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Pas qu’une question de fin de vie

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Benoît Pelletier

2016-06-09 11:15:00

Pour ce juriste, le projet de loi C-14, examiné en ce moment par le Sénat, va plus loin que l’arrêt Carter sur certaines questions, et pas sur d’autres. Il s’explique…

Me Benoît Pelletier est Professeur titulaire à la Faculté de droit de l'Université d’Ottawa
Me Benoît Pelletier est Professeur titulaire à la Faculté de droit de l'Université d’Ottawa
Le projet de loi C-14, examiné en ce moment par le Sénat, va plus loin que l’arrêt Carter sur certaines questions, alors que sur d’autres, il est probablement en deçà de ce que la Cour suprême avait en tête au moment où elle a rendu sa décision.

Le projet de loi fédéral permet aux infirmières praticiennes d’évaluer les demandes d’aide médicale à mourir et de fournir celle-ci aux patients, et ce, au même titre que les médecins. Cette aide peut donc être procurée aux patients par les infirmières praticiennes, sans même qu’aucun médecin n’ait à y participer. Or, dans Carter, la Cour suprême n’a parlé que des médecins. Cela ne rend pas pour autant inconstitutionnelle l’extension de cette aide aux infirmières praticiennes, puisque cet arrêt est un plancher et non un plafond.

De plus, le projet de loi fédéral requiert l’existence d’une relation de cause à effet entre d’une part la maladie, l’affection ou le handicap dont un patient est affligé, et d’autre part les souffrances qu’il endure. Mais le projet de loi prévoit également que les souffrances peuvent être occasionnées non pas par la maladie, affection ou handicap du patient, mais plutôt par le déclin avancé et irréversible de ses capacités. Cette dernière hypothèse dépasse les exigences de l’arrêt Carter. Cela n’est toutefois pas inconstitutionnel puisque, répétons-le, cet arrêt constitue un minimum et non un maximum.

En deçà de l’arrêt Carter

Le projet de loi C-14 se limite à des situations où le patient est dans un déclin physique avancé et à l’approche de la mort. Notons cependant qu’il n’exige pas qu’un pronostic soit établi quant à l’espérance de vie du patient. Il n’exige pas non plus que la mort de ce dernier soit causée par la maladie, l’affection ou le handicap qui l’affligent. Il suffit que sa mort naturelle soit « devenue raisonnablement prévisible compte tenu de l’ensemble de sa situation médicale ».

Sur ces questions, le projet de loi C-14 se fonde essentiellement sur le paragraphe de l’arrêt Carter dans lequel la Cour suprême affirme que ce dernier n’est censé s’appliquer qu’à des situations de fait semblables à celles présentées en l’espèce, et qu’il ne porte pas sur d’autres situations où l’aide médicale à mourir pourrait être demandée.

Malgré l’affirmation de la Cour suprême qui précède, nous doutons fortement que celle-ci ait vraiment voulu limiter l’aide médicale à mourir aux seules situations où un patient est en fin de vie. D’ailleurs, Kay Carter, soit celle qui était au coeur de l’affaire qui porte désormais son nom, n’aurait possiblement pas eu droit à cette aide si le projet de loi C-14 avait fait autorité à l’époque.

L’interprétation la plus plausible de l’arrêt Carter nous semble donc être celle voulant que celui-ci s’applique à tout patient qui est affecté de problèmes de santé graves et irrémédiables lui causant des souffrances persistantes et intolérables. Cela s’avère, selon nous, même si la mort de ce patient n’est pas raisonnablement prévisible, même si le patient a la capacité physique de mettre fin à ses jours, même si la maladie mentale est sa seule condition médicale et même s’il n’est pas atteint d’une maladie mortelle.

En effet, dans Carter, la Cour suprême s’est dite inspirée par un certain nombre de principes tels que l’intégrité physique et psychologique et la qualité de vie du patient, principes qu’elle a rattachés aux droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne humaine. Du reste, la Cour a rappelé le droit des patients adultes de décider de leur propre sort, ainsi que l’importance que soient respectés les choix que font ces patients quant à la fin de leur vie. Elle a aussi mentionné que l’absence d’aide médicale à mourir pouvait forcer une personne à s’enlever la vie plus tôt qu’elle ne l’aurait fait si une telle aide avait été disponible.

Or, il nous semble que toutes les valeurs ou considérations mentionnées ci-dessus s’appliquent aussi bien aux patients dont la mort naturelle n’est pas encore raisonnablement prévisible qu’à ceux qui sont en fin de vie. De plus, selon nous, elles s’appliquent aussi bien aux patients qui sont atteints d’une maladie mentale qu’à ceux qui souffrent d’une maladie physique, dans la mesure évidemment où les différentes conditions énoncées dans Carter sont respectées.

Donc, en se limitant aux cas où un patient est en fin de vie et en excluant la possibilité que la maladie mentale soit la seule condition médicale de celui-ci, le projet de loi fédéral propose une interprétation plutôt restrictive de l’arrêt Carter et ouvre inévitablement la porte à de nouvelles contestations judiciaires.

Néanmoins, il est impossible de prédire ce que ferait la Cour suprême si elle avait à se prononcer aujourd’hui sur la validité de ce projet de loi. En effet, elle pourrait le déclarer insuffisant pour les motifs avancés ci-dessus. Mais elle pourrait aussi, au contraire, trouver qu’il offre un compromis honorable, légitime et constitutionnel entre d’une part l’accès à l’aide médicale à mourir et d’autre part la protection des personnes vulnérables.

Me Benoît Pelletier est Professeur titulaire à la Faculté de droit de l'Université d’Ottawa depuis 1990 et ex-membre du comité fédéral externe sur l’aide médicale à mourir. Il a aussi assumé la fonction de doyen adjoint à cette faculté de droit de 1996 à 1998.

Admis au Barreau du Québec en 1982, il a d’abord pratiqué le droit au sein du contentieux des affaires civiles et du droit immobilier du ministère de la Justice du Canada (de 1983 à 1989) et des Services juridiques du Service correctionnel du Canada (en 1989 et 1990), à Ottawa.

Pendant dix ans, Benoît Pelletier a représenté la circonscription de Chapleau à l’Assemblée nationale du Québec. Il a été ministre du gouvernement du Québec pendant près de six ans. À ce titre, il a été notamment responsable des Affaires intergouvernementales canadiennes, de la Francophonie canadienne, des Affaires autochtones et de la Réforme des institutions démocratiques.

Détenteur d’un baccalauréat en droit de l’Université Laval, Benoît Pelletier détient aussi une maîtrise en droit de l’Université d’Ottawa et deux doctorats en droit, l’un de l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne), l’autre de l’Université Aix-Marseille III. Il détient de plus un doctorat honoris causa en droit de l’Université de Moncton.


''Le Sénat a adopté mercredi soir un amendement remplaçant les critères d'admissibilité contenus dans la mesure législative par ceux édictés par la Cour suprême du Canada (CSC), retirant du coup du texte de C-14 la notion de mort naturelle raisonnablement prévisible.''

''Ce concept avait été vigoureusement critiqué par de nombreux observateurs, notamment par le ministre québécois de la Santé, Gaétan Barrette, qui a applaudi jeudi à l'Assemblée nationale l'adoption de cet amendement. Il a dit espérer que le gouvernement fédéral « va donner suite » à cette proposition du Sénat, qui est selon lui « la plus sensée ».''

Les ministres de la Justice, Jody Wilson-Raybould, et de la Santé, Jane Philpott, n'avaient pas réagi, jeudi matin, à ce nouveau développement significatif. La veille, Mme Wilson-Raybould avait signalé qu'elle était contre le retrait du critère de mort naturelle raisonnablement prévisible.''

La Presse Canadienne
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