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Loyers : des propriétaires interdisent illégalement les cessions de bail

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Radio -canada

2021-06-22 10:15:00

Beaucoup de locataires utilisent la cession de bail pour permettre aux nouveaux locataires d'éviter une hausse des loyers. Un avocat commente…
Me Antoine Morneau-Sénéchal, avocat spécialisé en droit du logement. Sources : LinkedIn et Radio-Canada
Me Antoine Morneau-Sénéchal, avocat spécialisé en droit du logement. Sources : LinkedIn et Radio-Canada
La hausse des loyers de la dernière année est la plus importante à survenir depuis près de trois décennies, selon la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL). Toutefois, quelques outils, comme la cession de bail, de plus en plus populaire, en atténuent l'effet. Mais encore faut-il que ce droit soit respecté par les propriétaires.

Étienne Lapointe est un de ces locataires qui a frappé un mur lorsqu'il a voulu céder son bail. Il s’est trouvé un nouvel appartement qui lui convient mieux, il y a quelques semaines, et désire éviter au prochain locataire une hausse de loyer importante.

Puisqu’il a déjà renouvelé son bail pour l’année 2021-2022, deux scénarios s’offrent à lui pour le libérer de ses responsabilités contractuelles.

Le premier est la résiliation de bail, qui rend l’appartement au propriétaire. Celui-ci sera alors libre de choisir un nouveau locataire en commençant un nouveau bail. Le deuxième scénario est la cession de bail, qui permet à un candidat qu’il sélectionne, et qu'approuve le propriétaire, de reprendre son bail actuel aux mêmes conditions et, surtout, au même prix.

Après réflexion, Étienne Lapointe opte pour la cession de bail, même si cela lui demande davantage de démarches.

« Je suis conscient des enjeux, je le sais que les loyers montent à Montréal. Donc, il fallait absolument que je fasse ma part pour garder des loyers abordables », explique-t-il.

Mais il se heurte rapidement à de la résistance de la part de sa gestionnaire d’immeuble. Après une première tentative d’envoi par lettre recommandée infructueuse, Étienne décide d’avoir recours à un huissier pour s’assurer que l’avis de cession de bail est bien reçu.

« C'est sûr que c'est un peu stressant tout ce processus-là. J'aurais préféré que ça se passe plus facilement », avoue l’étudiant en littérature.

Étienne Lapointe a bien l'intention de mener à terme la cession de son bail, malgré les obstacles. Source : Radio-Canada
Étienne Lapointe a bien l'intention de mener à terme la cession de son bail, malgré les obstacles. Source : Radio-Canada
« Au téléphone, je lui ai mentionné que je la contactais pour la cession de bail et c’était une fin de non-recevoir plutôt catégorique de son côté. Elle a dit : "On ne fait pas ça" », raconte-t-il.

Quelques jours après l’envoi de l'huissier, Étienne reçoit une lettre de sa gestionnaire invoquant notamment des « réparations majeures nécessaires dans (son) appartement et (son) immeuble » pour refuser sa demande.

On lui offre plutôt trois mois de loyer afin qu'il résilie son bail et on lui donne l’option de sous-louer l’appartement à son candidat, mais pour une seule année, alors qu’il n’a jamais été question de sous-location du côté d’Étienne.

Me Antoine Morneau-Sénéchal, avocat spécialisé en droit du logement, affirme que le refus de faire une cession de bail en raison de travaux « n’est pas un motif valable » et que cet argument « ne fait pas échec au droit à la cession de bail du locataire ».

La cession de bail, un droit pour tous les locataires

Il n’est pas rare de voir des propriétaires refuser des cessions de bail sous de mauvais motifs, « surtout qu’on est dans un contexte d’échauffement du marché immobilier », explique Me Morneau-Sénéchal.

Plusieurs propriétaires, voyant les prix du marché locatif augmenter, préfèrent éviter les cessions de bail, qui les empêchent d’augmenter le prix du loyer, ajoute-t-il. D’autres préfèrent les éviter parce que cela les empêche de choisir eux-mêmes leur prochain locataire.

Il est donc important que les locataires connaissent leurs droits en matière de cession de bail, selon l’avocat.

« Il faut que les locataires sachent que la cession de bail, c'est un droit qui leur appartient, et qu'à moins d'un motif sérieux comme l'insolvabilité de la personne ou des mauvais antécédents de la personne qui reprend le bail, elle ne peut pas être refusée », rappelle l’avocat spécialisé en droit du logement.

« Lorsque les motifs pour refuser la cession n’ont pas trait au candidat lui-même, que le candidat est solide, (le refus du propriétaire) va être rejeté par le tribunal », assure l’auteur de l’ouvrage Le louage résidentiel.

Claudia Leduc, gestionnaire de plusieurs groupes Facebook d'entraide et de défense des droits des locataires. Source : Radio-Canada
Claudia Leduc, gestionnaire de plusieurs groupes Facebook d'entraide et de défense des droits des locataires. Source : Radio-Canada
Qu'est-ce qu'une cession de bail?

La cession de bail permet à un locataire de se libérer des obligations liées à son bail en le transférant à une autre personne qui le reprend tel quel, aux mêmes conditions. Une cession de bail est généralement utilisée lorsque le locataire décide de quitter de manière définitive son logement locatif. Le propriétaire ne peut pas refuser une cession de bail sans motifs sérieux.

Qu'est-ce qu'une sous-location?

Une sous-location est le plus souvent temporaire. Un locataire qui sous-loue son appartement à un tiers demeure responsable de son bail. Lorsque le contrat de sous-location est terminé, le locataire peut retourner dans son appartement. Le propriétaire ne peut pas refuser une sous-location sans motifs sérieux.

Qu'est-ce qu'une résiliation de bail?

Une résiliation de bail peut avoir lieu à n’importe quel moment du bail et met fin au contrat de location signé entre le locataire et le propriétaire, avec l'accord de ce dernier.

Mouvement de solidarité des locataires en ligne

Dans la dernière année, le loyer moyen de l’ensemble des appartements locatifs de la région métropolitaine de Montréal a augmenté de 6 %, la plus forte hausse depuis près de 30 ans, selon la SCHL.

Le porte-parole du Regroupement des comités logement et des associations de locataires du Québec (RCLALQ), Maxime Roy-Allard, déplore les impacts de cette hausse des prix sur le marché locatif.

« C'est vraiment une situation critique. Je pense qu'on est en train de perdre la bataille du logement abordable, dénonce-t-il. Ce n'est pas normal que les loyers augmentent de 5 %, 6 % par année alors que l'inflation est autour de 1 % à 2 %. Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas! ».

Comme pour faire front commun contre ce phénomène, Maxime Roy-Allard dit avoir remarqué un intérêt renouvelé des locataires pour la cession de bail.

« Clairement, en ce moment, il y a un engouement envers la cession de bail. Beaucoup de locataires s'intéressent à ce moyen-là pour trouver des logements, pour se solidariser et lutter contre les hausses de loyer abusives », explique le porte-parole du Regroupement des comités logement et des associations de locataires du Québec.

Camille Bardou a beaucoup aimé vivre dans son appartement montréalais. Elle souhaite que le locataire qui la suivra en profite au même prix. Source : Radio-Canada
Camille Bardou a beaucoup aimé vivre dans son appartement montréalais. Elle souhaite que le locataire qui la suivra en profite au même prix. Source : Radio-Canada
Maxime Roy-Allard indique d’ailleurs que le RCLALQ a l’intention de lancer l’an prochain une campagne sur le thème « Cède-moi ton bail » dans le but de sensibiliser les locataires à cet outil à leur disposition.

Claudia Leduc, qui est gestionnaire de groupes Facebook d’entraide entre locataires, a elle aussi remarqué un intérêt grandissant pour les cessions de bail.

« C'est un des rares outils, encore trop peu connu, que les locataires ont pour contrer la hausse des loyers et la crise du logement en ce moment », souligne celle qui modère le groupe J’te cède mon bail – dont le nombre de membres, qui s'élève à 17 000, ne cesse d'augmenter.

« On voit vraiment l’efficacité de ces groupes d’entraide en ce moment. Il faut qu’on reprenne notre pouvoir en tant que locataire et l’un des plus importants que nous avons, c’est de pouvoir faire une cession de bail. [...] Alors, il faut vraiment l’utiliser le plus possible », affirme Claudia Leduc.

« Il faut tenir son bout »

Comme Étienne Lapointe, Camille Bardou a rencontré de la résistance lorsqu’elle a indiqué à son propriétaire qu’elle voulait faire une cession de bail après l'achat d'un condo dans un autre quartier.

« Il s'opposait farouchement à la cession de bail, explique-t-elle. Moi, ça me causait un stress de procéder alors qu’il n’était pas d’accord ».

Se sentant frustrée et brimée dans ses droits, elle ne savait pas quels étaient ses recours. « Et je n’avais pas envie de me lancer dans de grandes démarches, avec des frais et des délais », ajoute-t-elle.

Camille a finalement abandonné l’idée d'entamer un processus de cession de bail.

Elle a toutefois l’intention de protéger le prochain locataire de son appartement d’une hausse abusive de loyer. La solution? Lui laisser une copie de son bail, afin qu'il sache à combien s'élevait son loyer.

Le RCLALQ, qui réclame d'ailleurs auprès du gouvernement l'instauration d'un registre obligatoire des loyers public et gratuit, salue le réflexe de Camille. La campagne Passe-moi ton bail en cours depuis la mi-mai encourage cette pratique.

Hans Brouillette, directeur des affaires publiques pour la Corporation des propriétaires immobiliers. Source : Radio-Canada
Hans Brouillette, directeur des affaires publiques pour la Corporation des propriétaires immobiliers. Source : Radio-Canada
« Je sais que c’est un geste à petite échelle. Mais j'ai décidé de faire ça pour que, de plus en plus, les gens soient conscientisés, que les locataires se posent de vraies questions s'ils paient vraiment le prix qu'ils devraient payer », mentionne Camille Bardou, locataire.

Étienne, lui, est bien décidé à aller de l’avant avec sa cession de bail, malgré la pression qu’il ressent pour qu’il en fasse autrement. Il dit avoir pris rendez-vous au Tribunal administratif du logement. « C'est quelque chose d'important et je veux continuer ce combat-là. Je veux aller jusqu'au bout et je veux faire respecter mes droits », insiste-t-il.

Son dossier sera évalué par le Tribunal le 30 juin prochain.

Selon Me Morneau-Sénéchal, les demandes sont généralement « entendues en urgence ». « En quelques semaines, on va avoir une solution au litige », assure-t-il. La peur des délais ne devrait donc pas décourager un locataire d'entreprendre une cession de bail.

« Il faut juste tenir son bout un petit peu. Mais quand on sait qu'on a le droit de notre côté, c'est pas mal plus facile de tenir notre bout! », déclare Claudia Leduc, la gestionnaire de groupes Facebook d’entraide et de défense des droits des locataires

Le droit devrait être précisé, selon la CORPIQ

Hans Brouillette, directeur des affaires publiques pour la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ), dénonce ce mouvement de cessions de bail dans le but avoué d’éviter les hausses de loyers.

« C’est une forme de syndicalisme locataire. (...) Ce mouvement-là contribue à la disparition de logements locatifs, parce que les propriétaires sont pris en otages et ne sont plus intéressés par des immeubles qui sont contrôlés par les locataires », explique Hans Brouillette.

Cette initiative dénature la cession de bail, qui devrait selon lui être un moyen pour le locataire de se libérer de ses obligations face à son propriétaire en cours de bail sans subir de préjudice financier.

« Forcer une cession de bail » contre le gré du propriétaire est « inacceptable », ajoute-t-il. Il est tout à fait naturel, à son avis, que les propriétaires veuillent éviter les cessions de bail afin de pouvoir augmenter leurs loyers « au prix du marché » alors que les prix de l’immobilier, de la main-d'œuvre et des matériaux augmentent.

Hans Brouillette estime que la cession de bail devrait être interdite lorsque le propriétaire accepte sans pénalité de résilier un bail avant son terme. « Le droit doit être précisé. Il y aura assurément une bataille devant les tribunaux un jour ou l’autre là-dessus et la CORPIQ en fera partie », assure-t-il.
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