« Je préférerais mourir que l’entreprise meure » : Gilbert Rozon revient à la barre

Radio Canada
2025-06-26 12:00:27

De retour à la barre des témoins mercredi dans le cadre du procès civil intenté par neuf demanderesses qui l'accusent d'attouchements ou d'agressions sexuelles, Gilbert Rozon a été invité par ses avocats à donner des détails sur l'état d'esprit qui régnait dans la cellule de crise mise sur pied par l'équipe de direction de Juste pour rire afin de répondre aux allégations qui l'ont fait sombrer, lui et son empire de l'humour.
Gilbert Rozon est arrivé calme mercredi matin dans les couloirs du palais de justice de Montréal, saluant, comme il en a l’habitude, les journalistes qui l’attendaient près de la salle d’audience. Lorsque l'un d'entre eux lui a demandé Êtes-vous stressé, M. Rozon? ce dernier s’est abstenu de répondre, poursuivant son chemin sans broncher.
Sa retenue contraste avec l’aplomb qu'il avait manifesté devant les caméras, début juin, durant la semaine lors de laquelle il a été appelé à témoigner. Il avait multiplié les déclarations devant les caméras, estimant avoir été « emporté dans le mouvement #MoiAussi » et avoir servi de « bouc émissaire ».
Avant la tempête
M. Rozon se souvient de l'ambiance effrayante qui régnait dans son cercle rapproché après avoir été mis au courant que des articles journalistiques à propos d'inconduites sexuelles alléguées devaient paraître au petit matin.
« Je vois venir une tempête (...), j’attends de voir ce que ça va être », se souvient-il.
Dans une courte période de temps, les annulations et les gels de contrats se succèdent, compromettant sérieusement les affaires de son empire Juste pour rire. Le cofondateur du festival, Alain Cousineau, blanc comme un drap, lui montre un courriel de Québecor lui annonçant la suspension d'un important contrat. Les courriels de ce genre se sont multipliés dans les heures qui ont suivi.
L'ancien président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, Michel Leblanc, lui demande de démissionner de son poste de vice-président pour alléger la pression sur l'organisation. Il reçoit un appel semblable des organisateurs des célébrations du 375e de Montréal, qui lui demandent de renoncer à son rôle de commissaire aux célébrations.
Dans une réunion avec sa garde rapprochée réunie dans son grand bureau – des membres de sa famille et des hauts placés de Juste pour rire –, on lui recommande de démissionner de son poste à la direction de l'entreprise, demande à laquelle il acquiesce.
Les mois qui ont suivi ont été un calvaire pour M. Rozon. Les premiers jours, c’est l’adrénaline qui te tient en vie, comme (après) un accident, (mais) il fallait que je vende l’entreprise, a-t-il dit.
« J’ai songé à me faire interner, parce que j'étais vraiment massacré et je n’étais plus fonctionnel », a ajouté M. Rozon, qui y a toutefois renoncé parce qu'il voulait éviter la curatelle.
Des versions divergentes
Gilbert Rozon a pu donner sa version des faits à propos de quatre des neuf témoignages des demanderesses mercredi après-midi. Il a répété avoir eu des relations consentantes avec trois d'entre elles. Par exemple, dans le dossier d’Annick Charette, M. Rozon a raconté qu'il avait invité la demanderesse chez lui, à Saint-Sauveur, après être allé boire un verre avec elle.
« J’ai commencé à lui faire des avances, assez simples, caresse dans le dos, et on s'est embrassés. Aussitôt que j’ai glissé ma main sous sa longue longue robe, elle s’est raidie », a-t-il expliqué. À la proposition de M. Rozon, ils ont dormi dans des chambres différentes, affirme-t-il, mais au levé du jour, le lendemain, je me suis retrouvé avec madame dans mon lit.
Annick Charette affirme avoir été violée par Gilbert Rozon en juin 1980. M. Rozon l’aurait entraînée dans une résidence de Saint-Sauveur, où il se serait jeté sur elle en mettant sa main dans son décolleté et en tentant de lui enlever sa culotte. Elle affirme aussi avoir dormi dans une chambre à part, mais lorsqu'elle se serait réveillée, le défendeur était sur elle, déterminé à avoir une relation sexuelle à laquelle elle se serait résignée.
En 2017, seule la plainte d'Annick Charette avait mené à des accusations criminelles de viol et d'attentat à la pudeur. En décembre 2020, au terme d'un procès devant la Cour du Québec pendant lequel il a nié les crimes allégués, Gilbert Rozon a été acquitté. Dans le cas de Lyne Charlebois et de Patricia Tulasne, M. Rozon a répété mercredi que les relations étaient consensuelles. Par rapport à Guylaine Courcelle, M. Rozon affirme tout simplement ne pas la connaître et a qualifié ses allégations de fiction mal écrite.
Retour sur la soirée au manoir Rouville
Pour la première fois, M. Rozon a donné des détails sur les événements survenus dans sa chambre du manoir Rouville avec une jeune croupière en 1998, qui l'a ensuite accusé d’agression sexuelle. Rappelons que M. Rozon avait plaidé coupable dans cette affaire et bénéficié d’une absolution inconditionnelle. Ses avocats l'ont questionné sur les événements.
À la table d'un casino qui avait été organisé au manoir Rouville, je l'ai draguée avec mon humour, je la trouvais jolie, a affirmé M. Rozon. Ce dernier a admis lui avoir caressé les jambes et les épaules, mais je ne suis pas allé sur ses parties intimes d'aucune façon, a-t-il insisté. Entre 7 et 10 minutes se sont écoulées, selon M. Rozon, entre l'arrivée de la croupière dans la chambre et son départ. Il rapporte avoir senti que la jeune femme était anxieuse jusqu'au moment où (il) lui a dit : Si tu veux partir, vas-y.
La jeune croupière a alors quitté la chambre. Le lendemain des événements, une associée de Juste pour rire Management, Gisèle Baril, a informé M. Rozon que la jeune femme aurait eu peur et que c'(était) plus grave qu'il ne le pensait. À la suite des accusations, bien qu'il ait souhaité aller jusqu'au procès, M. Rozon a fini par négocier une entente à l'amiable avec la jeune femme. S'est ensuivi un ouragan médiatique qui a mené M. Rozon à démissionner de ses fonctions de PDG de son entreprise. C’était alors la première fois qu’il a démissionné de la tête de l’entreprise, avant de le faire à nouveau 20 ans plus tard, dans la foulée de #MoiAussi.
Microdosage d'ecstasy
M. Rozon a aussi été invité par ses avocats à détailler ses habitudes de consommation de drogue et d’alcool. Cet homme qui a passé sa carrière auprès d’artistes et dans des contextes de galas festifs et arrosés a expliqué à la juge qu’il a toujours cherché, malgré le jet-set, l’équilibre entre le trop austère et le trop festif. C’est le vin que M. Rozon préfère, mais en matière de drogue, il a affirmé avoir tout essayé une ou deux fois.
Il veut cependant remettre les pendules à l'heure sur le mythe qui l'entoure depuis la fin des années 1980, début des années 1990 voulant qu'il soit un grand consommateur : c'est pour des raisons d'efficacité et non de débauche que M. Rozon affirme avoir consommé des microdoses d'ecstasy pendant des périodes de travail intensif.
Le témoignage de Pierre Karl Péladeau reporté
Le témoignage du dirigeant de Québecor, Pierre Karl Péladeau, qui avait été appelé à la barre jeudi, a été reporté au 29 août. Les deux parties doivent s'entendre sur ce qui doit être déposé comme preuve en ce qui concerne la cassation de la relation d'affaires entre Juste pour rire et Québecor.
Les neuf plaignantes (Patricia Tulasne, Lyne Charlebois, Anne-Marie Charrette, Annick Charrette, Sophie Moreau, Danie Frenette, Guylaine Courcelles, Mary Sicari et Martine Roy) lui réclament près de 14 millions de dollars en dommages pour des attouchements et des agressions sexuelles qu'elles disent avoir subis et qui se seraient produits entre 1982 et 2004. Gilbert Rozon nie ces allégations depuis le début.
L’ex-premier ministre du Québec Pierre Marc Johnson a d’ailleurs pris sa défense, début juin. Ce dernier a décrit M. Rozon comme un homme riche, séduisant et womanizer (coureur de jupons, NDLR). L'acteur et metteur en scène Serge Postigo – qui a été assigné à comparaître – a affirmé n’avoir jamais été témoin de comportements inappropriés de la part de M. Rozon.
Ce n’est toutefois pas la première fois que M. Rozon se retrouve devant les tribunaux pour des allégations à caractère sexuel. Une seule plainte au criminel avait été retenue contre Gilbert Rozon et ce dernier avait été acquitté en 2020 des accusations de viol et d'attentat à la pudeur qui pesaient contre lui. La juge avait fait valoir que le doute raisonnable avait joué en faveur de M. Rozon.