Quelle équité salariale?
Jean-francois Parent
2022-03-14 14:15:00
C’est du moins ce qui ressort d’un rapport qui vient tout juste d’être publié par l’Association du Barreau canadien, L’équité salariale dans la profession juridique, une initiative du Forum des avocates de l’ABC.
Des écarts de 25 %
Selon les constats de l’ABC, en règle générale, les écarts salariaux dans les services juridiques varient selon la taille et le type de d’entreprises. Ainsi, dans les contentieux d’entreprise, les femmes gagnent environ 11 % de moins que les hommes, tandis qu’en cabinet, les écarts sont de 15 à 25 %. Mais peu de données probantes existent pour avoir une réelle mesure des écarts au Canada.
Le Forum a donc sondé les expériences, les perceptions et les opinions des juristes canadiennes concernant l’équité salariale avec une série de consultations menées en 2021. Le rapport présente ainsi les conclusions de groupes de discussion et de sondages individuels auxquels ont participé quelque 150 avocates.
« Puisque l’inégalité salariale demeure un problème majeur pour les travailleuses canadiennes, nous estimons que comprendre les perceptions et l’opinion des juristes concernant l’iniquité salariale est essentiel pour aider les milieux de travail juridiques à combler l’écart de rémunération entre les sexes », a expliqué Carly Romanow, présidente du Forum des avocates de l’ABC.
Le rapport dégage une série d’expériences communes aux avocates, qu’elles soient en entreprise ou en cabinet, alors qu’elles sont parfois pénalisées pour le simple fait d’être capable de donner naissance à un enfant et qu’elles se voient refuser des dossiers lucratifs, notamment pour cette raison.
Et les constats sont lapidaires.
Grille salariale désuète
Dans les cabinets où les salaires sont basés sur la facturation, les récits abondent quant au fait que les hommes facturent d’emblée plus cher que les femmes, ce qui se traduit par une meilleure rémunération, et ce, sans égard à l’expérience ou la productivité. Des avocates sondées par l’ABC, « 32 % ont dit avoir personnellement profité d’une amélioration de l’équité salariale depuis qu’elles ont commencé à pratiquer le droit, tandis que 29 % ont dit que leur situation à cet égard était restée inchangée et 11 % ont dit qu’elle s’était détériorée », note le rapport.
Plusieurs déplorent également la très grande subjectivité des grilles de rémunération, certaines évoquant même que certains cabinets ont des grilles désuètes depuis plus de dix ans. À peine plus de la moitié des avocates pratiquant en cabinet estiment qu’elles profitent de l’équité salariale, contre les deux tiers des avocates en entreprise. Certaines évoquent de plus la difficulté de soulever la question avec leur supérieur, ayant peur de causer des remous ou étant lasse des mots creux.
Parmi les obstacles à l’équité salariale, le rapport note un grand manque de transparence, notamment chez les juristes comptant plusieurs années de pratique.
Pénalisées, même sans bébé
Mais l’un des plus grands obstacles reste le genre. Pour les femmes, être en âge de procréer est perçu comme un « risque », surtout en cabinet, où l’on s’attend « continuellement à ce qu’elles partent ». Elles sont également vues comme « imprévisibles », car on craint qu’elles lâchent un dossier en cours de route « en raison d’un congé de maternité potentiel », souligne le rapport.
Cela se traduit souvent par la réticence à leur confier des dossiers importants, ce qui a une incidence sur la rémunération ou les primes des juristes. Ici aussi, les histoires abondent, comme la réembauche d’une stagiaire annulée parce qu’elle est enceinte, cette autre qui a vu sa rémunération diminuer par rapport à celle de collègues comptant moins d’années de pratique, sans compter celles qui ont dû rebâtir leur pratique de zéro après un congé de maternité.
Le rapport évoque cependant que tout n’est pas noir, alors que certaines participantes ont dit avoir observé des améliorations concernant l’équité salariale dans la profession juridique.