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Une juge essuie un autre revers

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Élisabeth Fleury

Élisabeth Fleury

2025-10-16 10:15:11

La Cour d'appel met fin à la tentative d'une juge de scinder son enquête déontologique. Pourquoi?

Le plus haut tribunal du Québec rejette la demande d’appel de la juge de la Cour du Québec Brigitte Gouin, qui cherchait à faire scinder son enquête déontologique en deux étapes distinctes : une pour le bien-fondé de la plainte et une autre pour la sanction.


Raymond Doray et El Hadji Alioune Seck, de Lavery.

La décision, qui a été rendue le 7 octobre par le juge Martin Vauclair, réaffirme le principe établi par la Cour suprême selon lequel l'équité procédurale en matière de déontologie judiciaire n'exige pas systématiquement une procédure en deux étapes.

La juge Gouin était représentée par Mes Raymond Doray et El Hadji Alioune Seck, de Lavery.

Me Emmanuelle Rolland, du cabinet Audren Rolland, agissait pour les intimés, soit le Conseil de la magistrature et son Comité d’enquête, formé de la présidente Christine Lafrance et des membres Robert Proulx, Martine St-Yves, Claude Rochon et Mélanie Mercure.

Le contexte

L'affaire, dont Droit-inc a fait état en août dernier, fait suite à une plainte déposée par des justiciables à la suite d'une audience à la Division des petites créances, en avril et octobre 2022. Les plaignants reprochent à la juge Gouin d'avoir utilisé un ton « démesuré, inacceptable, intransigeant, impatient et inutilement agressif ».

Emmanuelle Rolland - source : Audren Rolland
Selon la plainte, la juge aurait interrompu un plaideur nerveux en lui rappelant qu'il n'y avait pas d'avocats aux petites créances et qu'elle était une « vraie juge », ce qui aurait intimidé les plaignants.

Après une analyse initiale, le Conseil de la magistrature a jugé que le ton et les déclarations de la juge pouvaient être problématiques et a constitué un Comité d'enquête pour faire la lumière sur la situation.

La juge Gouin a demandé au Comité d'enquête de procéder à une scission de l'instance : d'abord statuer sur le manquement déontologique (le bien-fondé de la plainte), et seulement après, si un manquement était constaté, statuer sur la sanction appropriée.

Selon elle, il serait injuste de devoir présenter ses arguments sur une éventuelle sanction sans connaître les griefs exacts retenus contre elle.

Cette situation est d'autant plus délicate qu'elle a déjà fait l'objet d'une autre plainte, la rendant potentiellement en situation de récidive, ce qui pourrait influencer la sanction, a-t-elle fait valoir.

Selon la demanderesse, le processus disciplinaire devrait permettre de faire valoir une défense éclairée et non spéculative.

En décembre 2022, le Comité d’enquête a recommandé au Conseil de la magistrature d’adresser une réprimande à la juge Brigitte Gouin pour son attitude « inappropriée » lors d’une audience à la Division des petites créances.


Source : Vidéo générée avec Notebook LM

Les décisions du Comité d'enquête et de la Cour supérieure

Le Comité d'enquête a refusé cette demande de scission par une décision interlocutoire datée du 1er février 2024. Le Comité a invoqué sa large discrétion procédurale, tirée de l'article 275 de la Loi sur les tribunaux judiciaires et de l'article 16 des Règles de fonctionnement concernant la conduite d’une enquête, pour maintenir l'unicité de l'instance.

Il s'est également appuyé sur la jurisprudence de la Cour suprême, qui confirme que le processus en deux étapes n'est pas une exigence universelle de l'équité procédurale, pourvu que le juge ait l'occasion de faire valoir ses observations sur la sanction.

Estimant que l'absence de scission de l'instance contrevenait à l'équité procédurale, la juge Gouin a contesté la décision du Comité d’enquête devant la Cour supérieure, qui a confirmé la décision de première instance.

Les positions des parties devant la Cour d’appel

Devant la Cour d’appel, la juge a soulevé trois questions :

  • la Cour supérieure a erré en se sentant liée par les conclusions de la Cour suprême (selon elle, l'équité procédurale devait exiger la scission dans son cas);
  • l'absence de scission contrevient à l'équité procédurale dans les circonstances;
  • La Cour supérieure a erré en refusant de trancher la question de la validité (ultra vires) de l'article 16 des Règles de fonctionnement concernant la conduite d’une enquête du Conseil de la magistrature.

Le Comité d’enquête a défendu sa décision de refuser la scission, arguant encore une fois que la loi lui confère une large discrétion pour la conduite de ses enquêtes. Il a réitéré que l'équité procédurale n'exige pas un processus en deux étapes dans tous les cas, en particulier puisque la juge Gouin était déjà consciente que la destitution était une sanction possible et qu'elle avait la possibilité de présenter toutes ses observations.

La décision de la Cour d'appel

Le juge Vauclair a rejeté la demande d'appel, estimant que la requérante n’a soulevé aucune question de principe, question nouvelle ou question de droit faisant l'objet d'une jurisprudence contradictoire qui mériterait l'attention de la Cour d'appel, ni qu'il y a eu une injustice flagrante détectable à la lecture du dossier.

Sur l'équité procédurale, le juge a noté que la jurisprudence confirme l'absence de règle rigide commandant une procédure en deux étapes, laissant une discrétion au Comité. Cette question n'est donc ni nouvelle ni contradictoire.

Quant à l'argument ultra vires des règles, le juge l’a considéré dénué de fondement, estimant que le Comité a exercé son pouvoir discrétionnaire de scission, et que la lecture des règles faite par la requérante est incorrecte.

En somme, selon le juge Vauclair, la requérante n'a pas réussi à démontrer que les critères légaux pour obtenir la permission d'en appeler étaient satisfaits. La demande a donc été rejetée avec dépens.

Les procureurs de la juge Gouin n’avait pas donné suite à notre demande de commentaires au moment de mettre en ligne cet article.

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