Robert Miller trop malade pour subir son procès

Radio Canada
2025-06-10 13:15:19

Le procès de Robert Miller se dirige vers un dénouement en queue de poisson. La Couronne conclut qu'il est inapte à subir son procès et consent à un arrêt des procédures. La juge au dossier va rendre sa décision demain. Les présumées victimes se disent complètement bouleversées par ce revirement de situation.
Pour la première fois depuis son arrestation, Robert Miller a comparu, par visioconférence, lundi. La prise d’images était interdite, mais l’homme alité et affaibli, vêtu d’un masque et d’une casquette des Red Sox de Boston, offrait un contraste frappant avec la photo de lui qui circule depuis le début du scandale.
La voix faible et les yeux mi-clos, l’homme d’affaires n’a prononcé que quelques mots en anglais, s’identifiant et acquiesçant aux instructions de la juge Lyne Décarie, éteignant sa caméra pour écouter la suite des procédures.
Dans la salle d’audience, son apparition a causé des réactions émotives de quelques victimes.
« L'analyse de notre propre expert vient à la conclusion que de déplacer M. Miller de manière quotidienne pour la tenue d’un procès ne serait pas faisable dans les circonstances », a fait valoir Lucas Bastien, porte-parole du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), au palais de justice de Montréal.

La procureure aux poursuites criminelles et pénales Delphine Mauger a reconnu en mêlée de presse qu’un arrêt des procédures judiciaires constitue « la décision la plus radicale qui soit ».
« La juge n’a pas encore pris sa décision. Il n’y a pas encore d’arrêt des procédures. C’est le tribunal qui va décider si le droit appliqué aux faits demande dans cette affaire un arrêt des procédures. L’arrêt des procédures, essentiellement, c’est lorsqu’il n’y a pas d’autres remèdes possibles », a-t-elle déclaré.
Me Mauger a souligné qu’un accusé a droit à une « défense pleine et entière ». « Il a le droit d'être présent de manière significative. Si son état de santé est assez grave pour que cette présence en fait ne devienne plus une réelle présence, on tombe dans l’inaptitude physique à subir son procès », a-t-elle affirmé.
« Au vu de toute la preuve, c’est clair que M. Miller est gravement malade. Qu’il n’ira pas mieux. Et qu’un procès est tout simplement impossible », ajoute Delphine Maiger.
De plus, la procureure Mauger a prononcé quelques mots à l’intention des victimes présumées qui, a-t-elle expliqué, n'ont pas été entendues et doivent vivre avec une atteinte à leur dignité. « C'était très important pour le poursuivant de souligner l'indignité de toutes les victimes dans ce dossier qu'on a eu la chance de rencontrer (..) et c'est à elles qu'on pense le plus aujourd'hui », a-t-elle dit.
Pour sa part, l’avocate de Robert Miller, Me Isabella Teolis, a déclaré : « Le ministère public appuie nos conclusions que les droits fondamentaux de notre client seraient violés s’il y avait un procès. Son état ne peut pas s’améliorer, il ne peut que se dégrader. Tous les experts ont les mêmes préoccupations quant à son état ».
Accusé de crimes sexuels
Il avait plaidé non coupable et demandé un procès avec jury, qui n’aura peut-être pas lieu.
Robert Miller a toujours nié les faits qui lui sont reprochés. Depuis son arrestation, ses avocats tentent d’obtenir un arrêt des procédures, sous prétexte qu’il est à un stade avancé de la maladie de Parkinson.
Ses avocats avaient d’ailleurs fourni les évaluations de plusieurs médecins qui concluent que l’état de santé de M. Miller est précaire, et que subir un procès serait susceptible d’entraîner une dégradation de sa santé et pourrait même lui être fatal.
Selon les rapports de ces médecins, l’homme d’affaires est incapable d’enchaîner plus de quelques mots à la fois et il éprouve des difficultés respiratoires.
Robert Miller, qui était encore directeur de sa multinationale Future Electronics lorsque le scandale a éclaté en 2023, serait alité depuis le printemps 2022.
Une contre-expertise médicale
En mai 2025, les procureurs ont annoncé qu’ils enverraient leur propre neurologue pour évaluer l’état de santé de Robert Miller, afin de déterminer si ce dernier est effectivement trop malade pour témoigner et participer à son procès.
Le milliardaire a d’ailleurs accepté de son plein gré de rencontrer l’expert de la poursuite.
La procureure aux poursuites criminelles et pénales Delphine Mauger avait souligné que son équipe souhaitait détenir « toute l’information nécessaire pour prendre une position éclairée ».
« La Charte canadienne des droits et libertés prévoit le droit à la vie et le droit à un procès juste et équitable », avait-elle alors déclaré.
C’est le neurologue spécialiste de la maladie de Parkinson affilié au CHUM, Pierre Blanchet, qui a procédé à l’évaluation le 20 mai dernier.
Lundi matin, il a confirmé au tribunal que Robert Miller était un cas grave de stade 5, qu’il souffrait d'une douleur constante et d’une double incontinence.
« C’est une existence qui consiste à passer du lit à la chaise d’aisance. Il est passablement en fin de course », explique Pierre Blanchet.
Un revirement « révoltant »
Pour les nombreuses femmes alléguant que Robert Miller les aurait exploitées sexuellement alors qu’elles étaient mineures, cette nouvelle est un véritable coup de poing. Radio-Canada s’est entretenue avec quatre d’entre elles.
« La décision (de la Couronne) de le soustraire à la justice n’est pas seulement une injustice pour chacune d’entre nous, elle est une insulte à notre souffrance et une trahison de la part d’un système censé nous protéger », a confié à Radio-Canada une des femmes ayant participé à l’enquête policière.
« Pendant ce temps, nous, survivantes, continuons de porter en silence les blessures profondes qu’il nous a laissées », dit une présumée victime.
« Tout ça pour rien? » se désole une autre des femmes qui avait dénoncé les actes de Robert Miller dans le reportage de l’émission Enquête qui avait mis cette affaire au grand jour.
« Ça a été plus que courageux, pas loin de la folie, en fait, de se dire : "Écoute, on va se faire entendre, on va pouvoir dénoncer puis être crues, sans que ce soit menaçant pour nous", dit-elle. Les deux dernières années, ça a été vraiment difficile ».
« C'est clair que c'est venu raviver des traumas très profonds, affirme une autre femme qui a participé à l’enquête criminelle. Cet homme-là, qui était un adulte d'une trentaine d'années de plus que moi, a littéralement abusé de moi, profité de ma naïveté, de ma vulnérabilité. Puis aujourd'hui, j'en subis encore les conséquences ».
Les femmes se désolent que la première enquête policière visant Robert Miller, en 2008-2009, n’ait pas débouché, malgré les nombreuses preuves recueillies à l’époque.
Certaines femmes se demandent également pourquoi certains des associés de Robert Miller – nommés dans le reportage d’Enquête, mais aussi dans plusieurs déclarations de présumées victimes recueillies pour le recours collectif – n’ont pas encore été arrêtés. Ces hommes ont toujours nié avoir eu un rôle dans cette affaire.
« Je suis en colère, j’ai un arrière-goût d’injustice dans la bouche », ajoute une présumée victime.
Un récent reportage de La Presse, sur le fait que le milliardaire souhaite cryogéniser son corps après sa mort, suscite quelques blagues macabres chez les femmes : « J'espère que la cryogénisation va fonctionner et qu'à ce moment-là, dans je ne sais combien de générations, il va passer le restant de ses jours en prison ».
Les recours civils se poursuivent
Robert Miller est aussi ciblé par plusieurs poursuites civiles, dont un recours collectif qui compte une cinquantaine de participantes.
Le milliardaire conteste également ces procédures.
L’avocat Jeff Orenstein, qui pilote l’action collective, souligne que l’arrêt de la poursuite criminelle n’a aucun impact sur les autres poursuites.
« Les affaires civiles se poursuivent, que M. Miller soit en vie ou non, et qu’il fasse ou non l’objet de poursuites criminelles », écrit-il à Radio-Canada.
Pour une des victimes qui s’est confiée à Radio-Canada, c’est le dernier espoir. « Ce n'est pas encore terminé pour nous. Un jour, on aura une reconnaissance puis un dédommagement pour la souffrance qu'on a vécue », déclare-t-elle.
... il va mourir dans son lit à la maison!