Comment sensibiliser les entraîneurs sportifs aux enjeux juridiques dans leur pratique?

Sonia Semere
2025-07-16 14:15:07

Depuis quelques années, le monde du basketball au Québec est ébranlé par une série d’allégations d’abus psychologiques et physiques impliquant des entraîneurs.
L’affaire ayant suscité le plus de réactions concerne Danny Vincent, une figure bien connue du basketball mineur, accusé de comportements abusifs à l’égard de plusieurs de ses joueuses sur une période de plus de 30 ans.
Face à ces dérives, deux étudiantes en droit de l’Université de Montréal, Ève Daigle et Clara Lonc, ont décidé de sensibiliser les entraîneurs sportifs aux responsabilités légales liées à l’encadrement des jeunes athlètes, par le biais d’une formation.
La première session a été offerte à une vingtaine d’entraîneurs de l’organisme Les Ballons Intensifs, qui intervient auprès de jeunes issus de milieux défavorisés. Une initiative concrète pour allier droit et sport dans une perspective de prévention et de protection.
Comment les deux étudiantes ont-elles développé cette formation? Quels sont les enjeux juridiques auxquels peuvent être confrontés les entraîneurs sportifs? Droit-inc est parti à leur rencontre.
Comment est née l’idée de cette formation?
Ève Daigle : Récemment, une décision judiciaire concernant un entraîneur de basketball très respecté au Québec, ancien membre du CA de Basketball Québec, m'a interpellée. Ce verdict défavorable à la victime a eu un impact considérable sur la communauté sportive. Cette situation a été un véritable signal d’alarme pour nous.
L’idée initiale était de proposer une formation pour sensibiliser les jeunes athlètes sur les obligations de leurs entraîneurs et sur ce qui est acceptable ou non dans la relation coach-athlète.
Cependant, Clara a rapidement suggéré un angle plus pertinent : Plutôt que de sensibiliser uniquement les jeunes, pourquoi ne pas commencer par les entraîneurs eux-mêmes ? Ce sont eux qui jouent un rôle clé dans la dynamique du sport. Si nous les formons à leurs responsabilités juridiques, cela pourrait prévenir bien des problèmes en amont.
En quoi consiste concrètement la formation que vous avez développée?
Clara Lonc : La formation est structurée autour des principales obligations légales des entraîneurs. Nous abordons les responsabilités au niveau civil, mais aussi ce qui peut se passer dans des cas plus graves, touchant la sphère criminelle, lorsqu'il s'agit de situations extrêmes ou d’abus.
L’objectif est de fournir aux entraîneurs les connaissances nécessaires pour comprendre les implications légales de leurs actions et éviter toute situation délicate. Cependant, ce qui distingue notre formation, c’est son aspect interactif et pratique. Plutôt que de proposer un format classique de cours magistral où les participants écoutent passivement, nous avons conçu un programme dynamique.
Quels sont les principaux enjeux juridiques souvent ignorés par les entraîneurs sportifs, et en quoi ces enjeux impactent-ils leur pratique quotidienne?
Ève Daigle : D’un point de vue juridique, la formation aborde plusieurs enjeux cruciaux, notamment au niveau civil. Nous commençons par expliquer la délégation de l'autorité parentale, c'est-à-dire comment les entraîneurs sont responsables des jeunes athlètes sous leur supervision. Cela inclut la prise en charge des jeunes pendant les entraînements et la gestion des situations où leur responsabilité pourrait être engagée.
Bien qu’il y ait peu de cas où la responsabilité juridique des coachs a été engagée, nous utilisons des exemples concrets pour sensibiliser les entraîneurs aux risques. Par exemple, leur responsabilité pourrait être mise en cause si des ballons sont laissés traîner sur le terrain pendant qu’un jeune court, ou encore en cas de blessures liées au surentraînement.
Clara Lonc : On commence par une vue d’ensemble de la situation actuelle, avant d’explorer des cas concrets de comportements inappropriés, comme les abus sexuels ou le harcèlement. On explique ce qu’implique réellement l’abus de pouvoir sur un jeune, en vulgarisant des concepts que nous maîtrisons bien, mais qui ne sont pas toujours clairs pour un entraîneur dans sa pratique quotidienne.
La formation se termine avec des recommandations précises du Code de conduite de la Fédération Basketball Québec, notamment concernant la gestion des relations avec les jeunes.
Par exemple, il est fortement déconseillé pour un entraîneur de rencontrer un jeune, seul à seul, dans un lieu privé. Même s’il n'y a rien d'illégal, cela peut créer une situation ambiguë qui place l’entraîneur dans une position délicate. Enfin, la formation inclut aussi l’obligation de dénoncer toute forme d’abus, qu’ils soient physiques ou sexuels, dans le cadre de la protection de la jeunesse.
Quel accueil avez-vous reçu de la part des milieux sportifs concernant votre formation? Les entraîneurs sont-ils réceptifs à ces enjeux juridiques?
Clara Lonc : L’un des objectifs de cette formation est de ne pas accuser les entraîneurs, mais plutôt de les sensibiliser aux enjeux qui se présentent dans leur quotidien. Nous ne leur avons pas dit : ‘Vous êtes responsables des abus’, mais plutôt ‘Voici des éléments qui peuvent constituer un risque, et voici ce que vous pouvez faire pour éviter ces situations’.
Par exemple, un point que nous avons abordé était l'importance de la communication transparente avec les jeunes. On suggère d’éviter les messages privés ou les conversations sur Instagram, et de privilégier la communication dans un groupe ou avec les parents pour garantir une transparence totale.
Ève Daigle : Les entraîneurs étaient très impliqués dans la formation, posaient beaucoup de questions, et cela nous a permis de clarifier certains points qui, jusqu’alors, semblaient flous pour eux. C’est une démarche qui les a non seulement éclairés, mais qui les a aussi incités à réfléchir davantage sur leur rôle et leur responsabilité dans la protection des jeunes athlètes.