Un mandat de juricomptabilité qui tourne au vinaigre

Élisabeth Fleury
2025-09-03 10:15:20

La Cour du Québec a condamné Investissements Saphran inc. et son actionnaire Jacques Mestdagh à payer une facture de plus de 15 000 $ à Deloitte pour des services de juricomptabilité.
Le jugement a été rendu il y a quelques jours par la juge Karine Beaudry.
Deloitte, la demanderesse, était représentée par Me Alfredo J. Mancini, de ML Kaufman, alors que M. Mestdagh et Investissements Safran inc., les défendeurs, étaient représentés par Me Antoine Gérin, de Gérin Leblanc.
Le contexte
En décembre 2020, les défendeurs engagent Deloitte pour retracer des actifs dans le cadre d’un litige les opposant à Louis Lagassé et Gestion Portland-Vimy inc., espérant pouvoir récupérer une somme de 5 millions de dollars.

Une lettre de mission détaillant cinq étapes est signée, dont les deux premières comprennent la recherche et le traçage d'actifs.
Lors de la présentation des résultats de ces premières étapes en janvier 2021, M. Mestdagh exprime son insatisfaction et sa déception face au résultat du travail effectué. Il informe alors Deloitte de l’existence de certains actifs qu’elle n’aurait pas retracés.
M. Mestdagh refuse, lors de la rencontre, qu’on lui transmette la note de service au motif qu’elle ne lui apprend aucune information nouvelle. La note de service est néanmoins mise à jour par la demanderesse afin d’intégrer les nouveaux actifs indiqués par M. Mestdagh, et ce, bien qu’il refuse d’en recevoir copie.
Le 4 février 2021, M. Mestdagh transmet un courriel à Mme Gaudreault dans lequel il exprime à nouveau sa déception quant aux résultats présentés le 29 janvier 2021. Il propose dans ce courriel d’arrêter l’exécution de la mission ou que des propositions lui soient faites concernant l’étude de 12 sociétés liées à Lagassé. La demanderesse lui répond qu’elle est disponible pour discuter de la suite si son souhait est de continuer.
Suivant l’échange de courriels du 4 février 2021, ce sera silence radio entre les responsables de l’exécution du contrat chez Deloitte et les défendeurs. Deloitte indique lors de l’instruction qu’elle attend des instructions de M. Mestdagh alors que celui-ci énonce attendre qu’on lui revienne avec un dossier plus complet. Aucune des parties ne transmettra d’avis de résiliation du contrat de service.
En septembre 2021, M. Mestdagh retient les services de juricomptabilité d’une autre société (LPG) pour effectuer le même mandat que celui confié à Deloitte. Celle-ci n’a pas été en mesure d’exécuter le mandat, apprend-on dans le jugement.
Deloitte a facturé 16 606,99 $ pour le travail déjà accompli. Les défendeurs ont refusé de payer, déclenchant ainsi un recours judiciaire.
L'obligation de moyens, un principe clé
Le cœur du débat résidait dans l'interprétation du contrat de services. Dans sa décision, la juge Beaudry rappelle qu'un professionnel, comme un juricomptable, a une obligation de moyens et non de résultat. Autrement dit, Deloitte devait mettre en œuvre les meilleures pratiques pour accomplir le mandat, sans toutefois pouvoir garantir que des actifs inconnus seraient trouvés ou que le résultat serait à la satisfaction du client.
Selon le tribunal, les défendeurs n’ont pas démontré que Deloitte s'était écartée des règles de l’art ou avait commis une faute dans son travail. Il a souligné que :
- La lettre de mission, signée par les défendeurs, était claire quant à la nature des services.
- Il n'était pas possible de reprocher à Deloitte d’avoir retracé des actifs déjà connus puisque les défendeurs n'avaient pas fourni de liste des informations qu'ils possédaient déjà.
- L'évaluation financière des sociétés, l'une des principales attentes des défendeurs, devait être réalisée à l'étape 3 du mandat, qui n'a jamais été entreprise en raison de leur insatisfaction.
- Une autre firme de juricomptabilité, engagée par les défendeurs pour le même mandat, a également échoué à le mener à terme, ce qui confirme la difficulté de la tâche.
Une facture ajustée
Malgré une victoire pour Deloitte, le tribunal a retranché une partie de la facture, estimant que certains honoraires étaient injustifiés. Un montant de 1 422,82 $ a été déduit pour des travaux de mise à jour de la note de service qui ont été réalisés après que les défendeurs eurent refusé de recevoir le document.
Le tribunal a donc condamné Investissements Saphran inc. et Jacques Mestdagh à payer solidairement le solde dû, soit 15 184,17 $, en plus des intérêts et des frais de justice.
Il n’avait pas été possible d’obtenir les commentaires de l’avocat des défendeurs au moment de mettre cet article en ligne.