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Frédéric Bérard

2011-09-14 13:15:00

Le référendum d'initiative populaire proposé par le péquiste Bernard Drainville est-il une vraie bonne idée ? Le nouveau chroniqueur de Droit-inc.com, Me Frédéric Bérard, répond à la question.
''"Je regarde comme impie et détestable cette maxime, qu'en matière de gouvernement la majorité d'un peuple a le droit de tout faire, et pourtant je place dans les volontés de la majorité l'origine de tous les pouvoirs. Suis-je en contradiction avec moi-même?"''

''Alexis de Tocqueville''


Me Frédéric Bérard
Me Frédéric Bérard
Conséquence de la crise interne qui frappe actuellement le Parti Québécois, maintes avenues sont actuellement proposées afin d’établir une «nouvelle culture politique». La pierre angulaire de celle-ci : le référendum d’initiative populaire, par lequel il serait loisible de remettre la politique au monde. Dans tous les sens du terme.

Dilemme et appréhension. Difficile en effet de s’objecter à la volonté populaire, pièce maîtresse de la démocratie. Impossible d’ignorer le cynisme ambiant envers l’appareil politique, alimenté, il va de soi, par le désintéressement citoyen. Quelle appréhension, alors? Celle-ci : je crains toute forme de régime obnubilé par la règle de la majorité.

Désuet et réducteur

À mon sens, la démocratie doit transcender le concept de la simple volonté du plus grand nombre. Trop fréquemment associée aux traumatismes socio-politiques du dernier siècle, cette vision de la démocratie m’appert à la fois désuète et, au demeurant, plutôt réductrice.

D’aucuns nieront qu’une démocratie non fondée sur l’État de droit court directement à sa perte. Certains répondront que rien n’empêchent les deux concepts de cohabiter, et ce, malgré l’exercice de référendums à initiative populaire. On nous servira alors l’exemple de la Suisse. Je ferai ironiquement de même. Moussée par la droite populiste, l’interdiction des minarets constitue-t-elle une illustration du respect des libertés religieuses et, par extension, du droit des minorités? Poser la question, c’est y répondre.

Pas d'obligation

De retour au Canada. Malgré sa valeur indéniable sur le plan politique, l’exercice référendaire ne peut prétendre à quelconque impact juridique direct (Renvoi relatif à la sécession du Québec). Évidemment, la classe dirigeante aura un mal certain à nier la volonté populaire exprimée par voie référendaire et, conséquemment, à ne pas y donner suite. Sauf que rien ne l’y oblige.

Prenons le cas hypothétique suivant : un référendum d’initiative populaire est déclenché à l’échelle fédérale quant au rétablissement de la peine de mort. Les tenants du OUI l’emportent aisément. Séduit par les gains électoraux afférents, le gouvernement fait rapidement adopter un amendement au Code criminel. Celui-ci est-il constitutionnellement valide? À la lumière de la jurisprudence de la Cour suprême en la matière, rien n’est moins certain (arrêt Burns). En fait, il semble plutôt acquis que la réinstauration de la peine de mort sera répudiée par les tribunaux, lesquels ne sont nullement liés par le vote référendaire.

Alors deux choses l’une :
1) le gouvernement se refuse d’utiliser la clause dérogatoire, se portant ainsi en faux de la volonté populaire et creusant davantage le fossé entre le peuple et ses institutions, voire ses élites;
2) la pression populaire pousse le gouvernement à faire sienne ladite clause dérogatoire, créant dès lors une entorse fatale (sans jeux de mots) aux garanties constitutionnelles en matière de droit à la vie prévues expressément par la Constitution.

Tout régime qui se respecte a su assurer la pérennité de son mode démocratique par l’établissement d’assises constitutionnelles solides, écrites ou non. Fondée sur la primauté du droit, la démocratie prend un sens différent, un sens plus riche. Celui où la majorité, par frustration ou pur populisme, ne peut permettre la violation des garanties constitutionnelles visant justement à protéger les minorités des affres des passions populaires et autres poussées démagogiques. De la tyrannie de la majorité, bref. D’un point de vue juridique et sociétal, l’inverse m’apparaît difficilement acceptable. Non ? Vraiment ? D’accord.

Référendum sur la peine de mort pour Guy Turcotte : qui l’emporte ?


Biographie

Me Frédéric Bérard est chargé de cours à la Faculté de droit de l’Université de Montréal, où il dispense les cours de Droit constitutionnel, de Droit administratif et d’Interprétation des lois. Récipiendaire du Prix d’excellence professorale André-Morel en 2008 et 2011, il est l’auteur d’ouvrage portant sur le fédéralisme canadien, notamment sur le pouvoir fédéral de dépenser et la fiscalité publique.

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29 commentaires
  1. Julien Boucher
    Julien Boucher
    il y a 14 ans
    Démocratie directe ou partisanerie
    Le climat politique actuel est vicié par un cynisme énorme. Par un gouvernement qui défend les intérêts de son parti plutôt que de sa patrie. Parfois, il faut que le citoyen puisse s'exprimer plus qu'une fois aux quatre ans.

    Évidemment, il y a les exemples extrêmes : la peine de mort et Guy Turcotte. Dans ces cas, je suis d'avis que les tribunaux opéreraient un rempart contre l'inconstitutionnel. Je ne crois pas cependant qu'un gouvernement, même conservateur, irait jusqu'à rétablir la peine de mort malgré une décision de la CSC. S'ils voulaient le faire, ils n'auraient pas besoin d'un référendum.

    Les référendums d'initiative populaire créent des espaces de débats qui n'existent pas autrement. Lorsque le gouvernement opère des consultations sur ses projets, il limite souvent l'admissibilité en invitant sélectivement des gens pas trop dérangeants (EES sur le gaz de schiste) ou en limitant le temps de parole. Bref, nous voyons rarement de vraies consultations.

    Il y a les exemples extrêmes, dis-je, mais il y aussi des exemples où les aspirations légitimes de la population ne sont pas entendues. Référendum sur la création d'un commission d'enquête sur la construction? Sur l'exploitation des gaz de schistes? Un mécanisme d'initiative populaire semble souvent la seule possibilité pour le citoyen d'agir pour les intérêts qu'il veut défendre pour sa société. Les manifestations ne donnent plus rien, dans cette mécanique gouvernementale de la sourde oreille.

    Je crois que l'idée du référendum d'initiative populaire, même si un résultat n'a pas de force juridique, est l'une de mesures qui peut redonner au citoyen confiance en son appareil politique. Risques de dérapage? Je suis prêt à les assumer. Mais dans le cadre d'un référendum, je serai le premier à aller parler contre la peine de mort. C'est la beauté de la démocratie. J'aime mieux cela que de devoir me taire pendant quatre ans devant un gouvernement qui fait des choix douteux, ne s'apparentant pas aux bases sur lesquelles il a été élu.

    • Frédéric Bérard
      Frédéric Bérard
      il y a 14 ans
      Re : Démocratie directe ou partisanerie
      Bon argumentaire, M. Boucher. Celui-ci représente en fait le volet de la citation de De Tocqueville sur la contradiction discutée. Elle énonce nécessairement le malaise de l'auteur ainsi que le mien quant au refus de faire de la majorité la règle absolue. Paradoxe ? Absolument, et je ne m'en cache pas. Il est vrai aussi que les exemples employés sont extrêmes (ou gauchisants, parait-il, mais c'est une autre histoire). Cela dit, ce n'est pas parce qu'ils sont extrêmes qu'ils doivent être considérés comme banals. Au contraire. Dans ce cas précis, l'écueil réside précisément dans ces cas caricaturaux. Il faudrait donc, le cas échéant, trouver une manière de protéger les libertés publiques et la primauté du droit, en un sens. Ceci chose faite, je n'aurais aucun problème, au contraire, à permettre l'exercice dans des cas plus politiques, telles les commissions d'enquête ou autres.

      Merci de votre excellent commentaire,

      FB



      Le climat politique actuel est vicié par un cynisme énorme. Par un gouvernement qui défend les intérêts de son parti plutôt que de sa patrie. Parfois, il faut que le citoyen puisse s'exprimer plus qu'une fois aux quatre ans.
      >
      > Évidemment, il y a les exemples extrêmes : la peine de mort et Guy Turcotte. Dans ces cas, je suis d'avis que les tribunaux opéreraient un rempart contre l'inconstitutionnel. Je ne crois pas cependant qu'un gouvernement, même conservateur, irait jusqu'à rétablir la peine de mort malgré une décision de la CSC. S'ils voulaient le faire, ils n'auraient pas besoin d'un référendum.
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      > Les référendums d'initiative populaire créent des espaces de débats qui n'existent pas autrement. Lorsque le gouvernement opère des consultations sur ses projets, il limite souvent l'admissibilité en invitant sélectivement des gens pas trop dérangeants (EES sur le gaz de schiste) ou en limitant le temps de parole. Bref, nous voyons rarement de vraies consultations.
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      > Il y a les exemples extrêmes, dis-je, mais il y aussi des exemples où les aspirations légitimes de la population ne sont pas entendues. Référendum sur la création d'un commission d'enquête sur la construction? Sur l'exploitation des gaz de schistes? Un mécanisme d'initiative populaire semble souvent la seule possibilité pour le citoyen d'agir pour les intérêts qu'il veut défendre pour sa société. Les manifestations ne donnent plus rien, dans cette mécanique gouvernementale de la sourde oreille.
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      > Je crois que l'idée du référendum d'initiative populaire, même si un résultat n'a pas de force juridique, est l'une de mesures qui peut redonner au citoyen confiance en son appareil politique. Risques de dérapage? Je suis prêt à les assumer. Mais dans le cadre d'un référendum, je serai le premier à aller parler contre la peine de mort. C'est la beauté de la démocratie. J'aime mieux cela que de devoir me taire pendant quatre ans devant un gouvernement qui fait des choix douteux, ne s'apparentant pas aux bases sur lesquelles il a été élu.

  2. Anonyme
    Anonyme
    il y a 14 ans
    Me Bérard
    Donc, le juridique, pour des questions «importantes» aurait préséance sur le politique? Ce ne constitue pas un renversement politique au profit du juridique? Donc vous ne pouvez vous référer à la constitution...il ne vous faudrait pas en écrire une nouvelle? (ou amender plus qu'il ne le faut)... Effectivement, je ne connais rien au droit... Ni à Tocqueville en 2011...

    • Frédéric Bérard
      Frédéric Bérard
      il y a 14 ans
      Re : Me Bérard
      Bonjour,

      je dis simplement que la Constitution, laquelle protège les droits les plus fondamentaux, doit servir de rempart face à la vindicte populaire. Souhaiteriez-vous que vos libertés publiques soient assujetties à une poussée de fièvre démagogique ? J'espère que non. La Constitution, notamment la Charte, sert justement à cet effet.

      Merci de votre commentaire,

      FB


      > Donc, le juridique, pour des questions «importantes» aurait préséance sur le politique? Ce ne constitue pas un renversement politique au profit du juridique? Donc vous ne pouvez vous référer à la constitution...il ne vous faudrait pas en écrire une nouvelle? (ou amender plus qu'il ne le faut)... Effectivement, je ne connais rien au droit... Ni à Tocqueville en 2011...

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 14 ans
      Re : Re : Me Bérard
      Il est clair que non, tout autant que mes libertés publiques soient assujetties à une poussée de fièvre rhétorique venant de la caste juridique. Donc, la souveraineté par référendum ne constitue en aucun temps l'expression d'un vindicte populaire, si j'ai bien compris.
      bonne journée

      > Bonjour,
      >
      > je dis simplement que la Constitution, laquelle protège les droits les plus fondamentaux, doit servir de rempart face à la vindicte populaire. Souhaiteriez-vous que vos libertés publiques soient assujetties à une poussée de fièvre démagogique ? J'espère que non. La Constitution, notamment la Charte, sert justement à cet effet.
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      > Merci de votre commentaire,
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      > FB
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      > > Donc, le juridique, pour des questions «importantes» aurait préséance sur le politique? Ce ne constitue pas un renversement politique au profit du juridique? Donc vous ne pouvez vous référer à la constitution...il ne vous faudrait pas en écrire une nouvelle? (ou amender plus qu'il ne le faut)... Effectivement, je ne connais rien au droit... Ni à Tocqueville en 2011...

    • Frédéric Bérard
      Frédéric Bérard
      il y a 14 ans
      Re : Re : Re : Me Bérard
      Bien sûr. L'interface primauté du droit et démocratie constitue ici la clef de l'énigme, même si ceci pose des dilemmes d'envergure.

      FB


      Il est clair que non, tout autant que mes libertés publiques soient assujetties à une poussée de fièvre rhétorique venant de la caste juridique. Donc, la souveraineté par référendum ne constitue en aucun temps l'expression d'un vindicte populaire, si j'ai bien compris.
      > bonne journée
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      > > Bonjour,
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      > > je dis simplement que la Constitution, laquelle protège les droits les plus fondamentaux, doit servir de rempart face à la vindicte populaire. Souhaiteriez-vous que vos libertés publiques soient assujetties à une poussée de fièvre démagogique ? J'espère que non. La Constitution, notamment la Charte, sert justement à cet effet.
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      > > Merci de votre commentaire,
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      > > FB
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      > > > Donc, le juridique, pour des questions «importantes» aurait préséance sur le politique? Ce ne constitue pas un renversement politique au profit du juridique? Donc vous ne pouvez vous référer à la constitution...il ne vous faudrait pas en écrire une nouvelle? (ou amender plus qu'il ne le faut)... Effectivement, je ne connais rien au droit... Ni à Tocqueville en 2011...

  3. Ancien étudiant
    Ancien étudiant
    il y a 14 ans
    Enfin !
    Bien content de vous relire Me Bérard !

    Je suis heureux de savoir que vos connaissances seront mises à disposition de tous, et non seulement à celle de vos étudiants (dont j'ai eu la chance de faire partie !).

    Merci pour cet éclairage sur la pertinence du référendum populaire.

    Au plaisir de vous relire prochainement sur votre blog.

    • Frédéric Bérard
      Frédéric Bérard
      il y a 14 ans
      Re : Enfin !
      Merci, très aimable à vous. Content de vous compter parmi les lecteurs, en espérant être à la hauteur de vos attentes. N'hésitez pas à me faire part de vos commentaires-réflexions.

      FB



      Bien content de vous relire Me Bérard !
      >
      > Je suis heureux de savoir que vos connaissances seront mises à disposition de tous, et non seulement à celle de vos étudiants (dont j'ai eu la chance de faire partie !).
      >
      > Merci pour cet éclairage sur la pertinence du référendum populaire.
      >
      > Au plaisir de vous relire prochainement sur votre blog.

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