Me Julie Couture est avocate criminaliste depuis 2003. Photo de courtoisie.
Me Julie Couture est avocate criminaliste depuis 2003. Photo de courtoisie.
Si un crime a été commis, il devrait être dénoncé à la police pour éviter le risque de récidive de l’agresseur. Je suis également d’avis que davantage de programmes d’aide doivent être offerts aux gens qui ont des problèmes, et que des suivis réguliers doivent en faire partie, afin que la fréquence de ce genre de crime diminue.

Ceci dit, on assiste ces jours-ci à de bien étranges et surtout très nombreux "procès" en ligne et mea culpa publics, suite à une vague de dénonciations qui continue de faire des victimes encore en ce début de semaine... Que doit-on penser de ce phénomène?

Le rôle des CAVAC

Nous savons que les victimes d'actes criminels et d'agressions ont besoin de soutien pour traverser l'épreuve qu'ils ont subie. En tant que société, nous avons investi beaucoup d'argent dans les centres d'aide aux victimes d'actes criminels (CAVAC). Le rôle des CAVAC est d'offrir des services aux personnes qui ont été victimes ou témoins d'actes criminels, en collaboration avec des intervenants du milieu judiciaire, du réseau de la santé et des services sociaux et des organismes communautaires. (Source : https://cavac.qc.ca/)

À chaque contravention remise à un citoyen, une contribution spéciale va aux CAVAC. Ils accumulent ainsi beaucoup d'argent pour aider et soutenir les victimes d'actes criminels, ce qui est une excellente chose. Des gens ont été formés adéquatement pour travailler avec les victimes de ces traumatismes particuliers.

Notre justice est publique et transparente. Oui, le processus peut être long, ardu et pénible. Mais il fait son œuvre et ceci est important pour la mise en place de ce qu'on appelle l'administration de la justice.

À l'ère des médias sociaux

Évidemment, nous sommes à l'ère du numérique, de l'instantané et des médias sociaux. Qui n'a jamais eu une "montée de lait" sur Facebook, à propos d'une expérience désagréable, quelle qu'elle soit? Certains individus partagent pratiquement tous les aspects de leur vie en ligne. Il n'est pas surprenant que des victimes d'agression, de harcèlement sexuel ou d'autres actes criminels soient tentés de raconter ce qui leur est arrivé sur ces mêmes plateformes.

Je comprends que des gens parlent publiquement de ce qui leur arrive. Mais lorsque les faits racontés auront immanquablement des conséquences directes sur l'auteur des actes avant même que des accusations ne soient portées ou qu'un procès ait eu lieu, je ne suis pas d'accord.

Le rôle du système de justice

Si les actes reprochés relèvent d'un malentendu, d'un comportement déplacé ou d'un désaccord verbal, mieux vaut en parler en privé ou encore devant un témoin neutre pour tenter de régler la situation. Dans l'incertitude, on peut faire appel à un avocat. Si par contre les gestes subis par la victime sont des actes criminels (intimidation, harcèlement sexuel, agression sexuelle, violence, viol, séquestration, etc.) la chose à faire est de contacter la police.

C'est à notre système de justice de traiter ces dossiers, et non pas aux tribunaux populaires sur les médias sociaux.

Même s'il est compréhensible que des victimes cherchent du soutien en dénonçant publiquement leurs agresseurs sur les médias sociaux dans le cadre d'un mouvement comme celui auquel on assiste actuellement, elles participent ainsi indirectement à un cycle malsain qui pourrait se retourner contre elles.

Même si certaines victimes trouvent difficile de dénoncer leur agresseur en passant par notre système de justice plutôt qu'un mouvement de groupe en ligne dans lequel elles trouvent force et réconfort, il s'agit du seul processus qui permette de respecter la présomption d'innocence et de s'assurer que les droits de chacun soient respectés.

Détruire l'image ou la carrière de quelqu'un

Quand on détruit publiquement l'image ou la carrière d'une personne en ligne, le fait que ce soit parce qu'elle a commis des actes répréhensibles à notre égard ou non par le passé n'y change rien. Quand des carrières disparaissent avant qu'une quelconque preuve n'ait été exposée, testée et analysée, mon humble avis est qu'il y a injustice.

La présomption d'innocence

La présomption d'innocence est un principe de base dans notre système de justice. Même dans le cas où l'agresseur avoue ses torts, ce n'est pas au public en ligne de se substituer à notre système de justice pour déterminer ce qui s'est réellement passé et quelles doivent en être les conséquences.

Je demeure convaincue que nous sommes tous des êtres humains et que le droit à l'erreur doit continuer d'exister et d'être défendu.

Personne n'est parfait, et beaucoup découvrent à leurs dépens les conséquences de leur manque de jugement à l'ère du numérique, alors que tout le monde autour d'eux a une caméra vidéo et une plateforme publique à portée de la main. Qui n'a jamais regretté une mauvaise décision un soir où l'alcool avait coulé à flots? Parfois, c'est un mauvais choix sans réelles répercussions. D'autres fois, ce sont des erreurs plus graves aux conséquences désastreuses. Peu importe, chacun a droit à la présomption d'innocence, à un avocat s'il est en état d'arrestation et à un procès équitable s'il est accusé.

Les dénonciations publiques

Je ne peux m'empêcher de regarder ce qui se passe présentement et me demander où l'on s'en va avec nos médias sociaux et ce lynchage public. Est-ce que ceci est utile? Est-ce que c'est la bonne manière de protéger les droits des victimes ainsi que ceux des prétendus criminels? Est-ce que quelqu'un y trouve son compte? Il ne semble pas en sortir beaucoup de positif, à mon avis.

Quel était le but de Safia Nolin et des autres victimes qui ont dénoncé leurs agresseurs publiquement? Ont-ils/elles trouvé du réconfort, une forme de guérison de leur souffrance à travers cette démarche? Je ne le sais pas et je ne juge pas la nature de leur démarche personnelle. Mais je continue de me questionner, notamment sur la façon de faire et les conséquences, pour toutes les personnes impliquées.

En anglais on dit "Internet is forever." Ce qui est écrit sur le web est là pour rester. Rien n'effacera ces dénonciations, que les personnes soient trouvées coupables ou non. Les années passent mais les traces resteront. Et tous les commentaires, toutes les réponses, toutes les opinions et toute l'agressivité qu'on a pu lire sur le web ces derniers jours, c'est aussi là pour rester.

Besoin d'aide

Je crois qu'en tant qu'humains, nous sommes naturellement poussés à chercher notre bonheur et tenter d'obtenir ce que l'on désire. Que ce soit le dernier modèle d’iPhone ou la plus grosse maison, la carrière au cinéma ou le corps de rêve, chacun tend vers ce qu'il considère être la meilleure version de lui-même. Or, la perfection n'existe pas et tout le monde a un "côté sombre". Parfois, il suffit d'une seconde pour que tout bascule.

On assiste donc à une panoplie de gens qui déclarent publiquement avoir besoin d'aide et entreprendre des thérapies. Mais si ces thérapies avaient été entreprises avant? D'où l'importance de l'existence des programmes d'aide spécialisés, quelle que soit la problématique.

En tant que société, pourquoi ne pas tenter de faire connaître ceux-ci et d'aider les personnes qui en ont besoin avant qu'elles ne commettent l'irréparable? On pourrait ainsi contribuer à diminuer le nombre d'agressions, plutôt que de faire notre propre justice en ligne après qu'elles aient été commises.

D'un point de vue individuel, que chacun fasse ce qui lui convient, que ce soit parler, garder le silence, se retirer du milieu public ou encore travailler sur soi. Mais nul ne devrait se substituer au système de justice.

Le droit à l'erreur

En terminant, si votre nom figure sur cette liste qui se promène sur le web et les médias sociaux, je peux vous aider. Je suis avocate criminaliste depuis plus de quinze ans et je possède une solide expérience en la matière.

Je continue de penser que les êtres humains ont droit à l'erreur et que chacun mérite une défense efficace dans un système de justice transparent qui respecte les droits de tous.

Sur l’auteure

Me Julie Couture est avocate criminaliste depuis 2003. Elle a fait ses débuts avec l'honorable juge Marco LaBrie et l'honorable Alexandre St-Onge tous deux maintenant juge à la Cour du Québec. Fondatrice de Couture avocats, elle pratique en droit criminel et pénal exclusivement.

Maître de stage pour le barreau du Québec, elle a longtemps formé les jeunes avocats et avocates criminalistes ce qui lui a aussi permis d’avoir trois enfants. Entrepreneure depuis le début de sa pratique du droit, et très présente sur le web, elle pourra partager ses expériences afin d'aider le plus possible la communauté juridique. Elle a longtemps commenté l'actualité dans le Journal de Montréal comme l'avocate du journal et dans son blogue juridique en plus de plusieurs passages à la télévision.