Gilbert Rozon a « les moyens de payer », disent les avocats des demanderesses

Radio Canada
2025-09-24 13:15:03

Poursuivi pour près de 14 millions de dollars par neuf femmes qui l'accusent d'agressions sexuelles, Gilbert Rozon « n'a pas fait la preuve qu'il est sans le sou », d'après ce qu'a soutenu la poursuite, mardi, devant la juge Chantal Tremblay, de la Cour supérieure. Pour une deuxième journée d'affilée, les avocats des demanderesses, Jessica Lelièvre et Bruce Johnston, ont attaqué la crédibilité du défendeur en affirmant que ce dernier ne dit pas davantage la vérité lorsqu'il laisse entendre qu'il est ruiné que lorsqu'il nie les allégations dont il fait l'objet.
En ce qui a trait aux dommages punitifs qu'il devra verser s'il est reconnu coupable, Gilbert Rozon a tout à fait les moyens de payer, a dit Me Lelièvre, ajoutant que ce dernier n'a pas fait la preuve devant la cour qu'il est désormais sans le sou.
L'avocate a expliqué qu'il était difficile pour les demanderesses d'établir combien l'ex-magnat de l'humour avait encore dans ses goussets. Par conséquent, a-t-elle fait valoir, c'est un fardeau qui est partagé avec les avocats de M. Rozon.
Me Lelièvre affirme que dans diverses parties de son témoignage, le défendeur a laissé entendre qu'il n'avait pas une grande capacité de payer. Toutefois, en la matière, sa crédibilité est nulle, a-t-elle avancé, citant devant la juge Tremblay le fait que le fondateur de Juste pour rire est encore, à ce jour, le propriétaire d'un luxueux appartement sur l'avenue Foch, à Paris. Il aurait hypothéqué cet appartement pour un million d'euros (1,63 million $ CA) et celui-ci vaudrait 5 millions de dollars canadiens.
Le défendeur est aussi propriétaire d'un domaine à Saint-André-d'Argenteuil, au Québec, dont il avait estimé la valeur à 800 000 $ en 2005, a poursuivi l'avocate des demanderesses, évaluant que cet ensemble de propriétés devait valoir un million de dollars aujourd'hui. Enfin, a dit Me Lelièvre, M. Rozon a déclaré sous serment être parmi les bénéficiaires d'une fiducie de 17 millions de dollars, une créance liée à la vente de Juste pour rire. L'avocate affirme que le défendeur y aurait ajouté un bénéficiaire, soit une compagnie à numéro dont il est l'actionnaire principal.
Me Lelièvre a aussi fait état d'un accord conclu par M. Rozon avec son ex-épouse au sujet d'une pension alimentaire pour cette dernière.
Les demandes en diffamation de Rozon
Les avocats des neuf demanderesses ont rappelé à la cour, mardi, que le défendeur maintient par ailleurs plusieurs demandes en diffamation. Des demandes qui sont manifestement abusives, a déclaré Jessica Lelièvre avant de demander à la juge Tremblay de les déclarer comme telles.
Le fondateur de Juste pour rire poursuit en diffamation, pour 450 000 $, Julie Snyder et Pénélope McQuade. Les deux animatrices se sont exprimées dans le présent procès à titre de témoins de faits similaires. En mars 2022, la Cour d'appel du Québec avait rejeté la requête des deux femmes qui souhaitaient que cette action contre elles soit considérée comme une poursuite-bâillon.
Au tour des avocats du défendeur

Dans ce procès qui a débuté le 9 décembre dernier, le fondateur de l'empire Juste pour rire est poursuivi par neuf femmes qui allèguent qu'il les a agressées sur une période de trois décennies. Gilbert Rozon, 70 ans, nie toutes les allégations. En après-midi, l'avocate du défendeur, Mélanie Morin, a entamé sa plaidoirie en accusant la poursuite d'avoir tourné les coins ronds et d'avoir fait des raccourcis intellectuels. Rejetant les prétentions voulant que son client soit un menteur et un prédateur sexuel, Me Morin s'est particulièrement insurgée à l'idée que Gilbert Rozon utilise le système de justice.
« Pardon? s'est exclamée l'avocate. Il se défend. » « Je nie totalement que nous ayons fait une preuve dégradante » à l'encontre des plaignantes, a par ailleurs réfuté l'avocate. Gilbert Rozon est un homme au parcours singulier, qui a côtoyé des milliers de personnes et a même déjà reçu des fleurs et une demande en mariage à son bureau, a décrit Me Morin.
En ce qui a trait aux neuf demanderesses, Me Morin a rappelé qu'elles s'inscrivaient dans le contexte du mouvement #MeToo. Et elles ont beau dire que ce n'est pas une question d'argent, a-t-elle poursuivi, c'est quand même 14 millions $, des montants hors norme et hors jurisprudence.
La vraisemblance des faits
L'avocate a soutenu que la juge, après avoir entendu des témoignages aussi contradictoires, devait poser la question de la vraisemblance des faits, en particulier au sujet d'événements qui se seraient produits dans des lieux publics. Pourtant, personne n'a vu ça, personne n'a été témoin, a fait remarquer Me Morin. Devant la juge Tremblay, le fondateur de Juste pour rire a reconnu avoir eu trois relations – consensuelles, selon lui – parmi tous les événements allégués dans ce procès. Il nie totalement quelque rapport ou relation que ce soit avec toutes les autres, a expliqué son avocate.
De prétendus « yeux fous »
Les avocats du défendeur affirment par ailleurs avoir la preuve qu'il y a eu contamination réelle dans les témoignages d'une partie des demanderesses et des témoins similaires. Me Morin cite en exemple le fait que seule la demanderesse Anne-Marie Charette a affirmé que M. Rozon avait des yeux fous lors de l'agression sexuelle alléguée en 1987. Par la suite, d'autres plaignantes ont prétendu avoir vu, elles aussi, ce regard sur le visage du défendeur.
«Les yeux fous n'arrivent pas de nulle part », a conclu l'avocate de Gilbert Rozon. Mes Morin et Pelletier doivent poursuivre leur plaidoirie mercredi. À la fin de la semaine, ce sera au tour du Procureur général du Québec de plaider. Dans ce procès civil, le défendeur conteste deux articles du Code civil qui l'empêchent, selon lui, d'avoir un procès juste et équitable.