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Pourquoi n'y aura-t-il pas de deuxième procès pour l'ex-juge Delisle ?

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Julie Couture

2022-04-19 11:15:00

Un jugement rendu le 4 avril acquitte l'ex-Juge Delisle des accusations de meurtre qui bénéficie d'un arrêt des procédures. Une criminaliste explique les fondements derrière ce jugement qui en a étonné plus d'un…
Me Julie Couture, l’auteure de cet article.
Me Julie Couture, l’auteure de cet article.
L'ancien magistrat n’aura donc pas à subir un second procès quant à la possibilité d’avoir assassiné sa femme, Nicole Rainville. Le juge Jean-François Émond a conclu que le pathologiste André Bourgault avait fait preuve de grave négligence au moment de l'autopsie. Il a donc accueilli la requête en arrêt des procédures.

Dès le lendemain de l'annonce du jugement, nous apprenions d'ailleurs qu'une enquête publique est réclamée pour faire la lumière sur les fautes commises par le Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale de Montréal dans ce procès. On leur reproche également le manque d'objectivité de plusieurs scientifiques qui y travaillent.

Requête en arrêt des procédures avant le second procès de l'ex-juge Delisle

L'ex-juge Delisle devait faire face à la justice pour une dernière fois lors de ce second procès. On peut facilement imaginer qu'à l'âge de 86 ans, la perspective de faire face à un deuxième procès très médiatisé n'était souhaitable ni pour l'ancien juge, ni pour sa famille. Ainsi, avant la tenue de celui-ci, l’accusé a présenté une requête en arrêt des procédures en invoquant différents motifs.

Les conséquences de l'autopsie bâclée

Certains seront tentés de dire qu’il n’y a pas de justice et que l'ex-juge s’en tire à bon compte. Or, il faut avant tout mesurer l'impact que peuvent avoir les fautes commises ou la négligence des pathologistes et balisticiens sur la défense de l'accusé. Le dossier de Jacques Delisle est fort complexe et nécessitait une expertise balistique sans faille, dans un contexte où les thèses du suicide et du meurtre étaient toutes deux envisagées.

Tout remonte à l’autopsie de Mme Nicole Rainville. Le pathologiste en charge a omis de documenter, photographier et conserver les coupes du cerveau de la victime. En effet, ceci aurait permis de démontrer la trajectoire de la balle. Dans le contexte où on tente de déterminer s'il s'agit d'un meurtre ou d'un suicide, l'angle du tir constitue évidemment une information cruciale.

L'ex-juge Delisle privé de son droit à une défense pleine et entière

Cette omission prive la défense d'un élément de preuve crucial : la confirmation de la trajectoire du projectile dans le cerveau de la défunte. La non-disponibilité de cette preuve est à ce point dommageable que le droit du requérant de présenter une défense pleine et entière s’en trouve violé.

Après une rigoureuse analyse, le juge Émond en est venu à la conclusion qu’il n’y aura pas de deuxième procès. En effet, les probabilités que ce dernier soit inéquitable pour l’accusé sont très élevées.

Contre-expertise impossible

Le pathologiste André Bourgault aurait pu témoigner de ce qu’il a vu pendant l'autopsie. Mais en l'absence de photographies, documentation ou coupes du cerveau, rien ne permettrait à la défense de contredire son témoignage. En effet, il est la seule personne qui a pu analyser le cerveau de la défunte. Ceci constitue un déni de justice. Cela prive la défense du privilège de contre-expertiser les informations fournies par le témoin.

Pour ceci, le juge Émond blâme le pathologiste qui n'a pas respecté les standards en matière d'autopsie. De ce fait, il estime que notre système de justice canadien n’a pas à endosser cette erreur. Il tranche donc : il n'y aura pas de nouveau procès. C’est une longue bataille qui se termine enfin pour Jacques Delisle.

L'importance cruciale de tous les éléments de preuve

Pour bien défendre un accusé, dans ce genre de cas où seule une expertise peut faire pencher la balance, il est primordial que la défense ait accès à ces éléments de preuves. Elle peut ainsi faire faire une contre-expertise. Celle-ci permet de soulever de nouveaux éléments ou de remettre en cause les arguments présentés par la Couronne.

Dans cette histoire, les pathologistes engagés par la défense n’ont pu émettre leurs hypothèses, puisque les éléments n’ont pas été conservés et n'étaient pas disponibles. C'est à n'y rien comprendre, car il est pourtant évident que ces éléments de preuve sont cruciaux dans une mort suspecte. L’erreur s'est avérée irrémédiable, puisqu’il n’est désormais plus possible de vérifier la trajectoire de la balle qui a causé le décès dans le cerveau de la défunte.

Erreurs judiciaires et négligence au laboratoire

Le Laboratoire des sciences judiciaires et de médecines légales de Montréal, fondé par le médecin scientifique en criminalistique québécois Wilfrid Delorme en 1910, œuvre afin de réaliser des expertises justes et objectives pour les tribunaux. Le travail de ces scientifiques vise à éviter des erreurs judiciaires.

Il arrive malheureusement encore fréquemment que nous assistions à des erreurs judiciaires. Notre système judiciaire canadien vise à ce qu'aucun individu ne soit condamné si sa culpabilité n'est pas prouvée "hors de tout doute raisonnable". Or, aucun système n'est parfait. Malheureusement, il arrive encore que des innocents soient accusés et déclarés coupables de crimes qu’ils n’ont pas commis.

Chaque acteur du système judiciaire a pour mandat de toujours faire ressortir la vérité. La destruction de ces éléments de preuve est un triste exemple où les circonstances du décès auraient dû être mieux analysées. L'accusé se retrouvant privé du droit à une défense pleine et entière, quand il n'y a pas d'autres alternatives, l'arrêt des procédures doit être ordonné.

Était-ce vraiment la seule solution ?

La preuve étant perdue à jamais, est-ce que l’arrêt des procédures était vraiment la seule solution dans ces circonstances ? La question se pose.

Or, l'état a été incapable de prouver l’absence de négligence vis-à-vis de l’accusé. Il revenait à la poursuite de prouver qu’il n’y avait eu aucune négligence de la part du pathologiste. Lors du premier procès, il y a 10 ans, le pathologiste a dit ce qu'il avait observé et s'attendait simplement à être cru. En 2022, on refuse d'assumer qu'il détenait la vérité uniquement parce qu'il est le seul à avoir vu et manipulé les éléments de preuve. Sept experts pathologistes présentés par la défense ont fourni des rapports qui ont confirmé les erreurs du pathologiste d'origine.

Pour préserver l’intégrité du système de justice canadien, la recherche de la vérité doit se faire en symbiose avec les règles d’équité procédurales. Ceci est nécessaire afin d'offrir à chaque individu un procès juste et équitable. Le juge Émond n’a donc pas eu à se baser sur d'autres motifs pour rendre un jugement d’arrêt des procédures.

« La société n’a aucun intérêt dans la tenue d’un procès qui s’avérera inexorablement inéquitable. L’intérêt que représente pour la société un jugement définitif statuant sur le fond et le processus de recherche de vérité ne sauraient prévaloir si l’équité du procès est irrémédiablement compromise par la faute de l’État. »
''Extrait tiré de la décision''

La fin d'une longue saga pour l'ex-juge Delisle

Pourquoi ces éléments n’ont-ils donc pas été plaidés au premier procès ? Nous ne le savons pas. L’accusé a le droit de soulever les éléments de son choix, même si cela n’a pas été plaidé la première fois. L’accusé a toujours le droit de soutenir que son procès est possiblement inéquitable. Rien ne l’empêche de présenter les requêtes de son choix. La longue bataille d'experts et l'analyse du juge Émond mettent fin à cette longue saga judiciaire ultra médiatisée. L'ancien magistrat est acquitté des accusations qui pesaient contre lui.

On peut donc dire que justice a été rendue en faveur de l’ex-juge Delisle. En effet, l’ensemble des circonstances du dossier rendrait abusive la tenue d’un deuxième procès. Toutes ces procédures avaient déjà permis au quadragénaire de retrouver sa liberté, après neuf ans d'emprisonnement, mais il est exact de dire que cette saga se termine pour celui-ci.

La Couronne a évidemment 30 jours pour déterminer si elle portera la décision en appel.

Sur l’auteure

Me Julie Couture est avocate criminaliste depuis 2003. Elle a fait ses débuts avec l'honorable juge Marco LaBrie et l'honorable Alexandre St-Onge tous deux maintenant juge à la Cour du Québec. Fondatrice de Couture avocats, elle pratique en droit criminel et pénal exclusivement.

Maître de stage pour le barreau du Québec, elle a longtemps formé les jeunes avocats et avocates criminalistes ce qui lui a aussi permis d’avoir trois enfants. Entrepreneure depuis le début de sa pratique du droit, et très présente sur le web, elle pourra partager ses expériences afin d'aider le plus possible la communauté juridique. Elle a longtemps commenté l'actualité dans le Journal de Montréal comme l'avocate du journal et dans son blogue juridique en plus de plusieurs passages à la télévision.

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