Prise dans une fusillade, une famille poursuit le SPVM et la Ville de Montréal

Radio Canada
2025-08-05 10:15:51

La famille Abdallah, qui s'est retrouvée malgré elle au cœur d'une fusillade durant une intervention policière l'an dernier, réclame 6,5 millions $ au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) ainsi qu'à la Ville de Montréal. Les six membres de la famille reprochent aux agents du SPVM d’avoir agi de manière négligente et téméraire à leur égard, provoquant ainsi de graves séquelles avec lesquelles ils doivent maintenant composer au quotidien.
La Ville de Montréal a indiqué qu'elle ne formulera aucun commentaire compte tenu de la judiciarisation du dossier. Le SPVM indique pour sa part collaborer pleinement avec les autorités compétentes et réitère son engagement à agir de façon rigoureuse et conforme aux lois.
Il y a un an, le 4 août 2024, une intervention policière dans un quartier de Dollard-des-Ormeaux, dans l'ouest de l'île de Montréal, blessait plusieurs membres de la famille Abdallah qui revenait d'un voyage de camping.
Au moment où ils déchargeaient le coffre de leur camionnette, un suspect qui tentait de fuir les policiers a surgi en réclamant les clés de la voiture avant de s'y réfugier. S'en est suivi un échange d'une quarantaine de coups de feu entre le suspect, présumé membre d'un gang de rue, et les forces policières.
« On a tenté de s'enfuir et les coups de feu sont partis de tous les bords. Je ne peux même pas vous dire qui tirait sur qui. C'était le chaos », avait indiqué à l'époque Jana Abdallah.
En deux temps, trois mouvements, son père Houssam Abdallah et son frère Abdel-Rahman Abdallah ont été atteints par balle lors de la fusillade. Abdel-Rahman, alors âgé de 18 ans, a reçu un projectile dans le dos à seulement 2 centimètres de sa colonne vertébrale. Dès qu’il s’est écroulé au sol, le père de famille, alors âgé de 52 ans, s’est jeté devant ses deux enfants pour servir d’écran aux coups de feu. Il aura reçu 6 projectiles.
Le père et le fils sont restés au sol, grièvement blessés, sans qu’aucuns soins ne leur soient prodigués pendant au moins une heure.
Virginie Dufresne-Lemire, une des avocates représentant la famille, indique que dans le cadre de la poursuite, l'usage de la force policière sera fortement mis en question. Avec le peu d'informations dont nous disposons, pour nous, à l'heure actuelle, ce n'était pas justifié. Un an plus tard, la famille Abdallah ne sait toujours pas si c'est la police ou le suspect qui a tiré sur le père et le fils, ni pourquoi la police les a menottés lors de l'intervention.
Aucune poursuite criminelle contre les policiers
Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) du Québec a conclu en juin que les policiers impliqués n'avaient commis aucun crime, après avoir examiné un rapport du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), qui enquête chaque fois qu'un citoyen est tué ou blessé lors d'une opération policière.
« On reçoit la nouvelle avec déception. On ne peut pas évaluer cette décision, car on n'a pas assez d'information pour l'instant, mais on est forcément déçu », souligne Me Dufresne-Lemire, en conférence de presse, lundi. Le suspect Nackeal Hickey, alors âgé de 26 ans, a pour sa part été appréhendé par les policiers après s’être réfugié dans la voiture de la famille Abdallah. Il fait face à 17 chefs d'accusation, dont quatre pour tentative de meurtre à l'encontre des agents du SPVM.
Or, ce que déplorent et contestent les avocats de la famille, c'est que le suspect, tout comme les policiers, n'a pas été accusé de tentative de meurtre à l'encontre des membres de la famille Abdallah. Ils espèrent que la poursuite pourra répondre à certaines questions demeurées sans réponses.
La famille critique aussi le fait que Houssam Abdallah et son fils Abdel-Rahman Abdallah aient été menottés sur les lieux par les policiers.
Alors qu'il était au sol, « ils ont retourné (mon père) de force et l'ont menotté », critique Jana Abdallah, qui a indubitablement eu plus de chance que les autres membres de sa famille.
Ce n’est que lorsque l’ambulancière a insisté qu’il fallait lui enlever les menottes pour le traiter qu’ils l’ont fait, dans l'ambulance, avait dénoncé la jeune femme alors âgée de 16 ans. Selon Mme Abdallah, son frère a aussi été transporté à l’hôpital menotté, puisque les policiers le considéraient comme suspect numéro un.
On croit qu'il a été victime de profilage, mais on ne sait pas s'il a été causé par l’âge, l’origine ou la religion. On ne sait rien, réitère Me Dufresne-Lemire. Ni la famille ni l'avocate n'ont pu consulter le rapport balistique, puisque des procédures judiciaires contre Nackeal Hickey sont en cours. On va quand même essayer de mettre la main sur le rapport et, évidemment, de protéger la procédure judiciaire, souligne Me Dufresne-Lemire.
Le montant de 6,5 millions $ réclamé par la famille a été déterminé par l'évaluation de l'entièreté des dommages subis, la perte estimée de salaire, les frais médicaux passés et futurs, etc. L'objectif est de redonner les ressources nécessaires à la famille afin qu'elle puisse retrouver une vie stable, leur vie d'avant, indique par ailleurs l'avocate.
Ces temps incertains rendent difficile d’imaginer ce que l’avenir nous réserve et quels coûts il entraînera. Le recours judiciaire que nous annonçons aujourd’hui vise à nous aider à couvrir ces coûts, mais ce processus est lui-même onéreux, a ajouté Jana Abdallah.
Un quotidien bouleversé
La famille et ses avocats assurent que leur quotidien a été bouleversé : rendez-vous médicaux quotidiens, douleurs chroniques, redistribution des rôles dans la famille, perte de salaire, etc. Houssam Abdallah, qui est resté près d'un mois à l'hôpital et qui a dû subir de multiples opérations, se déplace difficilement en marchette. Les mois suivants ont été ponctués de souffrance et d’obstacles. Pour chaque deux pas en avant, j'en recule d’un. Je suis passé du travail à l’hôpital, à y passer mes journées pour mes rendez-vous. Le chemin ne fait que commencer et le bout du tunnel reste au-delà de l’horizon, témoigne Houssam Abdallah.
Tous déplorent que puisque la mère Sirin El jundi s'occupe des soins médicaux et quotidiens de son mari, leurs quatre enfants aient hérité de responsabilités parentales. « Il y a plusieurs victimes collatérales », assure Me Imane Melab, une avocate de la famille. Tous les membres de la famille ont subi des traumatismes, ajoute-t-elle.