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Une avocate en congé de maternité, le juge refuse de remettre le procès

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Didier Bert

Didier Bert

2023-07-19 15:00:00

Le congé de maternité d’une avocate ne justifie pas la remise d’un procès, décide un juge de la Cour supérieure. La décision est contestée devant la Cour d’appel.
L'honorable Michel Pinsonnault. Photo : Archives
L'honorable Michel Pinsonnault. Photo : Archives
Le juge Michel Pinsonnault de la Cour supérieure du Québec a rejeté la demande de remise de procès motivée par le congé de maternité de Me Natasha Sivret, avocate chez DHC Avocats.

« Malgré les inconvénients que cela peut occasionner », le juge Pinsonnault a décidé de maintenir un procès en avril 2024, quelques jours avant la fin du congé de maternité de l’avocate des défendeurs.

Le juge de la Cour supérieure a considéré que l’affaire dure déjà depuis six ans, alors que les demandeurs tentent de faire exécuter un jugement rendu en 2018.

On peut lire la décision du juge Pinsonnault ici.

Me Natasha Sivret représente les défendeurs dans un recours en levée de voile corporatif et en dommages-intérêts à la suite de travaux de rénovation qui ne se seraient pas bien déroulés.

En octobre 2018, les demandeurs, le couple Ilyayev, ont obtenu un jugement de 110 550,31 $ contre l’entrepreneur Rénovations Constructions Neuves I.O.S à titre de compensation, « lequel n’a jamais été satisfait ».

En octobre 2019, l’émission La Facture de Radio-Canada avait diffusé un reportage montrant le désarroi des demandeurs, un couple qui a versé une avance à l’entrepreneur sans que les travaux prévus soient achevés. Quelques mois plus tôt, la Régie du bâtiment du Québec (RBQ) avait annulé la licence de l’entrepreneur à la suite de plusieurs plaintes.

Me Natasha Sivret. Source: DHC Avocats
Me Natasha Sivret. Source: DHC Avocats
Les demandeurs ont demandé la levée de voile corporatif et des dommages-intérêts afin que l’entrepreneur Oleksiy Sen soit condamné personnellement à les indemniser, puisque sa compagnie ne l’avait pas fait. Le procès est prévu pour se dérouler du 9 au 12 avril 2024. Ces dates ont été fixées en septembre 2022.

Or, l’avocate des défendeurs est en congé de maternité du 9 juillet 2023 au 20 avril 2024. Me Natasha Sivret a également dû prendre des congés à compter du 16 juin 2023. Cette situation n’était pas connue au moment de fixer les dates du procès.

Les défendeurs ont donc demandé au juge Michel Pinsonnault de la Cour supérieure de remettre le procès à une date ultérieure… ce que le juge a refusé.

Une action en diffamation

Dans sa décision, le juge Michel Pinsonnault explique qu’un des défendeurs intente une action en dommage pour diffamation contre les demandeurs, devant la Cour du Québec. Cette cause sera entendue en septembre 2024. Cette action accuse le couple de consommateurs de diffamation durant le reportage de La Facture, et leur réclame un total de 40 000 $ en dommages-intérêts et en dommages punitifs.

« Or, il n’y a aucune date disponible en Cour supérieure avant 2025, ce qui ferait en sorte que le procès en Cour du Québec procéderait avant celui de la Cour supérieure », écrit le juge Pinsonnault dans sa décision du 1er juin 2023, publiée le 21 juin.

Me Ali Sbai. Source: USherbrooke
Me Ali Sbai. Source: USherbrooke
De son côté, « bien qu’il soit sympathique à la situation de sa collègue », l’avocat des demandeurs, Me Ali Sbai, s’est opposé à la demande de remise du procès en soutenant que la cause doit être entendue avant le procès en diffamation devant la Cour du Québec.

Les motivations des défendeurs pour remettre le procès sont uniquement d’ordre procédural, affirme Me Ali Sbai, en entrevue. Celui-ci souligne que la question ne réside pas dans le respect du congé de maternité.

« J’ai proposé que la cause devant la Cour du Québec soit remise, pour que la cause devant la Cour supérieure puisse elle aussi être remise », explique l’avocat. J’aurais accepté la remise du procès en Cour supérieure si Me Sivret avait accepté la remise de la cause en diffamation ».

Me Natasha Sivret a refusé la remise de la cause de la Cour du Québec, en affirmant « qu’il n’y a pas connexité entre les deux recours au point qu’ils doivent être réunis », précise le jugement.

La décision du juge Pinsonnault réfute cette interprétation. « Une lecture des deux procédures permet au Tribunal de constater que la décision à être rendue dans la présente instance peut avoir une incidence sur le sort de l’autre recours en diffamation en Cour du Québec. » Mais il ne juge pas nécessaire de réunir les deux recours.

Le juge Pinsonnault se dit « sensible à une demande de remise fondée sur un congé de maternité », mais aussi « sensible au fait que les demandeurs tentent depuis 2018 d’exécuter le jugement qu’ils ont obtenu pour un montant important (110 550,31 $) ».

« Procéduralement, les choses doivent avancer, martèle Me Sbai. Mes clients sont des victimes. »

Le juge poursuit en distinguant la situation présente, où le procès est fixé quelques jours avant la fin du congé de maternité, de celle où le procès aurait été fixé au milieu d’un congé de maternité.

Et bien qu’il rappelle l’importance du droit d’une partie à être représentée par l’avocat de son choix, le juge Pinsonnault tranche en décidant que « dans le contexte particulier actuel et vu la position adoptée par l’avocate des défendeurs, le droit des demandeurs d’être entendus après des démarches judiciaires entamées depuis 2017 doit primer. »

Me Sbai fait remarquer que l’avocate des défendeurs est arrivée récemment dans un dossier qui date de six ans. En mars 2022, l’entrepreneur était représenté par Me Christina Chalimova, de Barrette & Associés Avocats, alors que le couple de consommateurs réclamaient, sans succès, le rejet de la demande introductive d’instance de l’action en diffamation.

Le litige devra donc être tranché avant le procès en diffamation devant la Cour du Québec de septembre 2024, décide le juge Pinsonnault, « malgré les inconvénients que cela peut occasionner », conclut-il.

Une fois le jugement rendu, Me Natasha Sivret a demandé si elle pouvait changer d’avis et accepter de remettre la cause devant la Cour du Québec, rapporte Me Ali Sbai. Mais il était trop tard. « Cela aurait été différent si on avait pu discuter », assure l’avocat.

Contacté par Droit-inc, le cabinet DHC Avocats, qui emploie Me Sivret, n’a pas répondu.

En Cour d’appel

Dans sa décision, le juge Pinsonnault précise que « le tribunal réserve le droit des défendeurs de présenter une nouvelle demande de remise en temps opportun si de nouveaux faits devaient le justifier ». Mais, ce n’est pas cette possibilité que les défendeurs ont choisi.

Les défendeurs ont décidé de se tourner vers la Cour d’appel pour appeler du jugement de la Cour supérieure. Ils appuient leur argumentaire sur les principes directeurs de la procédure, l’article 34 de la ''Charte des droits et libertés de la personne'', et sur la ''Déclaration de principe sur la conciliation travail-vie personnelle dans le cadre des instances judiciaires''.

« Le jugement rendu place l’avocate au dossier dans une situation où elle doit choisir entre son congé de maternité ou la représentation des intérêts de ses clients », pointe la demande déposée devant la Cour d’appel le 28 juin. « Le jugement rendu fait fi des valeurs énoncées dans la Déclaration en diminuant le droit des femmes dans le domaine juridique à leur congé de maternité. »

Par ailleurs, les défendeurs jugent « troublante » la distinction faite par le juge Pinsonnault entre un procès mené au milieu d’un congé de maternité et un procès mené à quelques jours de la fin du congé.

La Cour d’appel entendra la demande le 25 juillet.
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20 commentaires
  1. Elsa
    Madam
    Natasha est une avocate incroyable

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