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Faire ses valises. À quel prix!? Conduite décevante c. Conduite indemnisable!

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Laurent Debrun

2008-10-17 09:30:00

Un employé démissionnaire a le droit de faire concurrence à son ex-employeur, dit la Cour suprême du Canada dans un jugement qui aura des répercussions. Mais il doit donner un préavis raisonnable…

RBC Dominion Valeurs mobilières Inc. v. Merril Lynch Canada Inc. (arrêt de la Cour suprême du Canada, 9 octobre 2008)

Delamont est employé chez RBC, directeur d’un petit bureau régional en Colombie- Britannique. Il planifie le départ massif de tout le bureau de RBC vers Merrill Lynch, de concert avec ce dernier et son directeur, Michaud, ancien cadre de RBC s'étant joint a ML quelques mois avant après 20 ans chez RBC. Tous les conseillers en placement vont partir ensemble sans donner de préavis à RBC. Pire, des dossiers de clients sont transférés par les employés avant leur départ officiel de RBC et transférés chez Merrill lynch. Malgré les efforts de RBC pour conserver les clients, ces derniers suivent leurs conseillers chez ML. En première instance, ML, Michaud et les anciens employés de RBC furent condamnés à des dommages pour avoir engagé leur responsabilité en s’appropriant des dossiers confidentiels de clients de RBC.

La Cour Suprême du Canada énonce les principes qui suivent :

L'employé démissionnaire peut être tenu a des dommages-intérêts seulement s'il ne donne pas un préavis raisonnable mais il est en droit de faire immédiatement concurrence a son employeur, même durant la période de préavis qu'il omet de respecter, sans être susceptible d'être recherché en dommages-intérêts, sauf utilisation illégale par lui d'informations confidentielles ou violation de clauses restrictives (qui ne sont pas pertinentes ici, les courtiers en placements et cette industrie n'étant pas friands de telles clauses!). Il n’existe donc aucune obligation générale en droit qui puisse empêcher des employés de faire concurrence à leur employeur.

Tout employé, qu'il soit cadre ou non, est tenu a des obligations quasi fiduciaires qui s'apparentent a celles relatives a la bonne foi.

Dans le cas en l'espèce, la CSC admet comme suffisant un préavis de 2 semaines et demie et fixe les dommages à 5000$ par conseiller pour son défaut de donner le préavis. Elle confirme leur condamnation à des dommages punitifs de 5000$ chacun pour appropriation illégale d'informations confidentielles appartenant a RBC pour lui faire une concurrence illégale mais annule la condamnation à des dommages pour utilisation de ces informations étant donné que les informations furent retournées a RBC et que cette dernière a admis que leur usage par ML et les courtiers ne lui avait pas causé de dommage prouvable.

La cour, sous la plume de la juge en chef, refuse de condamner les conseillers à des dommages-intérêts pour concurrence déloyale durant la période de préavis. Seuls les dommages causés par l’absence de préavis peuvent être obtenus par RBC. Ils correspondent à ce que RBC aurait obtenu en profits de par les services de ces employés durant la période de préavis.

La juge de 1ière instance avait également condamné les conseillers et ML solidairement responsables des dommages subis par RBC (perte de profits) pour une période 5 ans après leur départ. La cour d'appel avait renversé cette partie de la décision, estimant cette période trop longue et non prouvée. La Cour suprême maintient l’arrêt de la Cour d’appel sur cette question étant donné sa conclusion comme quoi un employeur ne peut réclamer d’un ancien employé des dommages-intérêts en raison de la concurrence que lui fait cet employé durant la période de préavis et après.

Delamont fut condamné en première instance à près de 1.5M$ de dommages-intérêts pour son manquement à son devoir de loyauté envers RBC, devoir lui imposant de tout faire pour garder à l’emploi de RBC ses conseillers plutôt que de les inciter à partir massivement vers ML. La cour d'appel avait renversé cette partie de la décision, condamnant Delamont à seulement $5000 en dommages punitifs. La CSC a restauré la lourde condamnation imposée en première instance.

La juge Abella est dissidente quant a la partie de l'arrêt des juges majoritaires ayant conclu que même en l'absence de restrictions contractuelles, Delamont était redevable envers RBC d'une obligation implicite d'agir de bonne foi dans le cadre de sa démission. Elle n'accepte pas non plus la période de 5 ans pour le calcul des dommages car la preuve ne permet pas de la justifier dans cette industrie.

La dissidence de la juge Abella laisse voir la diminution graduelle du fossé important jusque là reconnu par les juristes quant à l'intensité variable des obligations fiduciaires du cadre par rapport a celles du simple employé. Delamont n'est pas un cadre tenu à des devoirs fiduciaires. Pour le condamner, sans assise contractuelle ou juridique, la CSC vient d'importer la notion de devoirs quasi fiduciaires.

La bonne foi, comme guide des obligations, semble devenir de plus en plus l'arme fatale pour réprimer des comportements par avant acceptés ou réputés acceptables. L'employeur peut donc s'attendre a une protection plus importante qu'avant malgré l'absence de clauses restrictives.

Avec raison, la juge Abella s'érige contre cette interventionnisme qui anéanti la volonté des parties au contrat de ne pas imposer un tel régime non concurrentiel.

Toute concurrence est dure, jamais édifiante mais elle se doit d'être admise comme pendant de notre régime de droit laissant a l'employé et à l'employeur une forte marge de manoeuvre dans leurs décisions d'emploi.

Désormais, les employés démissionnaires vont craindre les conséquences de leur départ en groupe vers un nouvel employeur et ce dernier aussi devrait agir avec prudence. Les conseillers juridiques appelés à conseiller de telles parties doivent s'assurer que ce départ se fait de façon prudente, respectueuse des droits de l’employeur, sans appropriation d'informations confidentielles, en respectant un préavis minimum.

Même si la CSC valide la concurrence immédiate, même durant la période de préavis non donné, ce qui peut poser problème pour l’ancien employeur cherchant par injonction à forcer un employé à ne pas lui faire concurrence pendant la période de préavis, l’importance des dommages imposés à Delamont est lourde de conséquences. On notera que la CSC prend acte de l’aveu fait par ML comme quoi elle seule paierait toutes les condamnations imposées aux parties défenderesses, y compris pour des dommages punitifs. On peut s’étonner que la CSC approuve du règlement par le nouvel employeur de condamnations à des dommages punitifs imposés aux personnes qui, par leurs actes, ont causé préjudice à leur ancien employeur, principal concurrent de ML.

Par Laurent Debrun, Kaufman Laramée llp.
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