L’Université de Montréal perd sa bataille contre ses profs de droit


L'Université de Montréal a subi un revers devant la Cour supérieure du Québec, qui a confirmé une décision arbitrale l'obligeant à maintenir une prime salariale de 25 % pour les professeurs de sa faculté de droit.
Après près de 20 ans de versement systématique, l'Université de Montréal ne pouvait pas abolir cette prime unilatéralement, car elle était devenue une condition de travail acquise, a statué le juge Ian Demers dans une décision rendue le 11 septembre.

Le mis en cause, l’arbitre de griefs Jean-Guy Ménard, était pour sa part représenté par Me Denis Lavoie, avocat chez Melançon, Marceau Grenier Cohen.
Une prime pour l'excellence face à un désir d'uniformité
Pendant près de deux décennies, les professeurs de la Faculté de droit de l'Université de Montréal ont bénéficié d'une prime de 25 % de leur salaire de base. Cette prime, non inscrite dans la convention collective, avait été mise en place pour attirer et retenir les meilleurs talents dans un marché hautement concurrentiel.
Bien que ce soit le corps professoral qui en ait eu l’initiative, l'institution universitaire l'a toujours versée à l'embauche et tous les cinq ans par la suite, reconnaissant de fait son existence.
Cependant, dans un souci d'uniformité et d'équité, l'Université de Montréal a décidé d'abolir cette prime pour la remplacer par une nouvelle directive encadrant des primes pour « contribution exceptionnelle » et des primes d'attraction, lesquelles n'étaient plus automatiques. Désormais, seuls certains professeurs y auraient droit, un changement substantiel pour les professeurs de la Faculté de droit.
Le Syndicat général des professeurs et professeures de l'Université de Montréal a contesté cette décision en déposant 36 griefs, soutenant que l'université avait illégalement modifié une condition de travail.
Au terme de 10 jours d’audience, l’arbitre a conclu qu’il avait compétence à l’égard du litige, que l’université avait illégalement annulé la prime de la Faculté de droit et que les professeurs avaient droit à son versement rétroactif.
Les positions des parties
L’Université de Montréal a plaidé que l'arbitre n'avait aucune compétence pour trancher un litige concernant une prime qui ne figurait pas expressément dans la convention collective. Elle a soutenu que l'abolition de cette prime relevait de son pouvoir de direction et que l'arbitre avait outrepassé son rôle en créant une nouvelle condition de travail.
Le syndicat a de son côté défendu la décision de l'arbitre, affirmant que le versement continu de la prime pendant près de 20 ans avait créé une « pratique créatrice de droit ». Pour le syndicat, même si la prime n'était pas inscrite noir sur blanc dans la convention collective, la pratique constante et répétée de l'université l'avait intégrée de manière implicite aux conditions de travail des professeurs.
La décision du tribunal
La Cour supérieure a donné raison au syndicat et rejeté l'appel de l'université, estimant la décision de l'arbitre tout à fait « raisonnable ».
Dans sa décision, le juge Ian Demers rappelle que la compétence des arbitres est vaste et exclusive en matière de griefs, et qu'elle doit être interprétée de manière libérale.
Selon lui, une lecture attentive des motifs de la décision de l’arbitre révèle que celui-ci a bel et bien tenu compte de la convention collective, quoi qu’en dise l’université.
« Il a conclu que le litige portait sur le droit des professeurs à une prime individuelle, un des deux éléments du traitement annuel tel que le définit l’art. RE1.01 de la convention, puis que le versement systématique de la prime avait créé un droit à une prime individuelle dont la modification devait être négociée », résume le juge Demers.
En s'appuyant sur la jurisprudence et sur le principe de la « pratique créatrice de droit », le juge de la Cour supérieure confirme que l'employeur ne pouvait pas abolir un avantage qui, par sa nature systématique et sa longue durée, était devenu une condition de travail bien établie.
« L’analyse exhaustive de l’arbitre repose sur la convention collective et la preuve; elle ne révèle aucune erreur de droit. L’Université la désapprouve, mais n’a pu démontrer en quoi elle ne se tient pas », tranche le juge Demers.
En plus de rejeter son pourvoi, la Cour supérieure a condamné la demanderesse à payer les frais de justice.
Il n’avait pas été possible d’obtenir les commentaires des procureurs de l’Université de Montréal au moment de mettre cet article en ligne.