Les juges, gardiens de la Charte, oui, mais…

La Cour supérieure annule un acquittement prononcé par une juge de la Cour municipale qui a sorti de son chapeau un argument lié à la Charte…

La Cour supérieure du Québec a ordonné la tenue d'une nouvelle instruction dans une affaire d'amende pour vitres teintées, estimant que la juge de la Cour municipale de Blainville a commis une erreur de droit en acquittant un automobiliste.
Le jugement sur l’appel de l’acquittement a été rendu le mois dernier par le juge Éric Downs. L’appelante, la Ville de Blainville, était représentée par Me Jade Milette, alors que l’intimé-défendeur, Samuel Champagne, était non représenté.

La Ville de Blainville en avait contre un jugement rendu oralement par la juge Nathalie Thibault, le 20 novembre 2024. Celle-ci avait fondé sa décision sur une question de droit qu'elle avait soulevée d'office, sans jamais permettre aux parties d'en débattre…
Le contexte
L’intimé avait été intercepté pour les vitres trop teintées de son véhicule. Selon le policier, la vitre du côté conducteur était si foncée qu'il pouvait difficilement voir l'intérieur du véhicule. Après l'interception, l'agent aurait constaté la présence d'une pellicule sur la vitre, confirmant l'infraction.
En cour municipale, l'accusé a affirmé que ses vitres n'étaient pas si foncées et que les conditions météorologiques sombres expliquaient la difficulté de visibilité. La juge Nathalie Thibault a finalement acquitté l'automobiliste, mais pas pour les raisons invoquées par la défense...
La décision surprenante de la juge de première instance
Dans son jugement rendu séance tenante, la juge Thibault a exclu une partie de la preuve soumise par le policier, soit le fait qu'il aurait gratté la vitre pour constater la pellicule. Elle a justifié cette exclusion en invoquant une atteinte à un droit reconnu par la Charte des droits et libertés de la personne du Québec.
Selon elle, le policier aurait « mobilisé » l'accusé contre lui-même en lui demandant de remonter sa fenêtre après l'avoir baissée, sans l'informer des raisons de cette demande. Elle a jugé que cette action constituait une quête de preuve illégale, et a donc écarté l'élément de preuve concernant la pellicule.
À noter que la juge de première instance n’a pas précisé sur quel article de droit se fondait cette atteinte ni en vertu de quel article la preuve était ainsi exclue. L'acquittement a été prononcé uniquement sur la base que la preuve initiale était insuffisante pour une condamnation.
Le hic? Ni le procureur de la Ville ni l'accusé n'avaient soulevé cet argument de la Charte pendant le procès. La juge a soulevé la question d'elle-même, sans donner aux parties l'occasion de présenter leurs arguments ou de faire entendre l'agent en question à ce sujet.
La Cour supérieure annule la décision
La Ville de Blainville a donc fait appel du jugement, soutenant que la juge avait commis une erreur de droit. Le juge Éric Downs a donné raison à la municipalité.
Avant de répondre à la question soulevée par l’appel, le juge Downs a souligné que « les juges d’appel doivent garder à l’esprit les contraintes de temps et de volume auxquelles les tribunaux de première instance en matière criminelle et pénale sont assujettis ».
Selon le juge Downs, même si les juges sont les « gardiens de la Charte » et peuvent soulever des questions de droits constitutionnels d'office, ils doivent impérativement respecter la règle fondamentale du droit d'être entendu (audi alteram partem).
En se prononçant sur l'atteinte à la Charte et en excluant la preuve sans en informer les parties au préalable, la juge a privé la poursuite de l'opportunité de présenter ses arguments et de défendre la validité de la preuve, a fait valoir le juge.
« En omettant d’informer l’appelante qu’elle entendait se prononcer sur la violation et l’exclusion de la preuve, le Tribunal conclut que la juge d’instance a commis une erreur de droit et que justice n’a pas été rendue. Ici, l’erreur n’est pas sans conséquence puisqu’il s’agit d’un manquement à l’équité procédurale. Le Tribunal ne peut donc qu’ordonner la tenue d’une nouvelle audition afin de pallier l’erreur, considérant aussi son impact sur l’issue de l’affaire », a conclu le juge de la Cour supérieure.