Allégation de diffamation contre une Atikamekw : « la Métisse » perd sa cause

Radio Canada
2025-06-27 10:15:27
Une femme qui se présente comme Métisse de l'Est poursuit une artiste et militante autochtone pour diffamation…

Isabelle Falardeau, qui se fait appeler « la Métisse », a perdu son procès contre l’artiste et militante atikamekw Catherine Boivin, représentée par Mes Vincent Carney et Renaud H. Collin.
Elle estimait que cette dernière tenait des propos diffamatoires à son encontre, et notamment en ce qui concerne son identité de « Métisse ».
Isabelle Falardeau réclamait que Mme Boivin retire tous ses propos publiés sur différentes plateformes, ainsi que 90 000 $ de dommages et intérêts.
Isabelle Falardeau se présente comme une Métisse qui diffuse des connaissances qu'elle a obtenues grâce à des rencontres avec plusieurs Autochtones. Elle a notamment publié plusieurs livres sur les plantes du Québec.
La juge Sophie Picard a rejeté sa demande dans une décision rendue mercredi.
« Le tribunal est d’avis que Mme Falardeau a réussi à démontrer un préjudice, mais n’a pas réussi à démontrer l’existence d’une faute de la part de Mme Boivin, ce qui doit entraîner le rejet de son recours en diffamation. Le lien de causalité n’a pas non plus été établi entre la faute alléguée et le préjudice subi », écrit la juge Picard.
Elle indique toutefois que les propos tenus par Mme Boivin (…) sont en partie diffamatoires, puisque le citoyen ordinaire qui prendrait connaissance (de ces propos) aurait des sentiments défavorables à l’égard de Mme Falardeau.
La juge concède que Mme Falardeau a réussi à démontrer qu’elle avait été blessée par ces propos, ajoutant que le tribunal n’a aucun doute que Mme Falardeau ait pu être ébranlée par la quantité de messages reçus, dont certains agressifs. La juge indique aussi que bien avant les sorties publiques de Mme Boivin, les publications et la réputation de la plaignante étaient déjà controversées.
L’existence du préjudice ne fait donc aucun doute aux yeux du tribunal. Ceci n’implique toutefois pas systématiquement la preuve d’une faute, poursuit encore la juge. La juge Picard estime également que Catherine Boivin a tenu des propos qui représentent ses convictions profondes et qui s’inscrivent dans un débat de société d’intérêt public. Ce dernier concerne la large question de l’identité autochtone. Ces dernières années, plusieurs groupes ont commencé à se revendiquer métis.
Isabelle Falardeau, notamment, indique avoir pris le surnom de la Métisse pour rendre hommage à ses origines européennes et autochtones. La juge indique que Mme Boivin a pris le temps de se renseigner sur Mme Falardeau et de discuter avec elle. Elle souhaitait conscientiser les gens qui fréquentent ses réseaux sociaux à certains clichés, au phénomène des gens qui s’autoproclament Métis et à celui de l’appropriation culturelle.
En effet, dans ses publications, Catherine Boivin a régulièrement reproché à Isabelle Falardeau d’utiliser des connaissances autochtones pour publier des livres et, donc, en tirer une source de revenus. Mme Boivin estime que les savoirs autochtones sont sacrés et qu’un non autochtone ne peut pas les utiliser à des fins lucratives. La juge Picard soulève aussi le ton à l’occasion cru et l’ironie du langage de Mme Boivin. Il n’en demeure pas moins que, comme dans le cas de certains textes publiés par Mme Falardeau, il s’agit d’opinions fermes, mais exprimées avec intégrité et sérieux.
Pas un débat sur l'identité autochtone
La juge rappelle aussi que le débat de l’audience n’était pas de statuer sur l’identité autochtone ou non d’Isabelle Falardeau. La juge indique que plusieurs personnes s’identifient comme Métis de l’Est au Québec, sans toutefois satisfaire les critères jurisprudentiels s’appliquant à l’identification de Métis en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.
Compte tenu de la situation, la juge Picard a toutefois décidé que chaque partie devait payer ses frais de justice, « Mme Falardeau s’étant endettée de 60 000 $ relativement aux honoraires professionnels qu’elle a dû encourir dans ce dossier » et qu’elle n’avait ainsi pas pu requérir les services d’un avocat pour le procès. Dans une déclaration écrite envoyée à Espaces autochtones, Isabelle Falardeau a félicité chaleureusement la partie adverse.
« (Elles) ont la jurisprudence qu'ils rêvaient d'avoir. Je ne pense pas faire appel, j'ai assez donné. Je vais me concentrer à rebâtir ma vie, si c'est possible, dit-elle », en ajoutant que ce mouvement idéologique contre les Métis de l'Est est puissant.
« J'ai fait tout ce que je pouvais humainement. Rien ne peut empêcher ce qui s'en vient socialement », termine-t-elle.
Les avocats de Catherine Boivin n'avaient pas répondu à nos demandes de commentaires au moment de publier ces lignes.