Karim Renno

Vers un changement des clauses d’exclusion ou de limitation de responsabilité?

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Karim Renno

2011-12-13 14:15:00

Les clauses d’exclusion ou de limitation de responsabilité sont admises en droit québécois. Mais cet état de fait n'est-il pas en train de changer ? Karim Renno se penche sur la question et en particulier sur une récente décision de la Cour d'appel.

Hormis les cas où elles sont expressément prohibées par la loi (par exemple en matière de protection du consommateur, voir art. 10 L.p.c.), les clauses d’exclusion ou de limitation de responsabilité sont acceptées en droit québécois. L’article 1474 C.c.Q. confirme expressément cette réalité, ajoutant cependant qu’elles seront inopérantes en cas de faute intentionnelle ou lourde. Ainsi, le cadre d’analyse quant à l’application d’une telle clause dans un litige donné est relativement simple; i.e. la clause s’applique en l’absence d’une telle faute intentionnelle ou lourde.

Le jugement récent de la Cour d’appel rendu dans l’affaire Mediterranean Shipping Company, s.a. c. Courtiers Breen ltée (2011 QCCA 2173), dont j’ai traité sur le Blogue du CRL le 30 novembre dernier, vient possiblement changer cette réalité puisque la Cour adopte le raisonnement du conseil privé dans Canada Steamship Lines Ltd. v. The King, (1952 A.C. 192). Il importe de souligner que la Cour applique dans cette affaire le droit maritime canadien (d’où sa référence à l’affaire Canada Steamship) et non pas le droit québécois, de sorte que le résultat du pourvoi n’est pas automatiquement transposable en droit civil québécois. Reste que le raisonnement adopté, lequel exige l’application d’une grille d’analyse contextuelle, pourrait influer sur l’interprétation et l’application de ces clauses en droit civil.

Karim Renno rappelle que la prescription court dès la date de la signature
Karim Renno rappelle que la prescription court dès la date de la signature
Une revue sommaire des faits de l’affaire Mediterranean Shipping s’impose d’abord. L'appelante dans cette affaire est un transporteur maritime de conteneurs et elle est engagée pour transporter des clémentines de l'Afrique du Sud à Montréal. Évidemment, les clémentines doivent être transportées dans un conteneur réfrigéré. Elles arrivent à bon port à New York par voie maritime avant d’être placées dans un convoi ferroviaire vers Montréal. C’est lors de ce dernier trajet que la perte partielle des clémentines survient en raison de l’absence de branchement, pendant des périodes prolongées, du système de réfrigération de toute source d'alimentation électrique.

La responsabilité de l’appelante n’aurait normalement fait aucun doute, sauf que le connaissement de transport contient une clause d’exclusion de responsabilité. C’est dans ce contexte que la Cour d’appel, saisie de l’appel du jugement rendu par la Cour du Québec en première instance, applique la grille d’analyse développée dans l’affaire Canada Steamship Lines.

Cette grille prévoit trois étapes d’analyse pour déterminer si la clause d’exclusion est applicable. D’abord, l’on doit se demander si le texte de la clause exonère une partie du fait de la négligence de ses employés et agents. Ensuite, si ce n’est pas expressément le cas, il faut déterminer si le vocabulaire utilisé est assez large pour conclure que telle était l’intention des parties. Finalement, si la responsabilité d’une partie est exclue en cas de négligence, il faut se demander s’il existe une autre cause d’action que la négligence qui viendrait mettre de côté l’application de la clause d’exclusion de responsabilité.

La Cour d’appel en vient à la conclusion que cette troisième étape est remplie dans l’affaire Mediterranean Shipping. En effet, selon elle, l’intention des parties était d’exclure la négligence des préposés de l’appelante, mais pas son inexécution contractuelle substantielle. Ainsi, en ne branchant pas le conteneur réfrigéré pendant de longues périodes, l’appelante a manqué de manière importante à son engagement contractuel et la clause d’exclusion ne peut trouver application en l’espèce.

Vérité soit dite, le résultat aurait probablement été le même en appliquant le droit civil québécois puisque le fait de ne pas brancher le système de réfrigération pendant une vingtaine d’heures, est probablement une faute lourde (voir des circonstances très similaires où la Cour supérieure a conclu à l’existence d’une faute lourde dans Poissonnerie Bari c. Gestion Inter-parc inc. (National Tilden), J.E. 2002-322).

La question plus large qui est de savoir si l’on peut exclure sa responsabilité pour un manquement contractuel important, reste entière cependant. L’analyse classique de l’article 1474 C.c.Q. laisse croire que oui, alors que l’application de la grille d’analyse de Canada Steamship laisse planer le doute.

Sur l'auteur:
Karim Renno est associé du cabinet Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l. Il est le fondateur et le rédacteur en chef du Blogue du CRL où il publie quotidiennement des billets de jurisprudence.
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