Dr Larry Richard est à la tête de la firme de consultation LawyerBrain LLC.
Dr Larry Richard est à la tête de la firme de consultation LawyerBrain LLC.
Le constat est implacable : « Les avocats sont incapables de s’adapter au changement, au point d’avoir érigé leur immuabilité en art », lance d’entrée de jeu le psychologue et avocat américain Larry Richard.

A la tête de la firme de consultation LawyerBrain LLC, qu’il a fondée, le docteur en psychologie et ex-plaideur Larry Richard s’appuie sur des décennies de recherches en sciences cognitives pour intervenir auprès de nombreuses firmes.

Celles-ci, lorsqu’elles éprouvent des problèmes de roulement de personnel, de leadership, de recrutement ou de rentabilité, appellent le Dr. Richard en renfort. Nous l’avons rejoint à ses bureaux, en banlieue de Philadelphie.

Droit-Inc : Les avocats, comme profession, auraient une personnalité différente des autres professionnels?


Me Larry Richard : Cela ressort beaucoup dans les tests psychométriques, alors que les indicateurs tels l’intuition, le raisonnement, l’ambition, les placent aux antipodes de la population en général. Les pires scores obtenus en matière de résilience face au changement et l’empathie le sont chez les avocats. Et meilleurs sont les avocats, pires sont les scores.
Cela se confirme tant empiriquement qu’anecdotiquement.

Une illustration typique de cette attitude se trouve lorsque je donne des conférences devant un parterre d’avocats. Alors, que le monde entier concède que l’économie ne sera plus jamais la même, depuis la crise financière des dernières années, les avocats sont, pour l’immense majorité, convaincus que tout reviendra à la normale, qu’ils n’ont qu’à laisser passer la vague et que les affaires reprendront. Résultat, dans le palmarès des 200 plus grandes firmes de AM Law, une trentaine à peine gardent la tête hors de l’eau. Et rares sont les firmes qui se remettent en question et cherchent de nouvelles façons de générer des revenus! Il y a des exceptions, alors que certains cabinets facturent différemment, ou misent sur le télétravail, mais c’est rare.

Comment expliquez-vous cela ?

C’est le problème de la mentalité de troupeau. Personne ne bouge avant qu’un autre ait posé le premier geste, et donc l’innovation est rare. On craint beaucoup trop d’être différent des autres. Par ailleurs, ce sont des personnes très susceptibles, à qui il est presqu’impossible d’offrir des critiques constructives. Chaque critique est vue comme une attaque personnelle.

Cela explique en grande partie pourquoi les cabinets éprouvent beaucoup de difficultés à garder leurs jeunes recrues. Les milléniaux, par exemple, ont des attentes quant à des services de mentorat, ou encore souhaitent que leurs patrons soient des leaders. Souvent, malheureusement, les cabinets trouvent difficile de s’adapter à ces demandes. C’est ce que je constate dans ma pratique.

Pourquoi est-il important de faire face au changement et de l’embrasser ?

La demande provient de partout. En entreprise, les patrons insistent pour avoir des conseillers juridiques qui les épaulent dans leurs décisions, qui les aident à faire croître la compagnie. Mais voilà, les avocats sont incapables de prodiguer le soutien et les conseils que la direction leur demande. Cette dernière voudrait qu’on arrête de dire simplement « Non » à un projet, et qu’on les aide à trouver une solution alternative, qu’on s’implique davantage dans la compagnie. Sauf qu’un avocat est beaucoup trop prudent, au point qu’il en est paralysé : dire « non » n’engage à rien, et ne comporte aucun risque. Cela devient de plus en incompatible avec les attentes des sociétés : elles demandent l’aide de leurs avocats, et ceux-ci se figent.

Quant aux particuliers, l’internet a révolutionné la pratique : en ligne, on offre des testaments, des contrats, et les services légaux virtuels prodiguent leurs conseils à rabais, ceux qui les offrent n’ayant que peu de coûts fixes. Les petits cabinets peuvent maintenant s’occuper de dossiers qui étaient réservés aux grandes firmes. Au final, les cabinets qui tirent leur épingle du jeu sont ceux qui sont gérés comme des sociétés, où l’on fait appel à des gestionnaires, à des comptables, et qui s’adaptent au changement.

Les méthodes de facturation actuelles posent-elles problème ?

Les régimes de compensation en vigueur sont basés sur l’apport individuel : celui qui rapporte davantage de clients récolte le pactole. Cela crée une forte concurrence entre les individus, qui, elle-même, engendre un culte de la personnalité. Le problème, c’est que l’essentiel de la littérature scientifique relate les bienfaits de la coopération, et comment elle est plus rentable que l’individualisme. Les cabinets trouvent cependant difficile de s’y mettre ; le travail d’équipe, qui permettrait d’innover, n’existe pratiquement pas dans les cabinets qui peinent à maintenir la tête hors de l’eau.

Y a-t-il des solutions ?

Il faut que les avocats, notamment les dirigeants, cultivent davantage leur intérêt pour la psychologie industrielle, la gestion et l’efficience organisationnelle, afin de trouver des façons de travailler autrement. La science managériale nous montre que la satisfaction des employés et la coopération sont des facteurs permettant d’augmenter la profitabilité.

Le fait est que ça ne suffit pas de connaître seulement la loi : il faut avoir des connaissances en gestion, en relations interpersonnelles, mais les Facs de droit continuent d’enseigner ce qui était utile voici 25 ans. Il faut que ça change. Le spécialiste de la gestion de l’Université McGill, Harry Mintzberg, l’a écrit : le monde a besoin de gestionnaires, pas de détenteurs de MBA. C’est la même chose en droit : il faut des avocats bien formés, pas seulement des juristes.

Comment la pratique du litige peut-elle être améliorée par la collaboration?

Dans le litige en tant que tel, ça peut être difficile de collaborer. Les modes alternatifs de résolution de conflits s’y prêtent davantage. Cela dit, plusieurs entreprises ayant besoin d’avocats vont vouloir embaucher des conseillers plutôt que des mercenaires. Un de mes clients a ainsi offert de s’occuper de tous les litiges nord-américains d’une grande entreprise, à forfait. Le cabinet a pris sur lui de former son client à la prévention des litiges et sur le règlement de différends. Le cabinet passe moins de temps en litige, et génère ainsi des profits en offrant ses services à forfait. Quant au client, cela lui coûte moins cher, au final.

Le fait est que les avocats sont formés à toujours voir les choses sous l’angle de la confrontation. Ils doivent protéger leur client avant tout, ce qui leur fait remettre en question chaque affirmation : on leur dit « il fait beau » et ils demandent ce qui se trame, ou si c’est vrai, ou s’il y a une exception. Cette pensée négative constante est mauvaise pour le moral. Elle est essentielle pour un avocat, mais elle l’empêchera de voir les choses différemment et d’être autre chose qu’un plaideur. Cela lui permettrait pourtant d’être davantage utile à ses clients. C’est ce que ces derniers recherchent de plus en plus.

Le Dr. Larry Richard est reconnu comme un expert en psychologie du comportement des avocats. Il a conseillé des dizaines de grands cabinets d'avocats en matière de leadership, de gestion d’équipes, gestion du changement, sélection des talents, évaluation, et autres aspects stratégiques.
Diplômé en droit de l'Université de Pennsylvanie, le Dr Richard a exercé le droit pendant dix ans. Il a ensuite obtenu un doctorat en psychologie de l'Université Temple.