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Ceci n’est pas un conte de Noël

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Jérôme Lussier

2010-12-21 14:15:00

Dans la nuit de samedi à dimanche dernier, deux hommes se sont introduits par effraction dans un chalet des Laurentides. Dans la maison, un homme et une femme dormaient. Ils étaient avocats...

Réveillé par le bruit de la porte défoncée, le gars dit à sa blonde de se cacher et d’appeler 911. Puis il descend confronter les intrus. Un des bandits dit qu’il cherche un coffre-fort. Le gars en pyjama répond qu’il loue le chalet depuis trois semaines et qu’il ne sait rien d’un coffre-fort, et encore moins de son contenu.

La réponse ne satisfait pas les voleurs, qui décident de s’attaquer au type à coups de tisonnier de fer. Ils le battent et lui disent qu’ils vont le tuer, lui et sa blonde, puis mettre le feu à la maison.

Pendant que son chum se fait briser en morceaux, la fille réussit à appeler la police. Une fois sur les lieux, les agents arrêtent les deux bandits: le premier a 38 ans et une longue feuille de route judiciaire, le second a 20 ans et des antécédents moins clairs.

La fille est en état de choc. Elle ne fait qu’entendre son chum qui hurle. Le gars a été opéré d’urgence dimanche, à l’hôpital Sacré-Cœur de Montréal, pour une fracture ouverte de l’humérus et de l’épaule, et des lésions sur tout le corps. Sa vie n’est apparemment pas en danger.

Le gars en question, c’est mon cousin.

En ce moment, sans surprise, les amis et la famille des victimes sont pris d’un désir presque irrépressible de mettre la main sur les deux crapules et de leur régler leur compte. Je vous passe les détails. Ce serait mentir que de prétendre que l’horreur et la révulsion suscitées par ces crimes — la rage qui vous coupe le souffle et l’appétit, la haine qui vous fait trembler et pleurer — ne sont pas universelles chez les proches des victimes d’actes aussi gratuits et révoltants. La colère est peut-être aveugle et mauvaise conseillère, mais elle ne ment pas.

Évidemment, dans la vraie vie, on ne peut pas faire ça.

Justice soi-même?

Dans les sociétés civilisées (dont apparemment la nôtre) c’est l’état qui a le monopole de la violence et de la répression du crime. Les citoyens ne peuvent pas se faire justice eux-mêmes : c’est la Reine qui poursuit, et non la victime, et c’est l’État qui impose une sentence, pas une meute de citoyens en colère. C’est un élément fondamental du contrat social, et en principe c’est très bien comme ça.

Le problème, c’est que le Québec faillit parfois à la tâche d’administrer une justice crédible et respectable. Au point de perdre la confiance des citoyens avec ses « sentences bonbons » et autres politiques profondément divorcées de la réalité.

Quand une fille qui s’est fait violer chez elle en plein milieu de la nuit apprend que son agresseur est remis en liberté deux ans plus tard, et que c’est elle — et non lui — qui sera condamnée à avoir peur pour le reste de sa vie, on a un sérieux problème de société. Même chose pour mon cousin et sa blonde (et combien d’autres), qui risquent d’être traumatisés pour toujours par cette nuit d’horreur, mais dont les agresseurs risquent d’être hors de prison d’ici deux ou trois ans — la durée d’un cégep — prêts à terroriser d’autres gens avec la complicité indirecte de l’état.

Le jour où assez de victimes auront été abandonnées par un système de justice aussi pervers, il ne faudra pas se surprendre qu’une justice parallèle et profondément anarchique se développe — à coups de fusils de chasse, de bats de baseball et de lynchage privés. Et alors ce sera le chaos.

Je ne milite pas pour un durcissement aveugle de toutes les peines criminelles. Je ne suis même pas opposé, en principe, à l’approche de « réhabilitation » qui prévaut au Québec, même si elle consterne parfois le reste de l’Amérique.

Mais je pense qu’il est impératif de revoir certaines normes en vigueur ici, en s’inspirant notamment de la perspective des victimes. On reproche parfois à ces personnes de manquer de distance, mais en quoi les gens qui n’ont pas subi les impacts de la violence sont-ils mieux placés?

Réhabilitation: oui ou non?

La réhabilitation est certainement un idéal valable, particulièrement pour les jeunes : quand elle est possible et que tout marche comme prévu, tout le monde est gagnant.

Mais la réhabilitation n’est pas toujours possible, et les risques qu’elle comporte ne peuvent pas être occultés. Qu’on le veuille ou non, il existe des pommes pourries : des récidivistes violents irrécupérables qui doivent être durablement mis hors d’état de nuire – soit via des peines plus sévères ou une surveillance plus serrée. C’est triste mais c’est comme ça. Ce n’est pas parce que notre justice repose sur la présomption d’innocence qu’elle doit s’aveugler volontairement.

Un premier pas serait l’adoption d’une politique de tolérance zéro pour les criminels violents, et d’une approche plus flexible pour les autres.

J’accepte qu’on donne quelques chances à un jeune qui vole des CDs ou qui revend de la marijuana, mais je n’ai aucune pitié pour le type qui viole une fille dans un parc, ou qui en bat un autre à coups de barre de fer, dans sa maison, en plein milieu de la nuit, en lui disant qu’il se prépare à le tuer.

Le petit voleur ou dealer mérite un avertissement sérieux, mais il ne ruine pas la vie de quelqu’un. Le violeur ou l’agresseur, lui, détruit des vies, peut-être pour toujours. C’est un déni de justice grave que ces types soient remis en circulation à peine quelques mois plus tard, libres de récidiver, alors que leurs victimes porteront toute leur vie les séquelles de leurs crimes.

Je ne sais pas quelle sentence sera imposée aux crapules qui ont sauvagement battu mon cousin – un jeune homme de 31 ans, drôle, une personnalité forte et engageante, coach de hockey à ses heures — mais ce sera pour moi, et beaucoup d’autres, un test qui en dira long sur la santé sociale et politique du Québec.


Jérôme Lussier
L'auteur est recherchiste à Radio-Canada.
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