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Modernisons la monarchie

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Benoît Pelletier

2022-07-18 11:15:00

Un universitaire propose de moderniser la monarchie sans passer par une modification constitutionnelle.

Benoît Pelletier, l'auteur de cet article. Source: Archives
Benoît Pelletier, l'auteur de cet article. Source: Archives
La controverse récente entourant les dépenses de la gouverneure générale du Canada (ou assumées pour elle) remet à l’avant-plan la pertinence de la monarchie dans ce pays. Bien que les voies de l’abolition de la monarchie soient jonchées d’embûches – voire « impénétrables » comme on disait jadis des voies de Dieu –, une certaine modernisation des fonctions de gouverneur général et de lieutenant-gouverneur est possible sans qu’il soit nécessaire de procéder par une modification constitutionnelle formelle.

D’abord, on peut soumettre ces représentants de la Reine à un contrôle financier et à une reddition de compte encore plus serrés. On peut par ailleurs restreindre encore davantage leurs tâches, dont celle de représenter le Canada à l’étranger.

Au sujet justement de la représentation du Canada à l’étranger et des autres tâches assumées normalement par un gouverneur général, quel qu’il soit, nombreux ont été ceux qui ont déploré le fait que Mary Simon ne maîtrise pas et même ne comprenne pas le français. À cela, certains ont répondu que la langue parlée par la ou le gouverneur général n’a aucune importance, étant donné le caractère symbolique de cette fonction. Ces derniers ont tort.

D’abord, sur le plan identitaire, puisque la langue française fait partie des caractéristiques essentielles du Canada. Bien que l’anglais et le français ne soient pas ''concrètement'' sur un pied d’égalité dans ce pays, et ne le seront jamais, ces deux langues font définitivement partie des fondements constitutionnels du fédéralisme canadien.

Il faut d’ailleurs tendre, au Canada, vers une égalité factuelle ou réelle entre ces langues, question de donner tout son sens à l’égalité théorique dans laquelle notre cadre juridique les a placées.

Puis, sur le plan constitutionnel, il faut savoir que les fonctions de gouverneur général et de lieutenant-gouverneur ne sont pas que symboliques. Il est en effet arrivé dans le passé des occasions où ces fonctions ont acquis une dimension décisionnelle et pratique.

Ce fut notamment le cas lorsqu’il y eut lieu de désigner un premier ministre après une élection ou suite à une défaite parlementaire du gouvernement en place. Le gouverneur général ou le lieutenant-gouverneur a alors à faire de vrais choix, sur le fondement néanmoins des conventions constitutionnelles établies. Cela s’avère également dans les cas où le premier ministre demande la dissolution ou la prorogation de l’assemblée législative concernée.

Nous ne sommes pas personnellement friands de l’abolition de la monarchie, parce que nous croyons qu’elle complète plutôt bien notre système parlementaire de type britannique, système auquel nous sommes particulièrement attachés. Nous constatons toutefois qu’un nombre sans cesse croissant de Canadiens favorisent une telle abolition, surtout dans l’éventualité du décès d’Elizabeth II.

Mais avant même de débattre socialement de l’abolition de la monarchie, il y a lieu d’explorer les avenues de la modernisation de la fonction de Chef de l’État et de celle des représentants de ce dernier. C’est d’ailleurs ce à quoi nous faisions référence, il y a de cela quelques années, alors que nous promouvions une révision du rôle du lieutenant-gouverneur du Québec à la lumière des exigences et enjeux contemporains. Nous avions fait cette déclaration en marge du scandale concernant Lise Thibault.

Que les dépenses de la gouverneure générale du Canada (ou effectuées pour son compte) soient injustifiées ou que celles de l’ancienne lieutenante-gouverneure du Québec soient illégales ne constitue pas un motif valable pour réclamer l’abolition d’un régime qui — en dépit de ses imperfections et même de ses travers — a contribué à façonner le Canada d’aujourd’hui, en tant qu’État bien distinct… des États-Unis. La modernisation de la fonction de gouverneur général et de lieutenant-gouverneur est une chose et l’abolition de cette dernière en est une autre. Il y a lieu de faire les distinctions qui s’imposent en la matière.

Quoi qu’il en soit, il faut savoir que, au cours des ans, les autorités fédérales ont cherché à «canadianiser» la monarchie constitutionnelle au Canada. Cela a notamment amené l’adoption par le roi George VI, en 1947, de lettres-patentes accordant au gouverneur général tous les pouvoirs et attributions de Sa Majesté.

Bien que cela soit quelque peu paradoxal, la personne qui occupe de nos jours la fonction de gouverneur général est non seulement la représentante de la Souveraine, mais elle est aussi —avec les lieutenants-gouverneurs — l’un des principaux symboles ou incarnations de la souveraineté canadienne. Elle est par ailleurs la gardienne de l’État, c’est-à-dire qu’elle doit s’assurer que celui-ci se maintienne et survive, avec un maximum de stabilité. Bref, elle est responsable de la continuité de l’État. Voilà le sens véritable de cette fonction en 2022.

Reste la question de savoir s’il serait possible d’abolir aisément le serment d’allégeance à la Reine que les députés de la Chambre des communes et des législatures provinciales, de même que les membres du Sénat, doivent prêter et souscrire avant d’entrer dans l’exercice de leurs fonctions. Rien n’est moins sûr en droit canadien, car ce serment semble à première vue jouir de certaines protections constitutionnelles. De fait, tout ce qui est, de près ou de loin, lié à la charge de Reine, de gouverneur général ou de lieutenant-gouverneur bénéficie de pareilles protections.

Cela revient à dire que la monarchie est solidement «enchâssée» dans la Constitution du Canada. Par contre, si le peuple canadien souhaitait ardemment mettre au rancart la monarchie, les acteurs politiques prendraient alors les moyens pour y parvenir. Car ces moyens, bien que d’une énorme complexité, existent bel et bien. Pour l’instant, mieux vaut selon nous que nous cherchions collectivement à moderniser les composantes canadiennes de la monarchie dans notre régime politique, en empruntant autant que possible, pour ce faire, des avenues non constitutionnelles.

À propos de l’auteur

Benoît Pelletier est docteur en droit, avocat émérite, professeur éminent (Faculté de droit, Université d’Ottawa) et ex-politicien. Ce texte est d’abord paru dans ''Le Droit''.
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1 commentaire

  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a un an
    La seule réforme qui intéresse la majorité des gens serait de s'en débarasser
    Faisons comme la Barbades en 2021, et mettons cet argent dans les services publics.

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