Louise Arbour, ancienne juge et avocate, Crédits photo : Delphine Jung
Louise Arbour, ancienne juge et avocate, Crédits photo : Delphine Jung
Comme avocate, puis juge à la Cour suprême et procureure aux Tribunaux pénaux internationaux, Louise Arbour a dû manier avec dextérité les concepts de droits fondamentaux et de justice. Elle s’en est toujours tirée avec brio.

Lorsque l’ONU lui a offert, en mars, de devenir représentante spéciale du secrétaire général pour les migrations internationales, elle a accepté pour deux raisons: le mandat est court (18 mois) et la cause est juste. Louise Arbour croit profondément que les migrations sont non seulement inévitables, mais que leur impact est positif, tant pour la société d’accueil que de départ. Sa tâche est désormais d’en convaincre un monde frileux, aux prises avec des solutions faciles et de l’information souvent déformée.

« Nous voulons organiser une migration sûre et ordonnée, car elle aura lieu, peu importe ce que certains disent, les mouvements de population sont inévitables », dit-elle.

Nous avons rencontré Louise Arbour alors qu’elle passait la journée dans les bureaux de BLG, où elle a toujours son bureau, en route pour un week-end entre copines à son chalet des Laurentides, une tradition automnale qui lui tient à coeur.

Depuis sa nomination, son compteur de kilomètres parcourus s’emballe.

De Bangkok à Genève en passant par le Mexique et New York, où elle a son bureau onusien, Me Arbour a à peine le temps de revoir son chien Snoreau resté au Québec. C’est son fils qui s’occupe de cet ex-candidat MIRA, qui n’a pu mener à terme sa formation de chien-guide en raison de sa trop grande taille…

Même si elle avoue que le rythme est effréné, rien n’y paraît. Me Arbour arbore un teint lumineux lors de notre rencontre et une énergie débordante.

L’apogée de ce mandat fou, mais passionnant, sera en décembre 2018, à Marrakech, lors de la 11e édition du Forum mondial de la Migration et du Développement. Après, Louise Arbour redeviendra Me Arbour, toujours chez BLG.

Une « perversion du langage »

Gérer la mobilité, la favoriser et ouvrir des voies d’accès qui seront bénéfiques pour tout le monde, pour réduire la migration irrégulière, car c’est là que tous les abus ont lieu, voici l’objectif qu’elle s’est fixé. Pour la juriste, l’un des principaux moyens pour lutter contre l’immigration irrégulière, c’est d’ouvrir de nouveaux modes d’entrée.

Il s’agit en effet pour Louise Arbour et son équipe d’accompagner le processus de la Déclaration de New York qui vise à se doter d’un pacte mondial sur les migrations.

Les drames qui les accompagnent l’interpellent tout autant. Que ce soit ces migrants qui échouent sur les côtes méditerranéennes après une tentative de traversée ou tous ceux dont le sort a été récemment rapporté par la presse en Libye et qui sont vendus comme esclaves aux enchères.

« Sauf que les uns sont des réfugiés, les autres, des migrants… », précise l’avocate qui dénonce « une terminologie empoisonnée » et « une perversion du langage » qui entoure les problématiques liées à la migration.

« Actuellement, on fait la distinction entre les réfugiés et les migrants. Disant que les réfugiés, ce n’est pas de leur faute, tandis que les autres, ils auraient pu rester chez eux », déplore-t-elle.

L’impact positif des migrations

La Convention relative au statut des réfugiés qui date de 1951 est devenue obsolète pour l’avocate. « L’idéale ce serait de se doter d’une autre convention, mais il n’y a aucun appétit en ce sens de la part des États », explique-t-elle.

Pourtant, « sur une base purement rationnelle, avec des analyses démographiques et économiques, on peut monter un dossier irrésistible pour prouver que les migrations ont du bon. L’Europe par exemple, s’apprête à devoir faire face à une pénurie de main-d’œuvre, notamment dans le domaine de la santé, tandis que les prévisions de croissance démographique en Afrique sont importantes », précise l’experte.

Me Arbour rappelle également que les travailleurs migrants dépensent en moyenne 85% de leur revenu dans le pays d’accueil, et transfèrent le 15 % restant dans leur pays d’origine. L’an dernier, ces transferts valaient 600 milliards de dollars, dont 430 milliards allaient dans les pays en développement », ajoute-t-elle. Dans cette optique, l’une des initiatives de son groupe de travail est de réduire les coûts de ces transferts qui sont présentement beaucoup trop élevés.

La migration comme outil de développement, de réduction des inégalités à l’intérieur des pays et entre les pays, Louise Arbour y croit dur comme fer. Au moins autant qu’elle croit à l’état de droit. « Cela est directement lié à ma volonté de vouloir favoriser les migrations dans leur cadre légal, et de tout mettre en œuvre pour stopper ou du moins réduire, les migrations illégales », dit-elle.

C’est aussi sa formation en droit qui la pousse à privilégier une approche qui « reflète la discipline du droit, une discipline où se rencontrent les défis intellectuels, mais aussi un ancrage moral », poursuit l’avocate.

Rétablir la vérité

Ce qui l’a aussi poussé à accepter ce mandat aux Nations Unies, c’est la possibilité qui lui est donnée de rétablir certaines vérités. « L’idée que toute l’Afrique s’en vient en Europe c’est une mythologie, la plupart des migrations ont lieu à l’intérieur même des pays puis dans les pays limitrophes », lance-t-elle. « Je n’ai jamais travaillé dans un dossier ou la perception est aussi déconnectée de la réalité », assure-t-elle.

Sa foi en l’ONU en est une autre. « Si on ne l’avait pas, il faudrait l’inventer. Je crois encore à sa mission. C’est le seul forum universel », dit-elle, en concédant qu’il n’est pas non plus parfait.

Une jeune génération impressionnante

Lorsqu’on demande à Louise Arbour quelles sont les personnalités juridiques qui l’ont le plus impressionnée au cours de sa carrière, elle répond: « les jeunes avocats ».

« Je sais que cela va vous surprendre… Mais cette génération m'impressionne. Ils savent plein de choses que je ne sais pas, ils ont des outils de travail avec lesquels je ne suis pas du tout familière. Je les trouve tellement bons! », dit-elle, enthousiaste.

Louise Arbour avoue aussi sa grande admiration pour la juge en chef de la Cour suprême, Beverly McLachlin, qui va bientôt tirer sa révérence.

Quant à ceux qui changeront les choses, notamment au niveau politique, Louise Arbour leur confère une énorme responsabilité. « La situation actuelle demande aux dirigeants politiques de prendre des décisions et de ne pas toujours attendre d'être porté par l'opinion publique. C'est ça, le principe du leadership! »

Louise Arbour, née en 1947 à Montréal, est membre du Barreau du Québec depuis 1971 et du Barreau de l'Ontario depuis 1977. Elle a siégé à la Cour suprême du Canada de 1999 à 2004, à la Cour d'appel de l'Ontario et à la Cour suprême de l'Ontario. Elle a été procureure générale pour les Tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda de 1996 à 1999, membre de la Cour suprême de l'Ontario (Haute Cour de Justice) de 1987 à 1990 et membre de la Cour d'appel de l'Ontario de 1990 à 1999 (absence autorisée de 1996 à 1999). De 2004 à 2008, elle a été haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme. Diplômée en droit de l'Université de Montréal en 1970, elle a reçu aussi un Docteur honoris causa de 40 universités du Canada et de l'étranger. À la fin de son mandat aux Nations Unies, elle retournera exercer au cabinet BLG.