Un jugement sans précédent
Nadia Agamawy
2024-02-29 11:15:55
Une victime d’agression sexuelle obtient finalement gain de cause. Ses deux avocats expliquent la portée du jugement et les défis rencontrés dans leur démarche…
Après une longue bataille judiciaire, l’homme qui a violé, en juillet 2019, la jeune femme, Océane, ne peut plus jamais réclamer la paternité de l’enfant né de ce viol et devra verser une somme forfaitaire de 155 500$ pour subvenir aux besoins de l’enfant jusqu’à sa majorité. C’est ainsi que la Cour supérieure a tranché la semaine dernière une affaire qui, comme la décrit l’un des avocats, fut « excessivement difficile et excessivement prenante pour la victime ».
Il s’agit de la première décision judiciaire rendue dans le cadre de la nouvelle loi, adoptée en juin 2023. Celle-ci permet à une victime d’agression sexuelle et à un enfant issu d’un viol de contester la filiation avec l’agresseur ou de s’opposer à ce qu’une telle affiliation soit établie.
Cette affaire a été portée par Mes Daphné Duval et Jean-Maxime LeBrun de chez Dunton Rainville.
« Ce jugement va effectivement faire figure de proue et jurisprudence, affirme Me LeBrun, il vient consacrer le principe que, oui, l’intérêt de l’enfant est un point cardinal en droit de la famille, mais que l’intérêt de la victime d’agression sexuelle doit également être considéré par les tribunaux ».
Contribution financière
Sur les défis rencontrés dans cette affaire, Me Duval explique qu’ « à défaut de jurisprudence et de doctrine sur le sujet, il a fallu interpréter le mieux qu’on pouvait les dispositions de la nouvelle loi. »
« Alors, on s’est beaucoup basé sur les commentaires du ministre de la justice et les débats qui ont eu lieu à l’Assemblée Nationale dans le cadre de l’adoption du projet de loi », poursuit Me LeBrun.
Si la nouvelle loi prévoit de manière très claire la possibilité pour un enfant ou une victime d’agression sexuelle de s’opposer à une demande en réclamation de paternité, les dispositions sur le calcul de la contribution financière étaient moins évidentes. « On était vraiment pris avec une situation un peu ambiguë puisqu’on ne savait pas quel serait le maximum ou le minimum ou sur quoi se baser pour calculer la contribution financière », souligne Me Duval.
Incertains des modalités de calcul, les avocats se sont basés sur les barèmes existants pour la pension alimentaire lesquels prennent en considération les revenus des parents. Cependant, la Cour n’a pas pris en compte les capacités financières de l’agresseur et a précisé que la contribution financière telle que prévue par la loi en question n’est pas l’équivalent d’une pension alimentaire.
« Il y a une étude qui démontre que les frais encourus par un enfant "en bonne santé” s’élèvent à environ 14 000$ par année. Le juge a pris ce montant-là et a calculé en fonction des années restantes jusqu’à la majorité de l’enfant, avec un taux d’indexation », explique Me Duval.
Si le montant de 155 500$ ordonné par la Cour s’avère supérieur à ce que les avocats avaient réclamé, Me Duval avoue que « c’est sûr que dans ces circonstances en question où monsieur est incarcéré et donc sans emploi à l’heure actuelle, ce serait difficile d’aller récupérer cette somme ».
Enfin, et aussi contrairement à la pension alimentaire, cette indemnité devra être versée en une fois. Selon Me LeBrun, ce versement unique est en soi très positif pour la victime et l’enfant puisque « cela permet de vraiment couper les ponts avec l’agresseur une fois que le jugement est exécuté ».
L’autre défi relaté par les avocats relève de la nature même du recours. « Le très jeune âge de la femme lors de l’agression [elle n’avait que 17 ans, NDLR], le traumatisme qu’elle a vécu et essayer de l’accompagner dans ce processus-là » est selon Me LeBrun l’un des aspects qui a rendu cette affaire encore plus délicate et sensible.
Une belle, mais imparfaite avancée
Quoique très satisfaits du jugement rendu par la Cour, les avocats expliquent que celle-ci ne s’est pas statuée quant à la possibilité d’une victime d’agression sexuelle de s’opposer à une éventuelle demande de filiation de la part de son agresseur avant que celle-ci ne soit déposée.
Dans l’affaire en question, cet enjeu ne s’est pas posé, puisque l’agresseur avait effectivement soumis une demande en réclamation de paternité. Même si à un moment donné il s'est désisté, la Cour a refusé d’accepter son désistement en considérant qu’il s’agit d’éviter un jugement défavorable et donc qu’il s’agit d’un désistement de mauvaise foi.
À l’heure actuelle, « une victime d’agression sexuelle pourrait se trouver prise par une épée de Damoclès au-dessus de la tête parce qu’elle ne sait pas si ou quand son agresseur pourrait faire une telle demande. Elle serait juste dans l’attente de recevoir peut-être un jour une demande en réclamation de paternité à laquelle elle ne peut, pour le moment, s’opposer d’avance », constate Me Duval. Les avocats se disent convaincus que d’autres cas et d’autres décisions permettraient de clarifier ce point dans le futur.
In fine, « ce jugement constitue une belle avancée, non seulement pour notre cliente, mais pour toutes les victimes d’agression sexuelle et leurs enfants », conclut Me Duval.
A
il y a 7 moisEnlève les honoraires d'un grand cabinet de la somme de 155 000 $ ... et... voilà.