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Loi 21 : une suite en Cour suprême?

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Radio -canada

2021-05-25 14:15:00

Le gouvernement fédéral pourrait contester la loi 21 en Cour suprême, une fois que la Cour d’appel du Québec aura tranché. Voici l’analyse des experts…

Justin Trudeau, David Lametti,  François Legault et  Simon Jolin-Barrette. Photos : Radio-Canada
Justin Trudeau, David Lametti, François Legault et Simon Jolin-Barrette. Photos : Radio-Canada
Ottawa vient d’éviter une bataille politique avec Québec sur la question de la langue, en reconnaissant que le gouvernement Legault peut modifier la partie de la Constitution qui touche la province.

Selon plusieurs experts en droit constitutionnel, le gouvernement Trudeau posséderait aussi les justifications politiques et légales nécessaires pour éviter un autre duel à court terme avec Québec, cette fois-ci sur la question de la Loi sur la laïcité de l’État.

En entrevue avec Radio-Canada, des professeurs de différentes universités au pays affirment que le gouvernement fédéral aurait de bonnes raisons de rester à l’écart durant la prochaine étape de la contestation de la loi 21 sur la laïcité. Les avis d’appel devraient être déposés au cours des prochaines semaines, et la cause devrait être entendue par la Cour d’appel du Québec à la fin 2021 ou en 2022.

Selon ces experts, il serait logique, ou à tout le moins défendable, qu’Ottawa attende que la contestation se rende devant la Cour suprême du Canada, une issue pratiquement inévitable.

Ce point de vue juridique risque de conforter l’équipe du Québec au sein du gouvernement fédéral. Selon nos sources, plusieurs libéraux souhaitent éviter que le rôle du fédéral dans le processus juridique vienne de nouveau s’immiscer dans le prochain débat électoral.

Professeure de droit à l’Université McGill, Johanne Poirier soutient que le moment choisi par le fédéral pour intervenir ou non constituera une décision plus politique que légale.

« C’est une question de stratégie, c’est une question politique. Ce n’est pas vraiment une question juridique » explique Johanne Poirier, professeure de droit à l’Université McGill

« Je ne pense pas qu’il y a beaucoup d’éléments juridiques que le fédéral pourrait faire valoir [devant la Cour d’appel] qui n’auront pas été soulevés par la panoplie d’intervenants dans ce dossier », explique Mme Poirier, qui est professeure titulaire d’une chaire sur le fédéralisme.

Québec veut qu’Ottawa reste à l’écart

Le gouvernement Legault a une position tranchée dans ce dossier : Ottawa doit laisser le Québec agir de manière autonome.

« La demande formulée par le premier ministre lors de la dernière campagne électorale tient toujours : le gouvernement fédéral doit respecter la volonté clairement exprimée par une grande majorité des Québécois et s’engager à ne pas contester la loi 21 ni financer une contestation », affirme Ewan Sauves, l’attaché de presse du premier ministre québécois François Legault.

Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, n’a jamais caché son opposition à la loi 21, qui encadre notamment le port de symboles religieux par certains employés de l’État québécois, y compris les professeurs. Lors de la campagne électorale de 2019, M. Trudeau avait dit qu’il était important que le gouvernement fédéral garde la porte ouverte à une contestation éventuelle de la loi.

« Le gouvernement fédéral doit protéger les droits des minorités, protéger les droits linguistiques, protéger les droits des femmes, et doit le faire à l’échelle du pays » a déclaré Justin Trudeau, lors du débat des chefs en anglais en 2019.

Des sources au sein du gouvernement fédéral indiquent qu’Ottawa n’a pas pris de décision finale quant à une intervention devant la Cour d’appel.

Toutefois, plusieurs sources s’entendent pour dire que l’équipe du Québec au sein du gouvernement milite majoritairement pour que le gouvernement fédéral continue à faire preuve de patience dans ce dossier.

Selon plusieurs sources, une des questions qui demeure en suspens est la position éventuelle de David Lametti, le député montréalais qui est ministre de la Justice et procureur général. M. Lametti prendrait très au sérieux le serment qu’il a prononcé en 2019 lors de l’assermentation du Conseil des ministres, notamment sa promesse de « protéger la Constitution ».

Il reste à voir quelle recommandation il fera au gouvernement sur cette question. Un porte-parole au sein du cabinet de M. Lametti a refusé de fournir des détails sur le processus qui sera utilisé pour décider ou non d’intervenir devant la Cour d’appel du Québec.

Décision controversée

Dans un jugement prononcé en avril, le juge Marc-André Blanchard de la Cour supérieure du Québec a maintenu de grands pans de la Loi sur la laïcité de l'État, tout en suspendant certains articles ayant trait aux commissions scolaires anglophones et aux élus de l'Assemblée nationale.

Par cette décision, la Cour a créé, dans les faits, deux régimes scolaires au regard de la loi sur la laïcité : un pour les écoles anglophones (où le personnel pourra porter des signes religieux dans l'exercice de ses fonctions) et un autre pour les écoles francophones (où il sera interdit au personnel de porter de tels signes).

Le gouvernement du Québec a immédiatement annoncé qu’il ferait appel de ce jugement, tout comme d’autres groupes qui s’opposent à la loi.

« Ce que le jugement de la Cour supérieure vient faire, c’est de créer une division dans l’application de la loi en fonction d’un critère linguistique », avait alors dénoncé le ministre québécois de la Justice, Simon Jolin-Barrette.

Attendre ou y aller?

L’avocat montréalais Julius Grey fait partie de ceux qui ont contesté la loi 21 en première instance. Il a hâte qu’Ottawa montre ses couleurs dans ce dossier, mais comprend que plusieurs facteurs influenceront sa démarche et le moment choisi pour intervenir.

« La décision entre la Cour d’appel et la Cour suprême est une question de tactique politique, mais je pense qu’ils ont un devoir, avant la fin de tout ce processus, de nous laisser savoir ce qu’ils pensent », dit M. Grey.

Ce dernier ajoute que les considérations politiques pourraient bel et bien avoir un impact sur la décision du fédéral, ce qui « n’est pas une chose répréhensible en soi ».

Malgré tout, M. Grey attend avec impatience qu’Ottawa énonce ses positions sur l’utilisation de la disposition de dérogation par le gouvernement du Québec, l’autonomie du système scolaire anglophone et le fait que la loi touche principalement les femmes musulmanes.

« Jusqu’où va le féminisme du gouvernement Trudeau? » demande Julius Grey, avocat montréalais

« Ce gouvernement (fédéral) s’est toujours dit féministe. L’article 28 (de la Constitution) dit que les droits doivent s’appliquer de la même façon aux hommes et aux femmes et il est certain qu’au moins dans le cas des musulmans, cette loi s’applique plutôt aux femmes », relève M. Grey.

Circonscrire le débat

Patrick Taillon, professeur de droit à l’Université Laval, estime qu’il serait pertinent de laisser la Cour d’appel du Québec circonscrire le débat avant qu’Ottawa n’intervienne devant la Cour suprême.

« Le choix d’attendre est un choix stratégique », affirme le professeur de droit constitutionnel. « Il n’y a pas un argument légal ou juridique qui dirait que c’est juridiquement plus payant d’intervenir plus tôt ou plus tard. Le gouvernement, s’il a un point de vue à amener, peut l’amener assez tôt dans le débat, ou à la fin ».

Pierre Thibault, qui enseigne le droit à l’Université d’Ottawa, avance le même argument : il n’y a pas d’urgence pour que le gouvernement fédéral demande le statut d’intervenant.

« La décision de la Cour d’appel risque de nuancer la décision de la Cour supérieure », soutient M. Thibault, en parlant notamment de la partie de la décision qui touche les commissions scolaires anglophones du Québec.

« Il y aura toujours la possibilité d’intervenir à la Cour suprême », conclut-il.

Du côté du Canada anglais

Emmett Macfarlane, un professeur de science politique à l’Université de Waterloo, avance une autre raison pour laquelle Ottawa devrait attendre avant de participer à la contestation de la loi.

Selon lui, le gouvernement Trudeau est trop frileux ou électoraliste quand vient le temps de confronter le gouvernement du Québec sur la question des droits de la personne, et devrait donc s’abstenir au lieu d’y aller d’une intervention « timide ».

« Ce serait sans aucun doute bénéfique pour la protection des droits des personnes affectées par cette loi, qui est assurément inconstitutionnelle, que le gouvernement (fédéral) intervienne et mette de l’avant les arguments qui s’imposent. Toutefois, il semble y avoir des raisons d’ordre politique, notamment le désir de ne pas créer de froid avec Québec, qui le freine », lance M. Macfarlane.

Benjamin Berger, un professeur de droit à la Osgood Hall Law School, explique qu’il n’y a pas frontière claire – dans un dossier comme celui-ci – entre ce qui est d’ordre légal et de nature politique.

« La décision d’intervenir ou non est donc composée d’un ensemble de facteurs complexes, dont la question de la doctrine légale, le positionnement face à la Constitution, des considérations politiques et les relations intergouvernementales. C’est tout ça qui est en jeu ici », affirme M. Berger.
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