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L’impact de l’amiante sur la santé mentale pourrait être reconnu par la cour

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Radio Canada

2025-09-26 10:15:04

Une centaine de personnes disant vivre avec des séquelles psychologiques d’une exposition à l’amiante pourront faire entendre leurs arguments devant la justice…
Caroline De Rosnay et sa fille alors qu'elle était bébé - source : Radio-Canada


Quand Caroline De Rosnay a appris, en 2019, que sa fille a vraisemblablement été exposée à de l’amiante dans sa propre résidence, le choc a été total. J'ai eu l'impression de ne pas pouvoir protéger mon enfant. Ça m'a coupé les jambes, cette journée-là, se souvient-elle. Les larmes roulent sur ses joues lorsqu’elle apprend cette terrible nouvelle, lors d’une assemblée de résidents. Devant les caméras d’Enquête, ils découvrent que l’édifice Crane avait fait l’objet d’un désamiantage, en 2015, sans les précautions réglementaires.

Or, l’exposition à la poussière d’amiante, avait alors expliqué un épidémiologiste invité, entraîne un risque de développer un cancer comme le mésothéliome, pouvant se révéler des années plus tard seulement. Des images, obtenues à l’époque par Enquête, montraient que les mesures appropriées pour isoler les travaux dans le sous-sol n’avaient pas été prises, permettant aux fibres d’amiante de circuler librement dans l’air de l'édifice montréalais où logeaient des dizaines de résidents, dont Caroline et sa fille.

La poussière d’amiante pouvait notamment remonter aux étages par l’ascenseur qu’elles utilisaient. On y voyait aussi des travailleurs retirer de l’amiante exposé, un cancérigène, sans porter les protections obligatoires, ce qui mettait à la fois leur santé en jeu et les transformait en source de contamination.

Aujourd’hui, sa fille est âgée de 11 ans et elle est en pleine santé. Mais la seule idée que la maladie puisse se développer continue de la hanter. Je me voyais dans la poussière, dans l'ascenseur avec mon enfant. Je me dis : je l'ai exposé, moi, explique-t-elle, encore incapable de retenir ses larmes. Je veux la voir grandir. Je veux la voir se marier. L'enfant que tu mets au monde, tu veux juste son bien. Il y a un sentiment de culpabilité qui rentre en jeu. ( Le cancer ), ça peut être dans cinq ans, dix ans, quarante ans. Et c'est une angoisse qui continue, de savoir que mon enfant est exposé à ça, et moi aussi. C'est ce nuage noir qui reste toujours en moi.

Incapable de calmer ses inquiétudes, Caroline De Rosnay a intenté un recours collectif. Et la juge Florence Lucas de la Cour supérieure a récemment accueilli sa requête, qui devra maintenant être entendue sur le fond.

Ce dossier pourrait être un précédent pour l'amiante, explique Me Julia Garzon, qui représente le groupe, en ce que la Cour permet un recours collectif, reconnaît qu'une exposition à l'amiante, même minime, peut causer un dommage psychologique chez les individus qui ont été exposés.

La juge note, dans les images, les gestes, les paroles et les pleurs de (la demanderesse) dans le cadre du reportage Le tueur caché derrière les murs, une anxiété exprimée aussi par d’autres personnes susceptibles d’avoir été exposées aux poussières d’amiante. Elle estime que la preuve présentée est suffisante pour faire la démonstration d’une cause défendable à compenser des dommages psychologiques relatifs aux craintes et appréhensions liées à l’exposition à l’amiante.

La juge estime que plus d'une centaine de personnes ont pu être ainsi exposées, considérant la trentaine d'appartements en location, les activités résidentielles et commerciales ainsi que les travaux de construction menés en parallèle, et ce, même avec la période limitée à la durée des travaux de désamiantage non conformes dans le sous-sol de l’édifice Crane. La Cour confirme qu’il est tout à fait raisonnable que ces membres-là aient souffert un préjudice psychologique en étant exposés à l'amiante, commente Me Garzon.

L’amiante, comme les TCE à Shannon?

Dans sa décision, la juge estime précisément que les craintes et les inquiétudes liées à la santé peuvent, dans de rares cas, constituer un préjudice moral indemnisable. Elle fait un parallèle avec l’affaire de l’eau contaminée au trichloroéthylène (TCE) à Shannon, dans la région de Québec. Dans cette municipalité, les résidents, dont certains étaient atteints d’un cancer, avaient été informés que la nappe phréatique des puits privés de leurs propriétés, situées près de la rivière Jacques-Cartier, était possiblement contaminée au TCE, un solvant longtemps utilisé sur la base militaire de Valcartier.

Puits d’eau à Shannon avec des cadenas - source : Radio-Canada / Maxime Corneau
Marie-Paule Spieser, une résidente de la municipalité, avait porté l’affaire devant les tribunaux. Même si ultimement, aucun lien suffisant entre le TCE et les cancers recensés chez les citoyens de Shannon n'a été démontré, plus de 17 ans de bataille devant la justice auront finalement permis aux citoyens vivant dans la zone la plus fortement contaminée d’avoir droit à une indemnisation allant jusqu’à 60 000 $. Dans le cas de l’eau contaminée à Shannon, rappelle la juge Lucas, une aide psychologique a été offerte et les craintes et appréhensions étaient objectivement vérifiables.

« En l’espèce, le Tribunal estime que la situation qui nous occupe (à l’édifice Crane) s'apparente à celle de l'affaire Spieser, dans la mesure où la demanderesse et les membres, dès le mois de novembre 2019, ont été rencontrés par un épidémiologiste les informant des précautions à prendre afin d'éviter le déplacement de particules d'amiante dans l'air, vu leur impact néfaste sur la santé. Ces craintes ont été renforcées par les opinions des professionnels obtenues dans le cadre du reportage en 2020 ».

Appelé à réagir à la suite de la publication de la décision, le copropriétaire de l’édifice Crane, Philip Kaufman, a refusé de commenter. En 2020, quand nous l’avions appelé dans le cadre du reportage, il avait nié avoir exposé les gens à l’amiante en toute connaissance de cause. Et lorsque nous lui avions montré les images d’un travailleur qui manipulait sans équipement de l’amiante exposé autour du réservoir pour le retirer avant une visite de la CNESST dans le sous-sol de son édifice, il avait dit ne pas reconnaître ces images.

La Ville et les organismes publics exonérés

Dans cette affaire, le concierge de l’époque, Stewart McAdam, avait tenté d’informer autant la Ville de Montréal que la Régie du bâtiment du Québec (RBQ), la Commission de la construction du Québec (CCQ) et la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) des travaux bâclés. La CCQ était intervenue pour l'embauche de travailleurs non qualifiés. Les propriétaires ont dû verser 270 000 $ en salaires impayés. Selon nos informations, la CCQ avait également signalé la présence potentielle d’amiante à la CNESST, qui nous avait confirmé qu’il y avait eu une plainte et une visite, mais qu’aucun arrêt des travaux n'avait été ordonné.

Comme les propriétaires, ces organismes publics étaient tous initialement visés par le recours. Mais ils en ont tous été écartés par la juge. Elle a estimé que la preuve ne permettait pas de démontrer leur responsabilité quant à l’exposition à l’amiante. Ils ont tous préféré ne pas commenter la décision.

« Ces organismes publics, c'est difficile au niveau juridique, parce qu’il faut que ça soit une faute qui est plus élevée au niveau de la jurisprudence, explique Me Julia Garzon. Certains organismes bénéficient d'une immunité. Ce qui fait en sorte que quand on exerce notre mandat de bonne foi, on est protégé, on ne peut pas se faire poursuivre ».

L'immeuble Crane, au 3800, rue Saint-Patrick, à Montréal - source : Radio-Canada

Pour la suite des choses, l’avocate invite quiconque pense avoir été exposé à de l’amiante lors des travaux de désamiantage, entre le 23 décembre 2014 et le 12 juin 2015 à l’édifice Crane, à se manifester auprès d’elle. Il peut s’agir d’usagers, de locataires ou de personnes qui habitaient l'immeuble, situé au 2240-2250, rue Pitt ou au 3800, rue Saint-Patrick, à Montréal. Les visiteurs ou les clients de l'immeuble peuvent également la contacter.

Tous doivent être résidents du Québec. Quelle que soit l’issue de ce recours collectif, l’Association des victimes de l’amiante du Québec, l’AVAQ, estime que cette cause rappelle l’importance, encore aujourd’hui, d’encadrer adéquatement les travaux de rénovation qui risquent de mener à des expositions à l’amiante, que ce soit intentionnellement ou non.

« L’AVAQ tient à souligner l’importance de l’action collective entreprise par des résidents de l’immeuble Crane à Montréal », a indiqué le président par intérim Paul Brosseau. Il souligne que le sujet demeure malheureusement d'actualité, à preuve : vendredi sera la Journée de sensibilisation au mésothéliome.

« Ces résidents ont été exposés à la fibre d’amiante lors des rénovations entreprises dans leur immeuble sans mesures de prévention appropriées. (...) Il est essentiel d’instaurer des moyens de prévention très rigoureux pour tous, autant pour les travailleurs effectuant les travaux que pour les résidents des immeubles où sont effectués les travaux. »

Pour Caroline De Rosnay, la bataille s’annonce longue et vraisemblablement peu payante. Mais elle en fait une question de principe. Ce n'est pas une question d'argent, c'est une question de prendre responsabilité pour les actions qui ont été posées.

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