Pourquoi j’ai quitté la profession d’avocate
Myriam Andraos
2020-10-07 15:00:00

Pourquoi quelqu’un qui est passionnée par ce qu’elle fait, manifeste du talent, rencontre du succès et gagne bien sa vie changerait entièrement de carrière?
Dans mon cas, il y avait une multitude de signes qui pointaient tous dans la même direction, à commencer par la fréquence et l’intensité des émotions négatives. Vivre régulièrement et répétitivement des émotions négatives ne faisait que m’éloigner de la joie et du bonheur, qui sont des objectifs de vie pour moi.
J’avais beau eu travailler sur moi et tenter de gagner en détachement et en sagesse, le constat était que je m’assombrissais. C’est que ces fameuses émotions négatives n’étaient que le symptôme ou la conséquence d’autre chose : les causes de ce « non-match » entre la profession et moi.
Honnêtement, ces causes sont multiples et diverses. Je vous épargnerai la plate liste. Tout de même, deux éléments importants méritent mention.
En effet, si à la base j’étais une jeune avocate idéaliste, optimiste et empreinte d’un grand sens de la Justice, le système m’a inéluctablement tirée vers la déception et le cynisme. J’ai vécu une désillusion radicale par rapport à notre système de justice.
Des juges rudes...
D’abord, il semble qu’il soit commun pour plusieurs juges (et accepté, même par le Conseil de la Magistrature) de traiter des avocats de manière rude, condescendante et désagréable. Il m’apparait que cela concerne surtout les avocats en défense et jeunes. Et si on est une jeune femme en défense, qui en plus ose se démener pour son client, alors là on n’a rien pour soi et les risques de « passer au batte » sont exponentielles.

Détrompez-vous, la plupart de mes expériences ont été somme toute agréables et stimulantes. Cependant, les épreuves douloureuses et cassantes demeurent trop fréquentes.
Un tel environnement de travail équivaut à du harcèlement psychologique. Le harcèlement est pourtant largement interdit dans les milieux professionnels du Québec, tout comme le « bullying » dans les cours d’école. Mais la violence psychologique dans les salles de cour, elle, est apparemment normale. Quant à moi, c’est intolérable et inacceptable en 2020.
Les juges nous doivent respect et considération, de la même façon que nous le leur devons. Peu importe les titres et les supposées positions d’autorité, les humains sont universellement égaux en droits et en dignité. Il me semble que cela aurait dû être intégré aux mentalités depuis le temps (les années 1950 pour la déclaration de l’ONU ou en 1982 pour la Charte canadienne, au choix) …
Personnellement, il m’est apparu évident que je n’ai absolument pas besoin de subir ça pour gagner ma vie. Point. Une fois c’est trop. Régulièrement c’est encore pire.
Ça, c’était la première raison de ma désillusion.
Justice = Juges?
La deuxième raison, maintenant, va probablement de pair avec la première. J’ai été obligée de constater que, en fin de compte, la « Justice » dépend du juge qu’il y a en face de soi – c’est-à-dire un humain, parfois borné, parfois irrité par la cause, l’avocat ou l’accusé, parfois touché dans ses valeurs ou sa morale, et qui rend bien la décision qui lui tente finalement.
Certains juges vont faire milles pirouettes intellectuelles pour tenter de justifier une décision qui ne se tient pas. D’autres vont se complaire dans le déni en ignorant tout ce qui les contredit. Si le juge veut conclure à XYZ, il va trouver une manière de se rendre à XYZ. C’est d’une tristesse absolue.
En d’autres mots, je parle d’injustice.
Il ne s’agit pas de tous les juges, ni de toutes les causes évidemment, mais il y en a beaucoup trop.
On nous dira alors : « Votre client n’a qu’à aller en appel, c’est comme ça que le système fonctionne ».
Le hic, c’est qu’un appel peut coûter quoi, 20 000$, 30 000$, 50 000$ en papiers et en avocats, si ce n’est plus? Certaines personnes ne peuvent pas aller en appel pour des raisons financières évidentes.
Puis, certains clients vivent très mal les procédures judiciaires – et je les comprends. C’est stressant et oppressant. Il y a beaucoup en jeu : emploi, liberté, famille, argent, réputation, santé mentale. En prime, plus souvent qu’autrement, la justice s’affaire à ressasser constamment le passé des gens, les empêchant de passer à autre chose dans leur vie. C’est négatif.
Ainsi, j’ai vu des personnes dont je suis certaine de l’innocence être trouvées coupables, mais décider de ne pas appeler de la décision. Après avoir vécu « l’enfer » de la justice pendant 2-3 ans, elles ne veulent pas se lancer dans un appel pour un autre 2-3 ans. Elles veulent juste en finir avec cette étape de vie, s’en libérer et aller de l’avant. Qui ne peut les comprendre?
Dégoûtée, j’en suis venue à appeler notre système : le système d’injustice. Je pense que c’est ça du cynisme. J’ai perdu la foi en la Justice Humaine et un peu du respect que je lui portais du même coup.
Certains parviennent à bien se porter devant cet état de fait. Pas moi. Je sais que je traine une blessure d’injustice de mon enfance. C’est probablement d’elle que j’ai trouvé la fougue de me battre assidûment pour mes clients. Je tente tant bien que mal de nettoyer cette blessure, de la panser et de la laisser cicatriser. Mais je demeure sensible et je supporte mal l’injustice. Pourquoi donc me mettre en position d’être blessée à nouveau et de rouvrir encore et encore cette plaie comme le supplice de Prométhée?
À un moment, c’est devenu très clair. Il fallait que je m’en aille. Au lieu de m’acharner à essayer de mieux gérer mes émotions négatives – comme si le problème venait de moi, alors que ces émotions sont tout à fait normales, naturelles et compréhensibles –, j’ai fait le choix d’épurer ma vie des sources continues de souffrance évitable. Je ne changerai pas le système ni les mentalités. Alors mieux vaut m’en éloigner le plus possible et m’épanouir dans le calme, la paix et la douceur. J’ai pris cette décision il y a bientôt un an, et pas une seule fois je ne l’ai regrettée.
En fait, je remercie l’univers de m’avoir transportée sur cette route. Je ne suis pas désolée de ce que j’ai vécu. Au contraire, grâce à toute cette expérience de vie, j’ai appris à mieux connaître mon vrai moi, à m’écouter et à me rapprocher de mon idéal de vie. La vie est bien faite.
Je ressens aujourd’hui des moments de bonheur beaucoup plus fréquemment, chaque jour en fait. Je mène une belle petite existence, sur mesure pour moi et telle que je l’ai choisie. J’ai grandi. J’ai avancé. Je me sens libre et légère. Je rayonne. Je commence un nouveau cycle.
Myriam Andraos a pratiqué toute sa carrière en droit criminel. En 2018, elle se confiait à Droit-inc...
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Anonyme
il y a 5 ansIl n'est pas normal de se faire manquer du respect par un juge ! Essayer de le rendre normal est vraiment choquant. Le reste je comprends que chacun choisi la carrière qui lui convient et exerce son droit le + élémentaire de se permettre le bien être. Regardons svp l'état de santé mentale des avocats. N'est il pas pertinent de se poser des questions sur la caractère sain de notre milieu de travail ? Je crois clairement que OUI.
Me
il y a 5 ansOn peut quitter la pratique sans pour autant quitter le droit ou la profession elle-même. Je savais dès l'école que je ne voulais absolument pas pratiquer en cabinet, quoique j'ai dû le faire pour mon stage, puis ensuite pour acquérir un peu d'expérience. Alors oui, aller me pogner avec des confrères et consoeurs devant des juges et vivre le festival des heures facturables avec les semaines de 70-80h, je l'ai fait. Clairement, je ne comprendrai jamais que des gens puissent aimer ça (et les statistiques démontrant que seule une minorité de membres du Barreau pratique réellement semble démontrer que je ne suis pas le seul), mais s'ils aiment, bah ! Tant mieux.
Toutefois, le cr*** de titre, je l'ai gagné et il n'est pas question de l'abandonner. Je comprends toutefois Mme Andraos si le poids financier relié au titre (cotisation, assurance pro, formation continue) est trop lourd. Dans tous les cas, je lui souhaite bonne chance.
Anonyme
il y a 5 ansÉcouter le podcast "ma version des faits" sur le cas Agostino Ferreira S4ep2 sur le dossier Agostino Ferreira. C'est assez troublant.
Anonyme
il y a 5 ansIl serait grandement souhaitable d’assainir les milieux de travail agressifs.
Pirlouit
il y a 5 ansJe suis d'accord avec elle sur l'attitude d'une minorité de juges. Le respect devrait être la qualité première d'un juge.
Par contre même si le système de justice est imparfait et manifestement surtout plus accessible pour les plus riches, je trouve que dire que "système d'injustice" est exagéré. Même si un juge rend jugement plus selon ses sentiments que le droit, il cherche quand même à être juste, normalement en tous cas.
Finalement, le fait d'être une femme n'a rien à voir dans tout ça à mon avis. Il y a pas mal autant de juges femmes qu'hommes maintenant, idem chez les avocats. Les juges brutaux envers les avocats, c'est envers tout le monde. En fait, je trouve que les juges sont généralement plus gentils envers les femmes et vont plus rentrer dans les hommes, qui peuvent "encaisser" selon l'idée reçue.
Anonyme
il y a 5 ansCe que Me Andraos décrit est la triste réalité des plaideurs.
Que les avocats soient bien préparés ou non ne justifie en rien la violence institutionnalisée. Car il s'agit bien de violence. Il existe une façon d'exprimer son point de vue sans détruire l'autre.
La plupart d'entre nous donnons le meilleur de nous-même. C'est inacceptable de se faire humilier et intimider, qui plus est quand ces comportements sont socialement acceptés et vus comme normaux.
C'est vrai toutefois que ce ne sont pas tous les juges qui agissent ainsi. Heureusement. Mais il y en a beaucoup. Trop.
De se faire ramasser sauvagement par un juge devant son client, ses collègues et le public, sans pouvoir véritablement tenir tête, répliquer et se défendre, laisse des traces psychologiques indélébiles et mine grandement l'estime de soi.
Le statut social et le rôle importants d'un individu ne font disparaître pour lui l'obligation de respecter ses congénères.
Paix.
Anonyme
il y a 5 ans"De se faire ramasser sauvagement par un juge devant son client, ses collègues et le public, sans pouvoir véritablement tenir tête, répliquer et se défendre, laisse des traces psychologiques indélébiles et mine grandement l'estime de soi."
Vous pouvez tenir tête, mais vous choisissez de ne pas le faire.
Je vous parie un p'tit deux que le genre de mésaventure que vous décrivez n'arrive jamais à des avocates dont les juges sont certains qu'elles leur tiendrait tête.
Le monde est un endroit violent, les tribunaux n'y font pas exception, et quelqu'un au profil d'agneau qui répand son parfum de victime va inévitablement finir par se faire "ramasser".
Les comportements que vous décrivez sont visibles dès la cour de récréation, et il est indispensable de les connaitre pour ne pas se faire "manger tout rond" dans une cour de justice, et à bien d'autres endroits.
Anonyme
il y a 5 ansC'est un milieu toxique. J'admire mes collègues plaideurs, mais c'est dommage que certains pensent que tout cela est normal et le justifient avec des pensées comme "c'est pour ça que je suis payé" ou "je dois juste devenir meilleur". Dans les autres milieu tu es payé pour faire un travail, le tout dans un environnement sain; tu peux faire des erreurs et apprendre sans te faire insulter. On ne devrait pas glorifier ce comportement. Il n'y a rien d'admirable à rabaisser des confrères/consœurs entre nous ou à ce que des juges le fassent. Il a amplement moyen de critiquer ou corriger quelqu'un sans rabaissement.
Le vrais visage de la justice
il y a 5 ansMalheureusement une fois de plus se sont des gens comme elle que nous avons besoin que se soit avocate policiere infirmière les individu de qualité qui pourrais réellement faire la différence fon face à la réalité et se sente impuissant face à la réalité de l'injustice et corruption qui existe depuis toujours car dans la vie c'est le plus fort qui mange le plus faible tous les coup sont permis! La justice est largent depuis toujours seul les mouton ne le save pas encore! J'ai un amis dans la police qui a frapper le même mûr et pourtant il en faudrait 9 sur 10 des comme lui! Enaways 99% du petit peuple dort au gaz et c'est pour sa que sa se répétera tjrs et tjrs sens cesse!! La question est celle ci êtes vous un lion ou un mouton!!????
Anonyme
il y a 5 ansComments like these and a few others are why I resent this article that reeks of personal vendetta and lashing out at the world for one's own personal failures.
There is a reason why lawyers are not allowed to speak this way about the justice system, and that's because it unfairly undermines the public's confidence in justice and brings illiterate whack-jobs like the the author of the above comment out of the woodwork.
Canada's justice system is about the best one you'll find anywhere in the world. I'm not saying the system can't be improved here and there, but to describe it as an "injustice" system is about the most ignorant f***ing thing I've ever read. Seriously. That is where she lost absolutely all credibility.
The author of this article ironically sounds like one of those bitter divorced fathers accusing the whole system of being corrupt because he has to share custody of his kids and (gasp!) pay child support.
I say this without the slightest hint of sarcasm: good riddance to this individual. Go sell real estate or something. We already have plenty of other self-righteous drama queens (male and female) in the profession.
Avocat de litige
il y a 5 ansLe seul commentaire à lire ici ce soir. J'appuie à 100%.
,Marie
il y a 5 ansMoi aussi, j'appuie à 100 %. Je l'ai vécu, je l'ai dénoncé, je le revivrai encore et je les dénoncerai encore.
Anonyme
il y a 5 ansI'm out.
Aux jeunes qui rêvent de faire partie de la profession, pensez-y à deux fois. En particulier le litige. C'est ce qu'il y a de plus ingrat. Tant vis-à-vis des clients que des tribunaux. Vous ne serez jamais vu comme le partenaire de personne, les clients vous voient comme un coût à éviter, vous allez vous pogner avec de nombreux confrères, et lorsque vous allez en Cour, le juge vous voit aussi comme un ******eur.
Le pire dans tout cela, c'est avoir le sentiment qu'il faut quasiment vomir ses arguments. On n'a plus le temps pour vous entendre ou pour vous lire. Tout doit être sommaire. Même une fois rendu à procès c'est la débandade. Tout ceci n'a rien à voir avec des joutes verbales de haut niveau et des constructions mentales complexes dans 90% des cas. Vous vous retrouverez aussi, bien souvent, à devoir batailler des arguments sophistes et des détournements factuels éhontés. Cela use à la longue de se battre contre des moulins.
Licorne
il y a 5 ansVrai, mais c'est ça le droit. C'est comme aller en politique et penser changer le monde. Le système a aussi une obligation de résultat en terme de jugements, chaque cause ne peut pas être un concours de perfection et de débat oratoire. Mais je vous suis sur votre raisonnement lucide et très bien écrit. Essayez de devenir Juge!
Anonyme
il y a 5 ansC'est que pour faire 1$ en litige ça prend beaucoup trop d'efforts, de stress et de sueur par rapport à pas mal d'autres professions, où on recevra davantage de reconnaissance plutôt que d'ingratitude.
Comme beaucoup de confrères, je commence mes journées de travail à 6h pour les finir à 20h, sans compter les fins de semaine. Je suis mort à la fin de la journée, sans parler de la fin de semaine. Mes amis qui ne sont pas avocats vont en campagne, au chalet, etc. Quant à moi, je reste travailler au bureau pour faire face aux échéances, rattraper les courriels, dans la crainte perpétuelle d'enfreindre mes obligations professionnelles. La réalité c'est que bien souvent lorsqu'on arrive en Cour on est déjà au bout de nos forces en raison des semaines, des mois et de l'année qu'on porte sur le dos.
Même beaucoup de ceux qui diront ici que c'est normal et qu'ils le vivent très bien, ne savent pas encore qu'il leur suffira en réalité de cette journée ou de cette semaine de trop pour que tout dérape et pour que leur acharnement au travail se transforme en cynisme, si ce n'est pas en burn-out.
Pour ceux qui souhaitent épouser la profession, regardez bien les avocats qui vous recrutent. Ont-ils l'air heureux? Désabusés? Est-ce peut-être un masque qu'ils portent (on est très bons pour ça)? Ont-ils l'air stables? Ont-ils l'air en santé? Comment sont leurs relations avec les collègues dans leur propre bureau? Avec les collègues des autres bureaux?
Je peux vous dire que vous allez noter pas mal de dos recourbés, de cheveux ou de peau en mauvais état, d'embonpoint à un taux supérieur à la moyenne dans la population compte tenu de la catégorie socio-professionnelle. Et si vous étiez une petite souris dans les chambres à coucher, vous apprendriez qu'il ne s'y passe généralement plus rien, et qu'en fait les relations avec les conjoints prennent rapidement le bord au profit du travail.
Mais il y a autre chose. c'est que cette profession constitue aujourd'hui un coût d'opportunité pour le débrouillard. Alors qu'auparavant nous n'avions qu'un travail pour la vie, aujourd'hui ce n'est plus le cas. Aujourd'hui on cherche même à avoir plusieurs sources de revenus plutôt qu'une seule. Mais pour cela, il faut pouvoir donner d'une ressource que nous n'avons pas: le temps. Car tout notre temps, si on veut intégrer sérieusement notre profession, est dévolu à notre travail d'avocats. Alors au final, peut-être que la personne qui a une job 2x moins payante mais qui lui prend 2x moins de son temps dans la semaine va pouvoir monter son propre projet en parallèle, et que c'est en fait ce projet qui va s'avérer être sa principale source de revenus.