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L’avocate au string rouge déboutée

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Didier Bert

2025-08-27 15:00:49

Un tribunal vient de clore une saga où humour, image publique et pandémie se sont entrechoqués…

Un tribunal d'arbitrage a donné raison à l'Autorité des marchés financiers (AMF) qui avait licencié une avocate, dont la vidéo avec un string rouge sur le visage avait été diffusée sur les réseaux sociaux.

À l’époque, l’affaire avait fait grand bruit: alors que le port du masque était obligatoire en tout temps, qu’un couvre-feu était instauré et que tout rassemblement était interdit, certains passagers d'un vol de la compagnie Sunwing à destination du Mexique avaient violé les règles sanitaires.

Frédérique Dumas-Joyal - source : Instagram

Justin Trudeau, alors premier ministre du Canada, avait publiquement fustigé le comportement de ces passagers, les qualifiant d’ « ostrogoths ».

L’avocate en question, Frédérique Dumas-Joyal, faisait partie de ce voyage, sans que les faits qui lui étaient reprochés se soient déroulés dans l’avion.

L’avocate contestait son congédiement par son employeur. L’AMF l’avait renvoyée après qu'une vidéo ait circulé, montrant l'avocate portant un string rouge à la place d'un masque, durant un voyage au Mexique, pendant la pandémie de Covid-19.

L’arbitre Me André G. Lavoie n’a pas retenu les arguments de Me Frédérique Dumas-Joyal, défendue par le Syndicat des employées et employés professionnels-les de bureau, section local 571 (SEPB-FTQ), représenté par son avocat et directeur exécutif Me Pierrick Choinière-Lapointe.

Pour sa part, l’AMF était représentée par son avocate interne Me Élodie Brunet.

C'est le 3 janvier 2022 que l'affaire commence, alors que Frédérique Dumas-Joyal profite d’un voyage à Tulum, au Mexique, avec une de ses amies.

Quelques secondes de blague

Élodie Brunet - source : LinkedIn

Alors qu'elle fait une blague, se servant d'une petite culotte de rechange dont elle se sert comme couvre-visage, une autre voyageuse, Rachel Cantin, filme la scène.

Or, Rachel Cantin est une influenceuse qui compte un nombre important d’abonnés. Cependant, Me Dumas-Joyal ne pense pas que la vidéo de quelques secondes sera publiée.

Pourtant, la vidéo est bel et bien publiée sous forme de « story », disponible durant 24 heures. « À ce moment, je ne me doute pas de ce qui s’en vient », a-t-elle confié à l’arbitre.

Mais deux jours plus tard, Marie-France Adam, directrice principale pour la direction des ressources humaines à l’AMF, apprend qu'une vidéo circule sur les réseaux sociaux, qui concerne une employée de l’organisation.

« Des captures d’écran, montrant Frédérique Dumas-Joyal avec une culotte rouge en guise de couvre-visage, accompagnées d’un commentaire qui attire particulièrement son attention : « elle travaille pour l’AMF, intéressant », lui sont alors transmises par des procureurs externes via le contentieux », décrit la décision.

Le lendemain, soit le 6 janvier 2022, l’AMF juge qu’il est urgent « de se dissocier des commentaires et de la situation, il est décidé que le premier geste à poser est de relever provisoirement Frédérique Dumas-Joyal de ses fonctions, afin de faire enquête et valider les informations reçues. »

L'employeur demande également à rencontrer Frédérique Dumas-Joyal afin d' obtenir sa version des faits. Mais celle-ci rencontre des problèmes avec le vol de retour, et reste bloquée au Mexique.

Pierrick Choinière-Lapointe - source : LinkedIn

À la mi-journée, Sylvain Théberge, directeur des relations avec les médias à l’AMF, reçoit un courriel d'un journaliste du Journal de Montréal qui lui demande sa réaction suite à la publication d’une vidéo impliquant une employée « avec une culotte au visage en guise de masque ». Le journaliste demande une réponse avant 14 heures.

Cinq minutes avant l’échéance, l’AMF répond au journaliste qu’elle se dissocie des agissements de son avocate et qu’elle déplore les événements survenus. Elle annonce également le congédiement de l’employée, qui n’a pas encore été décidé officiellement.

La rencontre entre l’AMF et l'employée a lieu par Messenger, que celle-ci se trouve dans les toilettes de l'aéroport. Elle précise « qu’elle a suivi les règles et les consignes sanitaires, tant dans l’avion, que sur le resort et à l’aéroport ». L’AMF décide de congédier l’avocate.

La lettre de fin d’emploi mentionne:

« Après vérification, l’Autorité conclut que votre association à des événements et publications qui ont fait scandale au cours des derniers jours est fort préoccupante et est de nature à porter atteinte à l’image et à la réputation de l’Autorité. Cette situation est inacceptable et l’Autorité ne peut tolérer d’y être associée.

En tant qu’avocate, vous avez prêté serment de toujours avoir le « souci de ne pas compromettre l’honneur et la dignité » de votre profession. De notre point de vue, les éléments susmentionnés, avec la couverture médiatique qu’ils ont reçue au cours des derniers jours et pris dans le contexte des mesures sanitaires strictes décrétées au cours des dernières semaines, sont incompatibles avec vos fonctions d’avocate. Vos comportements démontrent, entre autres, un grave manque de jugement. »

Un manque de jugement

L'arbitre a donné raison à l’AMF tout en précisant qu’il ne s’agissait pas « de sonder les intentions malveillantes ou non de Frédérique Dumas-Joyal, intention dont je n’ai pas la preuve au demeurant, mais de voir les conséquences de la publication » de la vidéo.

« Frédérique Dumas-Joyal a certainement manqué de jugement en portant à son visage sa culotte, pour en faire un masque, dans le contexte où des gens perdaient la vie en raison de la propagation du virus. Elle aura payé cher sa « blague » en se portant atteinte à elle-même, à l’image que les gens se faisaient d’elle et à son rôle d’avocate », considère l’arbitre.

Il ajoute: « Alors que son rôle d’avocate est de conseiller et faire respecter les règles, elle donne, par son comportement, toute les apparences qu’elle n’a pas une grande déférence à l’égard des consignes sanitaires qui devaient prévaloir au Québec. »

Avant de conclure: « À mon sens, considérant ce qui précède, l’AMF avait raison de croire que son image et sa réputation étaient en péril, et le motif invoqué au soutien de sa lettre du 6 janvier 2022 ne m’apparaît ni abusif ou arbitraire. »

Pas membre du Barreau

Devant le tribunal d'arbitrage, la partie patronale a relevé que Frédérique Dumas-Joyal n’était pas membre en règle du Barreau, faute d’avoir acquitté sa cotisation annuelle en novembre 2021, au moment de son assermentation en novembre 2021, c’est-à-dire quelques semaines avant son congédiement.

La partie patronale contestait ainsi que la plaignante puisse être considérée comme juriste au sens de la convention collective… ce à quoi la partie syndicale a avancé que « l’employeur estimait qu’elle est avocate et qu’en définitive, il est clair que tout ce volet du dossier relève d’un imbroglio. » D'ailleurs, la lettre de fin d'emploi qualifie l'employée d’avocate.

Le 6 janvier 2022, le Barreau apprend que Frédérique Dumas-Joyal utilise le titre d'avocate alors qu’elle n'est pas inscrite au tableau de l'Ordre. Elle sera convoquée devant le Comité d'accès à la profession, puis déclarée admissible à l'inscription, et finalement inscrite au Barreau le 24 novembre 2022.

L'arbitre a rejeté le grief de la partie patronale en la déclarant admissible à la convention collective.

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