Si j’étais victime de Marcel Aubut…
Sophie Bérubé
2016-01-19 15:30:00

Admettons que lors de ce souper, Me Aubut m’ait demandé à plusieurs reprises de coucher avec lui, qu’il eut insisté, et alors que je lui aurais dit clairement non, ses paroles auraient été inappropriées et il aurait mis sa main sur ma cuisse.
Admettons que je me sois débattue avec lui et que sa main se soit rendue pratiquement jusqu’à mon sexe. Admettons que je ne me souvienne plus s’il s’était rendu ou non jusqu’à mon sexe mais que je me rappelle encore très nettement de son expression de conquérant, fier d’avoir forcé sa main sur ma cuisse et d’avoir remonté sa main le plus haut possible.
Admettons que jamais je ne puisse oublier ma panique et mon sentiment de répulsion totale. Finalement, pour les fins de l’exercice, prenons en considération que les événements médiatiques aient ravivé ces souvenirs et mon sentiment de répulsion.
Que ferais-je en 2016 ?
Je suis persuadée que je vacillerais entre garder mon histoire pour moi et la crier haut et fort dans un statut Facebook et aux autorités concernées. Je me réjouirais de cette fameuse plainte venue d’une employée de Toronto, de cette plainte qui a fait tomber le monstre.
Mais je me sentirais aussi affreusement triste lors du dévoilement du rapport du Comité olympique d’apprendre que la moitié, la moitié !, des employées rencontrées lors de l’enquête se soient senties harcelées par Aubut.
En même temps de m’écrier « Enfin ! Elles ont le courage de parler », je ressentirais un malaise, et comme Sylvie Bernier a raconté l’avoir regretté sur les ondes de Radio-Canada, je regretterais moi aussi de ne pas avoir dénoncé la situation à l’époque. J’aurais peut-être causé ma mort professionnelle, dû changer d’emploi, mais j’aurais peut-être pu prévenir d’autres agressions, d’autres « touchers non désirés ».
À l’époque, j’aurais été tétanisée à l’idée de parler, dans un monde où personne n’aurait dénoncé pareille situation. Comme jeune avocate, il fallait être coriace et être capable de gérer ce genre de situation par soi-même. C’était un monde d’hommes, après tout. Et comme l’ont dénoncé les employées du Comité olympique, il n’y avait pas de structure en place pour une plainte de harcèlement, ce qui voulait dire que le gros boss aurait pu me discréditer et me détruire le temps de le dire.
Ajouter à la descente de Marcel Aubut ?

D’ailleurs, il faut noter qu’il a l’air vraiment à terre, le pauvre Marcel. Il a perdu la présidence du COQ, son partenariat avec BCF, plusieurs amis et selon les dernières nouvelles, sa firme n’est pas tellement sollicitée. Si je portais plainte, ce serait comme frapper sur quelqu’un qui est déjà à terre, non ? Je n’aurais pas besoin de faire ça. N’a-t-il pas eu ce qu’il méritait ?
Puis, je le vois se dépêtrer dans une conférence de presse où il s’excuse d’avoir « été mal interprété ». Euh, si tu mets ta main sur le corps d’une femme ou tu lui parles de son petit cul, ce n’est pas elle qui interprète mal, champion. C’est ce que je crie dans mon salon.
Porter plainte au criminel ?
À ce moment-là où il fait croire au monde, à ses proches, et à lui-même qu’il est juste un vieux routier qui n’a pas compris son époque, j’ai juste envie de porter plainte au criminel, pour leur dire à quel point je me suis sentie sale et violée quand il a forcé sa main sur ma cuisse. Peut-être est-ce mon devoir de porter plainte pour m’assurer qu’après une petite période sur le banc des punitions, il ne revienne pas en force, avec cette même expression de conquérant qui se fout bien du mal qu’il a fait.
Mais, porter plainte au criminel… Il semble y avoir un doute si fort à savoir si ce qu’il faisait était criminel, tellement que j’ai douté moi aussi. Je suis donc allée voir sur le site du gouvernement la définition d’agression sexuelle.
Une agression sexuelle est un geste à caractère sexuel, avec ou sans contact physique, commis par un individu sans le consentement de la personne visée ou, dans certains cas, notamment dans celui des enfants, par une manipulation affective ou par du chantage. Il s’agit d’un acte visant à assujettir une autre personne à ses propres désirs par un abus de pouvoir, par l’utilisation de la force ou de la contrainte, ou sous la menace implicite ou explicite. Une agression sexuelle porte atteinte aux droits fondamentaux, notamment à l’intégrité physique et psychologique et à la sécurité de la personne.
Ça ressemblerait drôlement à ce que j’aurais vécu. Mais aurais-je envie de passer au travers du processus judiciaire et qu’il m’attende de l’autre côté avec les meilleurs avocats du Québec ? Alors que je suis passée à autre chose dans ma vie, ai-je envie d’être celle qui parte le bal ? Car je ne pourrais pas imaginer que je serais la seule qu’il ait touchée ainsi. Peut-être que la police, avec le DPCP, pourrait ouvrir un dossier consacré à son œuvre ; en me sentant plus protégée, je parlerai peut-être plus.
Contacter le Syndic ?

Je ne sais toujours pas si je porterais plainte ou non. Je me sentirais seulement comme une bombe défectueuse qui peut exploser à tout moment… ou juste pas.
La seule chose qui me rassure dans cette affaire, c’est que le tabou du harcèlement est brisé, qu’un homme aussi puissant que Marcel Aubut ne bénéficie plus de l’immunité professionnelle et sociale dont il a joui tout au long de sa carrière et que la protection de la dignité et de l’intégrité d’une personne est désormais plus importante que de « sauver la business ». Bon, pour la dernière partie, on n’est pas encore rendus là, mais on s’y dirige, trop tranquillement, mais on s’y dirige.
En terminant, au cas où l’utilisation du conditionnel ou le titre ne suffirait pas à établir ce fait ; je précise que je ne suis pas victime de Me Aubut. Je ne l’ai d’ailleurs jamais rencontré de ma vie.
Mais je voudrais remercier une de ses victimes qui m’a gentiment inspirée dans la rédaction de cet article. Il semblerait, selon elle, que ce texte reflète son état d’esprit. Je ne sais pas si elle va porter plainte, mais je lui souhaite la sérénité ainsi que d’être crue et soutenue chaque fois qu’elle racontera son histoire, que ce soit à ses proches ou aux autorités.
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ML
il y a 9 ansDonc, si je comprend bien, vous dites tous ceci:
"C'est correct mon beau Marcel chéri. Sois sans craintes et ne crains surtout pas tes collègues du Barreau ou le syndic. C'est pas de ta faute puisqu'elles t'ont toutes envoyé des signaux ambigus, elles ont flirté avec toi. Pourquoi se plaignent-elles aujourd'hui de s'être fait tripoter ou je ne sais quoi. Mais fais attention à une chose: n'oublies pas de payer tes jeans chez Simons..."
Franchement, êtes-vous tous des Marcels?
Nathaly
il y a 9 ansCe texte de Sophie est important. Sans compter qu'elle écrit si bien. Les commentaires sont... Comment dire? À la fois pertinents,ahurissants, éclairants et vraiment zoufs, aussi. Faites votre tri. Bravo Sophie. Et merci xxx
Anonyme
il y a 9 ansLa vie n'est pas noir ou blanc.
On peut décrier et condamner ce qu'a fait Aubut tout en critiquant certains commentaires ou façon de faire de certaines collègues, surtout quand on le fait de façon générale sans pointer du doigt une personne en particulier (dans mon cas parce que je n'ai jamais parlé aux personnes concernées).
On est pas nécessairement absolument d'un côté ou de l'autre. Et si on ne tappe pas sur Aubut, c'est pcq la société le fait allégrement à l'heure actuelle, on ne voit pas l'utilité de le faire.
Avocate
il y a 9 ansVoilà un commentaire intelligent. Personne ne devrait être pour ou contre Me Aubut ou les présumées victimes. On devrait cependant tirer des leçons de tout ça
coco
il y a 9 ansOn voit très bien que ces femmes ont peur de parler. Elles n'ont pas de ressources et/ou de soutient
coco
il y a 9 ansOn vois très bien que ces femmes ont peur de parler.. Elles n'ont pas de ressource et ni aide..
coco
il y a 9 ansOn voit que ces femmes ont besoin d'aide mais elles ne savent pas comment faire
coco
il y a 9 ansIl arrive quoi avec lui ??