Réussir son acquisition d’entreprise : les pièges et les risques

Julien Collin
2025-06-13 11:15:54
L’acquisition d’une entreprise comporte des risques souvent sous-estimés qui peuvent mettre en péril sa réussite…

L’acquisition d’une entreprise est bien souvent le fruit de mois de discussions, d’analyses financières et de négociations serrées. Pourtant, malgré toute cette préparation, des enjeux importants sont encore fréquemment négligés ou minimisés, parfois par excès de confiance, parfois par manque d’expérience ou d’accompagnement. Ces angles morts peuvent compromettre la viabilité et le succès d’une transaction commerciale qui semble autrement prometteuse.
Voici quelques-uns des enjeux que nous voyons malheureusement trop souvent apparaître après la signature, alors qu’ils auraient pu (et dû) être anticipés à l’avance.
1. L’encaisse nécessaire aux opérations
Il est courant que le vendeur retire une partie importante de l’encaisse juste avant la clôture dans le cadre d’une transaction dite « excluant l’encaisse et la dette » (ou cash free, debt free). Résultat : l’acheteur se retrouve avec une entreprise qui fonctionne sur le papier, mais qui n’a pas les liquidités nécessaires pour assumer ses obligations à court terme.
Quelques idées pour éviter ce piège :
- Insister sur un fonds de roulement incluant une encaisse minimale à la date de clôture.
- Prévoir un mécanisme d’ajustement post-clôture basé sur un seuil de liquidité minimal.
- Comprendre les cycles de facturation et de paiement pour ne pas être pris de court au jour 1.
- Prévoir le maintien, le transfert ou la mise en place d’une ligne de crédit pour prévoir les paiements des premiers mois.
2. Les employés clés et la rétention de talents
Une entreprise doit souvent sa performance à quelques acteurs-clefs: un directeur des opérations indispensable, un représentant qui connaît tous les clients ou un technicien qui détient un savoir unique. Si ces personnes quittent après la vente, c’est toute la stabilité de l’entreprise qui peut vaciller.
Quelques idées pour éviter ce piège :
- Identifier les employés clés tôt dans le processus de diligence.
- Négocier des ententes de rétention ou des bonis liés à la transition.
- Mettre en place des communications transparentes dès l’annonce pour rassurer les équipes et éviter les départs impulsifs.
- Considérer leur intégration immédiate ou à court terme dans l’actionnariat de l’entreprise.
3. Les chocs de culture
Parfois, il arrive que la culture bien ancrée dans l’entreprise achetée n’ait pas fait l’objet d’une évaluation ou d’une étude approfondie par l’acheteur. Ainsi, à titre d’exemple, l’acheteur arrive parfois avec sa propre vision de la structure, des valeurs, et la direction stratégique de l’entreprise qu’il souhaite imposer avec une certaine rigidité suivant son acquisition, alors que l’entreprise cible fonctionne selon une culture entrepreneuriale plus souple, axée sur l’autonomie et les relations informelles. Cette rupture peut générer du malaise et de la résistance.
Quelques idées pour éviter ce piège :
- Planifier une phase de transition qui peut inclure l’embauche sur une base temporaire du vendeur ou de la direction en place lors de l’acquisition.
- Faire preuve d’une présence accrue sur le terrain suivant l’acquisition.
- Faire participer les employés à la transition et prendre le temps de les écouter et d’identifier ce qui fait la force de l’organisation actuelle.
- Intégrer progressivement de nouvelles méthodes, sans tout bouleverser d’un coup.
4. Les ententes implicites ou informelles
Dans les PME, il est fréquent que certains fournisseurs ou clients de longue date n’aient jamais signé de contrat formel. La relation repose sur la confiance établie avec le propriétaire-vendeur. Après la vente, cette confiance ou cette relation peut ne pas se transférer automatiquement à l’acheteur.
Comment surmonter cet enjeu :
- Identifier et revoir les relations commerciales clés dans le cadre du processus de vérification diligente et, si possible, s’assurer de les formaliser avant l’acquisition.
- Faire intervenir le vendeur dans la transition des relations stratégiques.
- Obtenir des engagements écrits ou au minimum des assurances verbales documentées.
5. Les dettes cachées et engagements hors bilan
Tous les passifs n’apparaissent pas à l’état des résultats. Une réclamation d’un ancien employé, une garantie donnée à un tiers, ou une entente verbale avec un fournisseur peuvent représenter des obligations substantielles.
À creuser :
- Effectuer une vérification diligente approfondie des contrats, engagements et litiges potentiels.
- Exiger des déclarations et garanties explicites dans la convention d’achat-vente.
- Réserver une partie du prix en fidéicommis ou par clause de balance de prix de vente à titre de protection.
- Assurer le suivi et le respect des délais dans les clauses d’indemnisation mises en place.
6. Les enjeux technologiques trop souvent relégués au second plan
L’infrastructure technologique d’une entreprise est parfois perçue comme secondaire jusqu’à ce qu’il faille la maintenir ou l’intégrer. Or, une base de données vieillissante, des logiciels sur mesure sans support ou des licences non transférables peuvent paralyser l’opération. Cet enjeu est particulièrement criant dans le contexte d’une fusion ou de l’acquisition d’une entreprise compétitrice dans le but de l’intégrer aux opérations de l’acheteur.
À analyser attentivement pour éviter des surprises :
- L’état et la compatibilité des logiciels, systèmes comptables, bases de données, ERP ou CRM.
- La propriété des licences : sont-elles transférables? Qui les détient? Quelle est la durée des ententes?
- Le risque de désuétude : des systèmes vieillissants peuvent exiger des investissements majeurs à court terme.
- La cybersécurité : présence ou absence de protocoles de sécurité adéquats (sauvegardes, accès, protection des données).
- L’aspect humain : qui a les connaissances pour utiliser, programmer, modifier, et/ou mettre à jour les systèmes en place ? Qui a accès à quel type de données et quels risques y sont associés ?
7. L’après-vente : intégration, gouvernance et gestion de la transition
Trop d’acheteurs présument que « tout ira bien » après la signature. En réalité, l’intégration d’une nouvelle entreprise est un chantier en soi — sur les plans humain, administratif, technologique et stratégique.
Il faudra donc bien planifier les éléments clés discutés précédemment avant la prise de possession de l’entreprise et élaborer un plan pour l’intégration et la continuité dans les semaines suivants la transaction.
En conclusion
Une entreprise demeure un écosystème fragile constitué de personnes, de relations, de savoirs et de technologies. Une acquisition réussie repose sur une analyse rigoureuse des éléments visibles et invisibles, à savoir ceux qui ne figurent pas dans les états financiers, mais qui déterminent la stabilité et la valeur réelle de l’entreprise.
Ces aspects méritent d’être anticipés, analysés et discutés avec vos conseillers juridiques et financiers et, au final, détermineront le succès ou l’échec de votre acquisition.
À propos de l’auteur
Julien Collin est avocat et agent de marques de commerce chez Dunton Rainville. Il concentre sa pratique en droit des affaires, en propriété intellectuelle et en litige civil et commercial. Le Barreau 2012 détient un baccalauréat en droit de l’Université de Sherbrooke.