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Les fleurs, le pot et le feu

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Priscilla Simard

2023-09-21 11:15:00

La Cour supérieure du Québec s’est récemment prononcée sur une question en matière d’assurance en cas d’incendie…
Me Priscilla Simard, l’auteure de cet article. Source: Robinson Sheppard Shapiro
Me Priscilla Simard, l’auteure de cet article. Source: Robinson Sheppard Shapiro
Une défenderesse ayant causé un incendie peut-elle se qualifier comme faisant partie de la maison de son père et faire rejeter le recours entrepris contre elle? De plus, la déclaration de copropriété prévoyait-elle une renonciation à poursuivre les copropriétaires?

Ce sont sur ces questions que l’honorable Alexander Pless, juge à la Cour supérieure du Québec, s’est penché dans son jugement Intact compagnie d’assurance c. Vigeant, 2023 QCCS 937.

Résumé des faits

Le 22 avril 2018, un immeuble à logement sis au 8548 à 8558, rue Joseph-Quintal à Montréal (« l’Immeuble ») a subi d’importants dommages causés par un incendie qui a pris naissance sur la terrasse d’une unité appartenant à M. Alain Vigeant (« M. Vigeant »).

Selon les allégations des demanderesses, l’incendie aurait été causé par la négligence de Mme Virginie Vigeant (« Mme Vigeant »), fille de M. Vigeant, qui aurait éteint une ou des cigarettes dans un pot de fleurs alors qu’elle était en visite chez sa sœur qui occupait l’unité appartenant à leur père.

Plusieurs dossiers étaient joints. Dans le dossier portant le numéro de Cour 500-17-118271-215 (« –215 »), la demanderesse, Royal and Sun Alliance du Canada (« RSA »), était l’Assureur du Syndicat de copropriété nommé La Copropriété lot 818 (« Syndicat »).

Le Syndicat lui-même était également une des parties demanderesses conjointement avec d’autres copropriétaires divis de l’Immeuble dans le dossier pourtant le numéro de Cour 500-17-118269-219 (« –219 »).

Les demandes des demanderesses

Dans le dossier -215, RSA réclame que Mme Vigeant et son assureur, Square One Insurance Services Inc. (« Défenderesses »), soient tenus de payer les sommes versées par RSA à ses assurés suivant l’incendie. Dans le dossier -219, le Syndicat et les copropriétaires divis réclament des compensations pour les dommages qu’ils auraient subis, mais qui n’ont pas été payés par RSA.

Demande en rejet des défenderesses

Les poursuites des dossiers -215 et -219 sont attaquées par des Demandes en rejet des défenderesses qui soumettent que les Demandes dans ces dossiers ne sont pas fondées en droit.

Dans le dossier -215, les défenderesses prétendent que RSA ne peut poursuivre Mme Vigeant étant donné qu’elle ferait partie de la maison de l’assuré, son père, et ce, tant en vertu de l’article 2474 du Code civil du Québec que du libellé de la Déclaration de copropriété.

Pour ce qui est du dossier -219, les défenderesses allèguent que certaines clauses de Déclaration de copropriété, soit les clauses qui créent une obligation de s’assurer et celles de non-subrogation, constituent une renonciation implicite de poursuivre les copropriétaires et leur famille dont Mme Vigeant.

Décision du Tribunal

1. Les critères applicables à une Demande de rejet sont les suivants :

2. Les faits allégués doivent être tenus pour avérés;

3. La question est de déterminer si la demande est non-fondée en droit présumant que les allégués factuels sont vrais;

4. La Cour doit faire preuve de circonspection dans l’exercice de ce pouvoir;

5. Seule une absence claire et manifeste de fondement juridique mènera au rejet de la demande;

6. La Cour peut considérer les faits allégués ainsi que les pièces alléguées au soutien de la demande, mais seulement pour compléter les allégués et non pas pour rendre une décision basée sur cette preuve;

7. Le juge appelé à statuer sur la recevabilité d’un recours doit déterminer si les allégations de fait énoncées de la demande sont de nature à donner ouverture aux conclusions recherchées;

8. On ne peut rejeter une requête en irrecevabilité sous prétexte qu’elle soulève des questions complexes;

En cas de doute, il faut laisser au demandeur la chance d’être entendu au fond.

Mme Vigeant faisait-elle partie de la maison de son père et, conséquemment, le recours de RSA dans le dossier -215 doit-il être rejeté?

L’article 2474 C.c.Q. prévoit qu’un assureur ne peut être subrogé dans les droits de son assuré contre les personnes qui font partie de la maison de l’assuré. La Cour d’appel du Québec, tel qu’il appert de la jurisprudence constante de cette cour, interprète la notion de « maison de l’assuré » de manière large et généreuse dans le but de permettre la réalisation de son objectif, soit d’éviter qu’un assureur puisse poursuivre une personne que l’assuré, dans les droits de qui il est subrogé, n’aurait pas choisi de poursuivre.

En d’autres mots, d’empêcher que l’assureur ne poursuive « des personnes dont il aurait été impensable qu’elles soient poursuivies en raison de leurs liens avec l’assuré ».

Le tribunal, après avoir analysé la jurisprudence de la Cour d’appel, indique que l’objectif est également d’éviter de rendre l’assurance inefficace en forçant un assuré à renoncer à son contrat d’assurance et son droit à l’indemnité pour éviter qu’une personne de sa famille immédiate ne soit poursuivie.

Dans Martel c. Martel, la Cour d’appel précise que sont notamment visés par l’expression « maison de l’assuré » les membres de la famille immédiate d’un assuré et que la notion réfère aux personnes et non au lieu physique. Les personnes n’ont pas à habiter les lieux assurés et rien dans la loi ne limite l’exception à une maison d’habitation ou à la résidence de l’assuré.

À la lumière de la jurisprudence analysée, la Cour en est venue à la conclusion que la demande en rejet à l’égard du recours dans le dossier -215 devait être accueillie. En effet, même en tenant pour avérés les faits allégués dans la demande de RSA, l’honorable juge Pless en est venu à la conclusion que le recours n’était pas fondé en droit.

Ce dernier mentionne que « la jurisprudence sur le sens à donner à la notion de « maison de l’assuré » est claire de façon à ce que la fille de l’assuré soit incluse dans la notion » et que « c’est le lien de parenté entre M. Vigeant et sa fille qui est déterminant ».

Les demanderesses soulevaient également que M. Vigeant n’est pas l’assuré subrogeant à la source du recours subrogatoire de RSA et que par conséquent il n’est pas pertinent de déterminer si la défenderesse faisait, ou non, partie de la maison de M. Vigeant.

Or, selon les défenderesses, M. Vigeant est un assuré innommé de la police d’assurance souscrite par le Syndicat et, par conséquent, la protection contre la subrogation bénéficie aux membres de la maison de M. Vigeant.

Le juge n’a pas retenu l’argument des demanderesses et a mentionné que « la protection contre la subrogation des personnes faisant partie de la maison de l’assuré s’étend dans le contexte de copropriété par la nature de la relation entre les parties ».

Le recours du Syndicat et des autres copropriétaires divis est-il voué à l’échec en raison d’une quelconque renonciation à poursuivre les propriétaires et les membres de leur famille?

Cet argument toutefois n’a pas réussi à convaincre le tribunal qui n’a pu conclure que le recours du Syndicat et des copropriétaires était voué à l’échec.

Les demanderesses alléguaient également que leur recours ne découlait pas d’une subrogation étant fondé sur la responsabilité extracontractuelle de Mme Vigeant.

En l’espèce, la déclaration de copropriété créait des ambiguïtés. En effet, l’une de ses clauses prévoyant l’obligation du syndicat de s’assurer contre les dommages causés par l’incendie ne contenait pas l’obligation explicite d’obtenir une clause de non-subrogation à l’égard des membres de la famille du copropriétaire.

Cela aurait été sans effet à l’encontre de la protection contre la subrogation prévue par l’article 2474 C.c.Q. Toutefois, puisque les demanderesses prétendaient que leur recours ne découlait pas de la subrogation, mais directement de la faute de la défenderesse, ils n’ont pas renoncé implicitement à poursuivre les membres de la famille des copropriétaires.

Le Tribunal, en raison de la prudence dont il doit faire preuve en matière de rejet et de la nécessité d’interpréter la Déclaration de copropriété au-delà de ce qui est permis au stade préliminaire, a rejeté la Demande en rejet ne pouvant conclure que le recours était voué à l’échec.

À propos de l’auteure

Me Priscilla Simard est avocate au sein du groupe droit des assurances pour le cabinet Robinson Sheppard Shapiro. Une partie importante de sa pratique est consacrée à représenter des compagnies d’assurance tant en subrogation qu’en défense.

Son expertise porte, entre autres, sur la responsabilité civile générale, notamment la responsabilité d’assurés, d’entreprises et de fabricants. Elle représente également des commissions scolaires à l’encontre de litiges intentés par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.
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