Daniel Jolivet pourrait avoir été victime d’une erreur judiciaire

Détenu pour meurtres depuis 33 ans, Daniel Jolivet pourrait avoir été victime d’une erreur judiciaire, reconnaît le DPCP.
Daniel Jolivet pourrait ne pas avoir eu droit à un procès juste et équitable, conclut le DPCP dans une correspondance adressée à l’avocat du prisonnier et dont Droit-inc a obtenu copie.

L’auteur de cette lettre explosive envoyée à Me Nicholas St-Jacques, vice-président du Projet Innocence, est le procureur en chef aux poursuites criminelles et pénales au DPCP, Me Benoît Lauzon.
Dans cette correspondance, le DPCP, dont le mandat inclut l'examen des dossiers d'allégation de condamnation injustifiée, nuance son appréciation de la preuve contre Daniel Jolivet, déclaré coupable en 1994 d’un quadruple meurtre commis à Brossard le 10 novembre 1992.
Cette nuit-là, les trafiquants Denis Lemieux et François Leblanc ainsi que deux victimes collatérales, Katherine Morin et Nathalie Beauregard, ont été abattus.
Daniel Jolivet, aujourd'hui âgé de 67 ans, a toujours clamé son innocence.
Le cœur de la preuve accusant Jolivet, connu notamment pour ses fréquentations douteuses, ses antécédents de vols et sa possession d’armes, reposait à l'époque sur le témoignage de Claude Riendeau, un ancien policier devenu truand, puis informateur de police et délateur.
Un procès émaillé de vices et un dossier perdu
L’affaire est marquée par de troublantes irrégularités. Le procureur de la poursuite d'alors, Me Jacques Pothier, aurait notamment caché plusieurs preuves essentielles à la défense, en plus de tromper la cour.
Autre élément évocateur: un complice potentiel de Jolivet, qui avait reçu 25 000 $ de l’État et une peine réduite, n'aurait même pas été appelé à la barre en raison de ses mensonges aux policiers.
Ces éléments avaient mené la Cour d'appel du Québec à annuler la condamnation en 1998 et à ordonner un nouveau procès. Pourtant, en 2000, la Cour suprême du Canada a rétabli le verdict de culpabilité, jugeant que les « erreurs » du procès n'étaient pas suffisamment graves.
Autre détail étrange: le dossier de la poursuite lui-même a mystérieusement disparu entre la fin du procès en 1994 et le jugement de la Cour suprême, en 2000, limitant la révision par le DPCP…
Les doutes du DPCP
Malgré quatre rejets précédents de la part du Groupe de la révision des condamnations criminelles (GRCC), qui maintenait le caractère « accablant » de la preuve, le DPCP exprime aujourd'hui des doutes profonds, basés sur une revue de documents disponibles ou découverts a posteriori.
Le procureur en chef aux poursuites criminelles et pénales cite des omissions en matière de divulgation de la preuve qui, « analysées dans leur ensemble, permettent raisonnablement de convenir que la stratégie de la défense aurait pu être modifiée et solidifiée, et que le tableau général de la preuve soumis au jury aurait été différent ».
« Nous sommes d’avis qu’il existe des motifs raisonnables de conclure que monsieur Jolivet n’a probablement pas eu droit à un procès juste et équitable », écrit Me Benoît Lauzon.
Le DPCP s'étonne de l'appréciation du GRCC quant au caractère « accablant » de la preuve, surtout à la lumière du témoignage douteux du délateur Riendeau, que le juge avait pourtant qualifié de « témoin douteux dont la déposition n’avait pas été du tout corroboré sur des éléments importants ».
Bref, pour le DPCP, « l’allégation d’erreur judiciaire de monsieur Jolivet n’est pas dénuée de fondement ».
Bien que le DPCP ne puisse affirmer l'innocence factuelle de M. Jolivet, il se dit disposé à « ne pas contester qu’entre 1994 et aujourd’hui, la question de la perspective raisonnable de condamnation a évolué ».
Aussi invite-t-il l'avocat de M. Jolivet à utiliser cette correspondance pour la poursuite des démarches de son client.
Le temps presse, dit son avocat
En entrevue avec Droit-inc, Me Nicholas St-Jacques explique que le DPCP n’a pas le pouvoir d’ordonner un nouveau procès.

« Une fois qu’on a franchi toutes les étapes d’appel, la seule personne qui a le pouvoir d’ordonner un nouveau procès, c’est le ministre fédéral de la Justice, Sean Fraser. Jusqu’à maintenant, entre 2005 et 2023, le Groupe de la révision des condamnations criminelles, qui est un groupe formé par le fédéral, a refusé de donner foi aux arguments de M. Jolivet. Mais là, on a l’autorité poursuivante de l’époque, le DPCP, qui reconnaît qu’il y a des éléments de preuve qui n’ont pas été divulgués et qu’il y a possibilité que ça ait eu un impact sur l’issue du procès », expose Me St-Jacques.
Pour l’avocat, il s’agit d’un nouvel élément qui permet au ministre fédéral de rapidement ordonner un nouveau procès pour M. Jolivet. « Chaque jour qui passe, c’est un innocent qui est en prison et qui attend d’être libéré », rappelle-t-il.
Le vice-président du Projet Innocence souligne que la lettre du DPCP a été envoyée cet été au ministre fédéral de la Justice. S’il convient que « ça puisse fonctionner au ralenti durant la période estivale », il s’étonne de n’avoir reçu encore aucun retour de la part du cabinet du ministre.
« Il faut que ça bouge. M. Jolivet ne peut pas attendre encore cinq mois, six mois, même 30 jours! » insiste Me St-Jacques.
Outre la possibilité d’ordonner directement un nouveau procès, le ministre fédéral de la Justice pourrait aussi décider de faire faire une enquête pour vérifier s’il y a eu erreur judiciaire avant d’ordonner ce nouveau procès. Dans les deux cas, les avocats du Projet Innocence seraient en mesure de demander la remise en liberté de M. Jolivet, indique Me St-Jacques.
« Il y a aussi la Commission des libérations conditionnelles qui va se pencher très bientôt sur le cas de M. Jolivet. Je pense qu’elle peut être attentive à la position du DPCP », entrevoit l’avocat.
Me St-Jacques, qui a agi dans plusieurs dossiers d’erreurs judiciaires, n’arrive pas à concevoir que celui de M. Jolivet soit refusé ou encore en statu quo, « alors qu’il y a tellement d’éléments qui montrent qu’il y a eu erreur judiciaire ».
« Écoutez, il y a plus de déclarations de témoins qui n’ont pas été divulguées que de déclarations de témoins qui ont été divulguées dans le dossier », illustre-t-il.

« Ce qui est encore plus hallucinant, c’est que toutes les personnes qui sont consultées dans le dossier — on parle d’avocats seniors, des avocates qui représentaient M. Jolivet qui sont devenues juges [Mes Dominique Larochelle et Lida Sara Nouraie], du sénateur Pierre J. Dalphond qui est un ancien juge de la Cour d’appel du Québec — considèrent clairement qu’il y a eu erreur judiciaire. La seule personne qui ne le considère pas, c’est le ministre de la justice fédéral! Même le DPCP le considère maintenant! » déplore encore l’avocat.
Me St-Jacques souligne au passage que le système de révision des erreurs judiciaires a fait l'objet de plusieurs critiques au cours des dernières années, au point qu’un projet de loi créant une commission sur les erreurs judiciaires a été déposé pour pallier les lacunes de ce système.
Malheureusement, la commission n'est toujours pas en place, se désole l’avocat.