Entrevues

«Nous ne sommes pas contre l’aide médicale à mourir»

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Emeline Magnier

2015-12-10 15:00:00

L'avocat qui s'oppose à l'application de la Loi sur l'aide médicale à mourir se veut être le défenseur du consentement libre et éclairé. Il explique sa cause à Droit-inc…

Me Gérard Samet défend avant tout le libre choix des patients en fin de vie.
Me Gérard Samet défend avant tout le libre choix des patients en fin de vie.
À l'avant-scène dans le débat judiciaire actuel sur la Loi sur l'aide médicale à mourir, Me Gérard Samet représente Lisa D'Amico, atteinte d'un déficit moteur cérébral depuis sa naissance. Avec la Coalition des médecins pour la justice sociale, elle est à l'origine de la demande d'injonction visant à suspendre l'application de la loi québécoise.

Le 1er décembre dernier, la Cour supérieure a accepté cette demande et suspendu l'application de la loi qui était prévue au 10 décembre. Mais la Cour d'appel a accepté hier d'entendre l'appel du gouvernement et a ordonné « la suspension des procédures en première instance jusqu'au jugement de la Cour d'appel ». L'audience aura lieu le 18 décembre prochain.

Loin d'être contre l'aide médicale à mourir, Me Samet défend avant tout le libre choix des patients en fin de vie. Il a répondu aux questions de Droit-inc.

Pourquoi avoir pris cette cause ?

Je suis connu pour m'occuper beaucoup des questions de santé et je vais et viens entre l'Europe et le Québec depuis 10 ans pour essayer de faire connaître les solutions françaises et allemandes dans la province dans le but d'améliorer l'offre de soins.

J'ai d'abord été approché par le docteur Paul Saba, mais son combat contre l'euthanasie n'est pas celui de ma cliente. Ce qu'elle veut avant tout c'est que l'offre de soins pour les personnes en fin de vie soit améliorée au Québec, nous ne sommes pas du tout contre l'aide médicale à mourir.

Pourquoi est-ce que vous vous opposez à la mise en application de la loi québécoise ?

Notre but n'est pas de contester la décision politique. Le problème se situe au niveau du consentement qui doit être donné par le patient pour bénéficier de l'aide médicale à mourir. Il doit être libre et éclairé, et ça, c'est une question juridique. Les personnes doivent avoir le choix. Or au Québec, seuls 20% de ceux qui en ont besoin bénéficient de soins palliatifs. Dans ce contexte, on ne peut pas parler de consentement libre et éclairé. Ma cliente n'a même pas de médecin de famille !

L'aide médicale à mourir ne doit pas être la seule solution proposée aux patients, s'ils n'ont pas l'option de bénéficier de soins palliatifs ils n'ont pas le choix ! C'est un non-sens d'appliquer la loi si l'offre de soins n'est pas améliorée ! Il faut un choix réel et des balises.

Vous avez dit que le jugement rendu par la Cour d'appel hier ne suspendait pas celui de la Cour supérieure. Pourquoi ?

Le 1er décembre, la Cour supérieure a rendu un jugement interlocutoire déclaratoire : il donne un avis juridique contraignable au gouvernement, mais ce n'est pas un jugement exécutable. S'agissant d'un jugement interlocutoire, il n'est appelable que sur permission. La Cour d'appel a considéré qu'il s'agissait d'un débat majeur de société et a donc décidé d'autoriser l'appel.

Le juge de la Cour d'appel a dit hier qu'il suspendait les procédures de première instance, ce n'est pas clair, il y a une ambiguïté. Comme ce n'est pas un jugement exécutable, on ne peut pas le suspendre. Si j'étais le gouvernement, j'attendrais le 18 décembre, date à laquelle la Cour d'appel entendra l'appel sur le jugement rendu le 1er décembre par la Cour supérieure.

La ministre de la Justice a dit que les médecins qui appliqueront la loi québécoise seront protégés et ne seront pas poursuivis en vertu du Code criminel. Qu'en pensez-vous ?

La ministre de la Justice québécoise n'a aucune autorité hiérarchique sur le Directeur des poursuites criminelles et pénales qui est une autorité indépendante fédérale. Le premier ministre Justin Trudeau a encore dit dans la presse ce matin que la loi fédérale s'appliquait jusqu'à sa modification à la suite de l'arrêt Carter, qui donne à son gouvernement jusqu'au mois de février pour revoir les dispositions du Code criminel sur le suicide assisté et le décriminaliser. Pour le moment, tant que le Code criminel n'a pas été modifié, tout soignant qui participerait à ce type d'acte n'est pas à l’abri d'une poursuite.

Que ce soit en février ou plus tard si la demande de prolongation du gouvernement fédéral est acceptée, le Code criminel va être modifié. Votre bataille n'est-elle pas perdue d'avance ?

Il y a deux batailles : celle du docteur Saba contre l'euthanasie, qui n'est pas la nôtre, et celle sur les articles du Code criminel qui n'est pas essentielle au débat judiciaire actuel. Il faut d'abord des balises pour apprécier le consentement libre et éclairé des patients. La famille, un psychologue devrait pouvoir intervenir à la procédure, l'avis d'un médecin n'est pas suffisant. Et il faut aussi développer un système de soins palliatifs suffisant pour offrir un choix aux patients. Si rien ne leur est proposé pour diminuer leur douleur mise à part l'aide médicale à mourir, on ne peut pas parler de consentement juridique valable.
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5 commentaires

  1. Avocat
    Avocat
    il y a 8 ans
    Avocat
    Il est bien ce Gérard Samet. Il a la culture nécessaire pour formuler des phrases complètes, ce qui manque à 90% des avocats québecois, peu importe leur âge et leur expérience.

  2. Anonyme
    Anonyme
    il y a 8 ans
    G. Samet c. J.-C. Hébert, 2015 QCLapresse 1207
    "La ministre québécoise de la Justice et procureure générale, avec l'aval du gouvernement, a clairement indiqué qu'un médecin qui respecte les exigences de la loi québécoise concernant les soins donnés en fin de vie ne serait pas poursuivi en justice."
    - J.C. Hébert.

    http://www.lapresse.ca/debats/votre-opinion/201512/04/01-4927939-une-injonction-trompeuse.php


    "La ministre de la Justice québécoise n'a aucune autorité hiérarchique sur le Directeur des poursuites criminelles et pénales qui est une autorité indépendante fédérale." - G. Samet



    C'est qui est le boss du DPCP finalement? La loi est-elle claire là dessus au moins?

    • Me Stéphane Lacoste
      Me Stéphane Lacoste
      il y a 8 ans
      Me Hébert a (toujours) raison
      Le DPCP a l'autorité courante d'intenter ou arrêter une poursuite criminelle. Il est en principe indépendant dans la mesure prévue par la Loi. Or, la Procureure-générale du Québec demeure toutefois sa supérieure et peut émettre des directives ou prendre charge directement d'un dossier selon le cas, conformément à la Loi. Il est possible que la Procureure générale émette une ordonnance générale de nolle prosequi, c'est-à-dire une ordonnance de ne pas intenter de poursuite pour des faits liés à l'application de telle ou telle disposition légale ou qu'elle le fasse au cas par cas.

      Si le droit criminel lui-même relève de la compétence fédérale, l'administration de la justice est, elle, de compétence provinciale.

  3. Anne
    Le droit de vivre dans la dignité
    "L'aide médicale à mourir ne doit pas être la seule solution proposée aux patients, s'ils n'ont pas l'option de bénéficier de soins palliatifs ils n'ont pas le choix ! C'est un non-sens d'appliquer la loi si l'offre de soins n'est pas améliorée ! Il faut un choix réel et des balises"

    Et c'est là ma principale préoccupation.

    On a beaucoup parlé du "droit de mourir" dans la dignité mais qu'en est-il de celui de vivre dans la dignité? La maladie elle-même ne rend pas indigne.

    Si des gens demandent la mort parce que le milieu de vie qu'on leur offre en CHSLD est misérable alors il n'y a pas de véritable choix. Oui à l'euthanasie pour ceux qui le veulent vraiment mais ceux qui veulent vivre doivent aussi pouvoir le faire dans la dignité. Le droit à la vie est un droit protégé

  4. Rodolphe Bourgeois
    Rodolphe Bourgeois
    il y a 8 ans
    Avocat criminaliste
    Me Samet, le Directeur des poursuites criminelles et pénales du Québec est une autorité provinciale, et non fédérale. Il applique du droit fédéral. En vertu de la Loi constitutionnelle de 1867, le fédéral a compétence pour légiférer sur le droit criminel (droit substantif, de la preuve et de la procédure) mais ce sont les procureurs généraux des provinces qui ont la responsabilité première de "l'administration" de la justice criminelle (porter les accusation, embaucher le personnel, fournir le locaux et les budgets). Au Québec, la Loi sur le Directeur des poursuites criminelles crée cet organisme et lui dévolu les responsabilité du Procureur général du Québec en matière de poursuites criminelles. Le DPCP est une créature provinciale.

    Mais le DPCP est subalterne en général au Procureur général. Son indépendance est au niveau des décisions individuelles. Le Procureur général et Ministre de la justice peut émettre des orientations et priorités qui lient le DPCP mais ne peut s'immiscer dans la décision d'accuser telle ou telle personne individuellement. Donc, il pourrait prévoir qu'à l'avenir, on éviter de poursuivre pour possession simple de cannabis tout comme il a adopté une politique de privilégier les poursuites en matière de violence conjugale et sexuelle. Mais il ne pourrait pas intervenir pour empêcher qu'on accuse, disons, un proche du premier ministre.

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