Sophie Bérubé est avocate, médiatrice familiale, auteur et collaboratrice dans différents médias
Sophie Bérubé est avocate, médiatrice familiale, auteur et collaboratrice dans différents médias
"Réveillez-vous" C'était le nom du magazine mensuel des témoins de Jehovah qui venaient chez nous le samedi matin tenter de nous convertir avec leurs enfants. Ma mère les laissait entrer, les écoutait parler de Dieu et prenait leur petit pamphlet sans trop les prendre au sérieux.

Moi, j'étais toujours curieuse de l'enfant qui accompagnait les "pèlerins". Je sentais toujours une petite gêne chez eux, un malaise d'enfant qui préférerait être un enfant et jouer, plutôt que d'annoncer la fin de monde aux gens et d'inviter à craindre la colère de Dieu.

Cette semaine, Éloïse Dupuis, 27 ans, est morte après avoir refusé une transfusion sanguine en raison de ses croyances religieuses.

L'état actuel du droit ne nous permet pas de sauver cette jeune mère de la mort ni de l'imbécilité qui a conduit à sa mort. On ne peut tout simplement pas obliger quelqu'un à recevoir des soins si la personne qui les refuse est en mesure de prendre une décision éclairée. Parfois, ça ne fait pas de sens et le mot "éclairé" n'a rien de bien lumineux.

Heureusement, dans les cas d'enfants de moins de 14 ans, si les parents témoins de Jehovah refusent une transfusion, la Cour permet à l'hôpital de prendre la garde temporairement des enfants pour leur administrer les soins nécessaires.

Et aujourd'hui, les hôpitaux ont trouvé des moyens plus subtils, sans avoir recours à la DPJ et aux tribunaux, de convaincre les parents d'accepter des transfusions en leur donnant un avis à l'effet qu'ils vont tout faire pour respecter leur croyance et éviter une transfusion, mais que si l'état de santé de l'enfant l'exige, ils le feront. La plupart des parents acceptent et leur principale préoccupation n'est pas la damnation éternelle de leur enfant mais la confidentialité de leur dossier pour pas que les autres témoins Jehovah s'en mêlent.

La société l'a abandonnée

La situation est malheureusement différente pour les adolescents et les adultes.

En fait, quand une jeune femme comme Éloïse Dupuis, cette semaine victime d'une hémorragie en accouchant, refuse une transfusion sanguine, il est déjà trop tard pour intervenir et la sauver. Il est trop tard pour arrêter le train de la connerie qui file à toute vitesse vers la catastrophe. Les wagons sont trop chargés.

À mon avis, cette jeune femme, nous l'avons déjà abandonnée, il y a longtemps. Le "nous" c'est le Québec, la société et la petite communauté dans laquelle a grandi cette jeune femme.

Nous ne l'avons pas protégée de la secte qui l'empêchait, enfant, de jouer à la récréation avec les autres enfants, de chanter, de fêter l'Halloween ou tout simplement d'être en congé le samedi.

Nous ne l'avons pas protégée lorsque, toute petite, Eloïse s'est mise à craindre Dieu plus que la mort.

Nous avions une responsabilité d'éduquer convenablement cette petite fille, de manière égale aux autres petits Québécois, de tout faire pour développer son sens critique, et surtout, lui donner tous les outils pour fuir la secte et l'idéologie qui l'ont contrôlée au point de lui faire abandonner son nouveau-né.

Il est facile de juger ceux qui ne pensent pas comme nous ; ceux qui suivent une religion quelle qu'elle soit au-delà de la falaise comme des petits moutons inconscients. Mais ayons l'honnêteté d'admettre que s'ils sautent au bout de la falaise, s'ils se tuent au nom de la religion, c'est aussi parce que nous avons échoué à leur transmettre une éducation digne de ce nom.

Ces enfants brainwashés depuis la tendre enfance, par des parents brainwashés eux aussi, aujourd'hui, deviennent de plus en plus dangereux pour eux-mêmes et leurs enfants.

Nous avons abandonné la petite Éloïse bien avant qu'elle ne décide de refuser des soins à Lévis cette semaine.

Combien d'enfants abandonnons-nous chaque jour au Québec ? Combien d'enfants laissons-nous se faire anesthésier le cerveau, cet organe qui pourrait les sauver et leur faire profiter de la vie ? Nous avons une responsabilité collective envers tous les enfants, ne l'oublions pas.

On dit que ça prend un village pour élever un enfant. Qu'est-ce qu'on attend pour se mettre encore plus au boulot ?

Réveillez-vous ! comme disent les témoins de Jehovah.


Sur l'auteure
Sophie Bérubé est avocate, médiatrice familiale, auteur et collaboratrice dans différents médias.
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