Carrière et Formation

Trente ans de magistrature et un nouveau départ

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Sonia Semere

2025-07-25 15:00:42

Trente ans à la Cour, dont sept comme juge en chef… et un retour en pratique privée ! Une figure marquante de la magistrature se confie à Droit-inc.

Me Lucie Rondeau - Source : Cabinet Pelletier-Quirion
Après une carrière exceptionnelle au sein de la magistrature québécoise, Me Lucie Rondeau fait un retour remarqué à la pratique privée.

Admise au Barreau en 1980, elle a exercé pendant 15 ans comme substitut du Procureur général avant d’être nommée juge à la Cour du Québec en 1995. Elle y a consacré près de 30 ans, dont sept à titre de juge en chef et présidente du Conseil de la magistrature, de 2016 à 2023.

Retraitée de la magistrature depuis février 2025, Me Rondeau se joint aujourd’hui à l’équipe du cabinet Pelletier-Quirion à titre d’avocate-conseil.

Elle y mettra à profit une vaste expertise, notamment en droit criminel applicable aux enfants et aux adolescents, en protection de la jeunesse, en déontologie judiciaire et en gouvernance institutionnelle.

Quel regard porte-t-elle sur l’évolution du rôle de juge au fil des décennies? Quels moments ont marqué sa carrière? Sa vision du rôle de l’avocat a-t-elle changé après près de 30 ans sur le banc? Rencontre.

Après plus de 40 ans de carrière, dont près de 30 à la magistrature, vous faites aujourd’hui un retour à la pratique privée. Qu’est-ce qui vous a motivée à faire ce choix, et comment cette transition s’est-elle opérée?

La magistrature est un travail extrêmement exigeant, tant sur le plan intellectuel qu’émotionnel. C’est une fonction où la charge est lourde, et où le rythme est intense, constant. Après tant d’années dans ce cadre, on reste habitué à une certaine cadence.

J’avais encore envie de me sentir utile, de continuer à m’impliquer, mais différemment. C’est ce double désir, de rester active dans le milieu juridique et de ralentir sans pour autant décrocher, qui m’a poussée à me réinscrire au Barreau. Bien sûr, je ne me vois pas retourner en salle d’audience ou en consultation directe avec des clients.

Ce qui me parle, c’est un rôle de soutien, comme avocate-conseil. Pouvoir épauler d’autres avocats, partager mon expérience, offrir un regard externe : c’est là que je sens que je peux encore apporter quelque chose.

Vous avez choisi de vous joindre au cabinet Pelletier-Quirion. Qu’est-ce qui vous a attirée dans leur approche et comment cette collaboration s’est-elle concrétisée?

D’abord, j’ai toujours exercé à Québec et j’y réside toujours. C’était donc naturel pour moi de me joindre à un cabinet établi dans la région.

Ma spécialité, c’est le droit criminel. C’est ce que j’ai pratiqué comme avocate, notamment en tant que substitut du procureur général, comme on appelait cette fonction à l’époque, aujourd’hui assumée par les procureurs du DPCP. Pendant 15 ans, je me suis spécialisée dans les dossiers criminels touchant les enfants et les adolescents.

J’ai eu la chance de connaître Me Stéphanie Pelletier-Quirion, la fondatrice du cabinet. Elle jouit d’une excellente réputation, que j’ai pu constater moi-même. J’ai été séduite par son approche, mais aussi par la composition du cabinet : une équipe de jeunes femmes criminalistes dynamiques.

Il faut dire que lorsque j’ai commencé à pratiquer le droit criminel à Québec, en 1980, les femmes étaient pratiquement absentes de ce milieu. Alors aujourd’hui, pouvoir côtoyer et soutenir une nouvelle génération de criminalistes, c’est à la fois stimulant et porteur de sens pour moi.

Concrètement, à quoi ressemblera votre rôle comme avocate-conseil au sein du cabinet ? Comment allez-vous épauler les avocates dans leur pratique?

Mon rôle se définit vraiment en fonction des besoins exprimés. Il ne s’agit pas d’intervenir dans tous les dossiers, mais plutôt d’être disponible lorsqu’une avocate souhaite discuter d’un enjeu, obtenir un avis externe, ou prendre un peu de recul sur une situation. C’est là, je crois, que le rôle d’avocate-conseil prend tout son sens : offrir un regard différent, aider à élargir la perspective, soutenir la réflexion stratégique. On n’est pas là pour prendre en charge un client, mais bien pour soutenir les avocats dans leur propre travail.

Avec un peu de recul sur votre parcours à la magistrature, quelles sont les grandes leçons que vous en tirez? Y a-t-il des moments marquants qui ont façonné votre carrière?

Si je dois dégager une leçon essentielle de mes années sur le banc, c’est celle-ci : plus on est juge, moins on juge. Ce que je veux dire, c’est que l’écoute devient primordiale. Entendre les différentes positions, saisir la complexité des situations, comprendre profondément ce que vit chaque justiciable devant soi, cela exige une grande ouverture d’esprit et un sens aigu des responsabilités.

Être juge, c’est aussi accepter de rester en apprentissage constant. Il faut maintenir à jour ses connaissances juridiques, bien sûr, mais aussi développer des habiletés essentielles : la rédaction, la gestion d’instance, la communication. Ces compétences ont énormément évolué au fil des 30 dernières années.

J’ai aussi réalisé, à travers ce rôle, à quel point il est essentiel d’informer la population sur le rôle des juges, sur le fonctionnement des tribunaux, sur les fondements mêmes de notre système de justice dans une société démocratique. Ce travail d’information, on ne le fait probablement pas encore assez. Mais il est crucial, et il faut y revenir sans cesse. C’est une responsabilité que j’ai pleinement intégrée au fil des ans.

Selon vous, est-ce que le rôle du juge a évolué depuis votre nomination à la magistrature en 1995?

Absolument. À l’époque, la fonction judiciaire était surtout perçue comme celle d’un adjudicateur : il s’agissait principalement de trancher un litige entre deux parties. Aujourd’hui, les attentes envers les juges sont beaucoup plus larges et diversifiées.

D’abord, la responsabilité en matière de gestion des instances s’est considérablement accrue dans toutes les sphères de compétence de la Cour du Québec, que ce soit en droit criminel, civil ou jeunesse. Le juge n’est plus seulement celui qui entend la preuve et rend une décision : il est également un gestionnaire du déroulement judiciaire, avec un rôle actif à chaque étape de l’instance.

La rédaction des jugements a aussi connu une profonde transformation. Il y a maintenant un courant fort, et à mon sens, très positif, qui valorise une rédaction claire, simple et accessible. On s’éloigne des formulations excessivement techniques ou hermétiques, surtout en première instance. Le langage juridique est en train de s’adapter aux besoins de compréhension du public.

Ce changement implique aussi une évolution du rôle du juge comme communicateur. On attend de lui qu’il sache bien s’exprimer, tant à l’oral, lors de l’audience ou du prononcé d’une décision, qu’à l’écrit. Les habiletés de communication du juge doivent être beaucoup plus développées qu’elles ne l’étaient il y a 30 ans.

Enfin, l’émergence de phénomènes sociaux complexes a profondément modifié la fonction judiciaire. Le juge n’a pas à devenir expert en tout, bien sûr, mais il doit avoir une sensibilité accrue au contexte social dans lequel les litiges s’inscrivent. Que ce soit en matière de santé mentale, de violences familiales, d’itinérance, ou encore de discrimination, les enjeux sont devenus beaucoup plus multidimensionnels.

Est-ce que votre passage à la magistrature a changé votre perception du rôle de l’avocat? Revenez-vous à la pratique privée avec un regard différent sur la profession?

Mon expérience comme juge a vraiment mis en lumière l’importance capitale du rôle de l’avocat dans le bon fonctionnement du système judiciaire. Les avocats sont les piliers de ce système : ils soutiennent les justiciables, portent leur voix, structurent le débat devant les tribunaux. Je comprenais déjà, comme avocate, que plaider ne signifie pas défendre une opinion personnelle, mais bien représenter les intérêts de son client. Mais en tant que juge, il faut constamment garder cela à l’esprit. Il faut toujours faire la part des choses entre la posture de l’avocat et la position réelle du justiciable.

Mon estime pour le rôle de l’avocat n’a cessé de croître au fil des années. C’est d’ailleurs ce respect profond pour la profession qui m’a donné envie de revenir au Barreau. C’est une manière pour moi de réaffirmer la valeur que j’accorde à cette fonction essentielle dans notre société.

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