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Tabac : le chèque est loin d'être signé!

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Jean-francois Parent

2019-03-05 15:00:00

La Cour d’appel maintient les indemnités de plus de 15 milliards de dollars imposées aux cigarettiers. Mais les demandeurs recevront-ils leur argent un jour? Pas sûr, pas sûr...

Mes Deborah Glendinning, Thomas Craig Lockwood, Mahmud Jamal et Alexandre Fallon de Osler, Hoskin & Harcourt.
Mes Deborah Glendinning, Thomas Craig Lockwood, Mahmud Jamal et Alexandre Fallon de Osler, Hoskin & Harcourt.
C’est ce que se demande le juriste et économiste torontois Peter Spiro, qui commente ainsi la récente décision de la Cour d’appel dans une chronique sur Canlii. Le professeur à l'Université de Toronto est d’avis que le recouvrement des sommes est loin d’être chose faite.

D’abord, tous les recours ne sont pas épuisés. Rothmans, Benson & Hedges (RBH) et Imperial Tobacco ont annoncé leur intention de s’adresser à la Cour suprême, prolongeant d’autant le processus qui dure depuis 20 ans déjà.

Mais il y a plus. « Même dans l’éventualité d’une victoire en Cour suprême, que les plaignants puissent collecter leur dû est loin d’être certain. Rendre exécutoire un jugement de 15 milliards de dollars risque d’être plus difficile encore que de prouver le préjudice », écrit Pete Spiro.

D’abord, les trois grands cigarettiers ont pratiquement déserté le Canada depuis longtemps, n’y conservant que des centres de distribution, et une seule usine de fabrication de cigarettes, celle de RBH. Leur présence y est modeste - à peine 2 000 employés au total pour les trois groupes - et leurs revenus ont quitté le pays depuis longtemps.

Dans cette affaire, l'entreprise Imperial Tobacco Canada était représentée par Osler, Hoskin & Harcourt. Sont intervenus Mes Deborah Glendinning, Thomas Craig Lockwood, Mahmud Jamal et Alexandre Fallon.

Me Catherine Elizabeth McKenzie, de chez IMK.
Me Catherine Elizabeth McKenzie, de chez IMK.
JTI-Macdonald Corp s'est adjoint les services de Mes Guy Pratte, François Grondin, Patrick Plante et Kevin Lee LaRoche de chez BLG et de Me Catherine Elizabeth McKenzie, de chez IMK.

Rothmans, Benson & Hedges inc. était représenté par Mes Simon V. Potter, Michael Feder et Pierre-Jérôme Bouchard du cabinet McCarthy Tétrault.

Quant aux demandeurs le Conseil québécois sur le tabac et la santé, Jean-Yves Blais et Cécilia Létourneau, ils étaient représenté par Mes André Lespérance, Philippe H. Trudel, Bruce Johnston et Gabrielle Gagné de Trudel, Johnston & Lespérance.

Sont également intervenus au dossier Me Marc Beauchemin du cabinet De Grandpré Chait ainsi que Mes Gordon Kugler et Pierre Boivin de chez Kugler Kandestin.

Les profits ont quitté le pays

Imperial Tobacco, filiale de British American Tobacco, a délocalisé sa production vers le Mexique en 2005. JTI Macdonald, filiale du géant japonais JT, ne fait que distribuer ses produits ici ; le manufacturier a « vendu » pour 1,2 milliard de dollars ses marques à une filiale étrangère en 1999, l’année suivant l’institution de l’action collective actuelle.

Dans son jugement de première instance en 2015, la Cour supérieure, en 2015, caractérisait le recours à de tels accords un peu partout dans le monde de « blindage anti-créancier », peut-on lire dans le jugement.

Ce que le président de JTI Macdonald concédait lui-même, poursuit Peter Spiro, qui cite à cet égard les nombreuses décisions qui ont ponctué l’action collective.

Mes Simon V. Potter, Michael Feder et Pierre-Jérôme Bouchard du cabinet McCarthy Tétrault.
Mes Simon V. Potter, Michael Feder et Pierre-Jérôme Bouchard du cabinet McCarthy Tétrault.
Dans une décision de la Cour d’appel concernant le dépôt de montants en garantie, en 2015, dans la foulée de la première condamnation des cigarettiers à payer 15 milliards en indemnités, la Cour d’appel maintenait l’ordonnance de dépôts de garantie justement parce que les finances canadiennes des cigarettiers sont plutôt modestes.

Notamment parce que l’essentiel de leurs revenus sortent du pays...

« La valeur des activités canadiennes des cigarettiers repose sur leur marketing et leur image de marque, écrit Peter Spiro. Sans compter que les licences d’utilisation de ces marques ne sont plus détenues par les filiales canadiennes. »

Les droits d’utilisation d’une marque de cigarette sont ainsi souvent souscrits auprès de filiales étrangères, poursuit le chercheur.

Bref, les comptes de banques sont dégarnis au pays. Et les actifs, rarissimes.

Faillite ?

 Mes André Lespérance, Philippe H. Trudel, Bruce Johnston et Gabrielle Gagné de Trudel, Johnston & Lespérance.
Mes André Lespérance, Philippe H. Trudel, Bruce Johnston et Gabrielle Gagné de Trudel, Johnston & Lespérance.
Ce qui augure une autre difficulté, poursuit Peter Spiro : le risque que les compagnies fassent faillite.

Un règlement de 15 milliards de dollars - plus les intérêts - pourrait facilement grever la rentabilité de l’industrie pendant 20 ans, calcule Peter Spiro. Les sociétés mères, tel Philip Morris (RBH) ou BAT (Imperial) pourrait décider que cela ne vaut pas le coût et plier bagage.

Lorsqu’on lui demande si la faillite est évoquée, RBH répond à Droit-Inc par la voix de ses états financiers. Ainsi, au lendemain du jugement, sa société mère Philip Morris calcule que son bénéfice dilué par action sera de 5,28 $US par action pour 2019, en hausse de 0,14 $US par rapport à 2018.

En clair, le rendement pour l’actionnaire s’en trouve amélioré, puisque la compagnie estime que l’incertitude entourant la fin du processus est telle, et les inconnues si nombreuses, que l’on n’a pas besoin d’ajouter aux provisions déjà prises depuis 2015 pour respecter l’ordonnance du dépôt de garantie.

Recours étrangers

 Mes Gordon Kugler et Pierre Boivin de chez Kugler Kandestin.
Mes Gordon Kugler et Pierre Boivin de chez Kugler Kandestin.
Toujours dans l’éventualité d’une victoire en Cour suprême, les requérants pourraient prendre le chemin de l’homologation du jugement dans les juridictions où les sociétés mères sont établies.

Les filiales, canadiennes, peuvent ainsi être assujetties aux recours en redressement prévus par les lois canadiennes.

Encore ici, ce n’est pas chose faite, puisque le jugement québécois prend assise sur des dispositions québécoises, notamment celles qui permettent de plus longs délais pour déposer des réclamations. Il faudrait donc que les tribunaux étrangers, soit ceux de l’Angleterre, des États-Unis et du Japon, reconnaissent les dispositions québécoises.

Droit-Inc a demandé à Trudel, Johnston & Lespérance, l’un des principaux cabinets impliqués dans le recours, et l’instigateur de ce dernier, si l’on prévoyait des difficultés relatives à l’exécution d’un éventuel jugement favorable.

Peut-on ainsi pallier d’éventuelles faillites, et comment rendre exécutoire la décision en terre étrangère?

« Ce sont de bonnes questions, mais vous comprendrez que nous ne pouvons pour l'instant discuter de nos stratégies concernant l'exécution », a répondu Philippe Trudel, associé chez TJL.

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3 commentaires

  1. AD
    Accusations criminelles
    On devrait accuser les dirigeants de ces entreprises de négligence criminelle causant la mort. Ils trouveraient ça moins drôle.

  2. Anonyme
    Anonyme
    il y a 5 ans
    La C.S. du Québec fait rire d'elle, contrairement à celle de l'Ontario
    En Ontario, un quidam manque une coupe de paiement de pension alimentaire, et c'est la prison pour outrage au tribunal.

    Au Québec, une copagnie de tabac milliardaire peut préméditer son insolvabilité, et ses dirigeant sont morts de rire (en buvant leur verre de Glendronach Parliament 21 dans un club de Toronto).

  3. Anonyme
    Anonyme
    il y a 5 ans
    La C.A. aussi
    Pas juste la C.S.

    La C.A. s'est fait un devoir pratiquemment d'éliminer l'emprisonnement pour l'outrage au Tribunal.

    Donc les personnes en outrage sont condamnés à une amende qu'ils ne paient pas...

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