préjudice au droit fondamental qu'est la présomption d'innocence, qui permet à tout individu d'avoir un procès équitable et d'obtenir une sentence juste.

L'histoire de Julien Lacroix est un dérapage du mouvement #moiaussi / #metoo. Celui-ci, semble-t-il, souffre encore de choc post-traumatique, se réveillant en pleine nuit en panique à l'idée qu'un article soit sorti à son sujet. Décrit sur les médias sociaux comme un "violeur en série", tout son entourage est évidemment affecté.

Cible d'une haine constante qui ne faiblit pas, il a dû déménager pour des raisons de sécurité. Il a fait des thérapies, cessé de consommer de l'alcool et fait amende honorable. Mais la colère populaire ne diminue pas, au point que sa famille et lui reçoivent des menaces de mort. Ayant fait le deuil d'une carrière en humour, il ne parvient pas à trouver sa place d'un point de vue professionnel, constamment scruté par l'œil d'un public qui ne lui pardonne pas.

Le rôle du système de justice

Quand quelqu'un subit des gestes qui sont des actes criminels, la chose à faire est de contacter la police. C'est à notre système de justice de traiter ces dossiers. Il est doté de règles précises qui s'assurent que les droits de chacun soient respectés.

Quand il y a pression d'être cru autant d'un côté que de l'autre, il y a place à une discussion juste sous le regard du tribunal. Il faut que les victimes fassent confiance au système judiciaire. C'est ce qui permet un processus juste et équitable dans notre système démocratique.

Quand des carrières sont détruites et des vies sont menacées sans qu'une quelconque preuve n'ait été exposée et analysée par un juge, il s'agit selon moi d'une profonde injustice.

Et personne n'en ressort gagnant.

Sur l’auteure

Me Julie Couture est avocate criminaliste depuis 2003. Elle a fait ses débuts avec l'honorable juge Marco LaBrie et l'honorable Alexandre St-Onge tous deux maintenant juge à la Cour du Québec. Fondatrice de Couture avocats, elle pratique en droit criminel et pénal exclusivement.

Maître de stage pour le barreau du Québec, elle a longtemps formé les jeunes avocats et avocates criminalistes ce qui lui a aussi permis d’avoir trois enfants. Entrepreneure depuis le début de sa pratique du droit, et très présente sur le web, elle pourra partager ses expériences afin d'aider le plus possible la communauté juridique. Elle a longtemps commenté l'actualité dans le Journal de Montréal comme l'avocate du journal et dans son blogue juridique en plus de plusieurs passages à la télévision.

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3 commentaires

  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a un an
    Madame et ses mignons?
    "Maître de stage pour le barreau du Québec, elle a longtemps formé les jeunes avocats et avocates criminalistes ce qui lui a aussi permis d’avoir trois enfants."

    Y'a tu juste moi qui pense croche??

  2. Anonyme
    Anonyme
    il y a un an
    Un grand absent en droit Québecois: le droit de réponse
    Les médias ne se priveront pas d'user et d'abuser de leur portée pour faire du buzz à peu de frais, car cette pratique leur permet de gagner facilement beaucoup d'argent.

    La France permet un droit de réponse par lequel toute personne peut donner la réplique lorsqu'elle fait l'objet d'une couverture médiatique. Cette formule visant à garantir un access équilibré au tribunal populaire, et qui pourrait être améliorée, est un ingrédient indispensable pour freiner le mémèrage déguisé en journalisme.

    Un droit de réponse par lequel une personne pourrait donner la réplique, dans un espace équivalent à clui accordé aux propos auxquels elle entend répondre, et auquel serait accordé la même visibilité que le reportage initial, ramènerait un certain calme dans le poulailler journalistique. Ce droit de réponse devrait également inclure l'obligation, pour le difffuseur, de mettre en ligne (ou de maintenir en ligne) le reportage initial, et d'y ajouter un lien vers le droit de réponse.

  3. Luc lavoie
    Luc lavoie
    il y a un an
    Vive le droit, vive la démocratie!
    Quelle avocate extraordinaire!
    Elle s'exprime tout en nuance sur "l'affaire Julien Lacroix" (un nom prédestiné), le jeune humoriste accusé d'inconduites sexuelles et jugé de façon expéditive par le "tribunal du bon peuple"
    Heureusement qu'on vit dans un pays de droit et qu'il y a des avocat.tes éclairé.es
    Vive le droit, vive la démocratie, vive le Québec!
    Lc

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