Des avocats réduits au bénévolat

Radio Canada
2025-06-05 13:15:36

Les avocats de la défense jugent qu’ils ne touchent aucun sou lorsqu’ils représentent des détenus du Nord-du-Québec en comparutions téléphoniques. Le tribunal, qui y voit une « certaine iniquité », reconnaît qu’il y a un « risque de désengagement » pour ceux qui acceptent des mandats de l’aide juridique.
Le cabinet Ménard Avocats s’est tourné vers la Cour du Québec pour tenter de rectifier cette situation, sans succès. C’est que leurs avocats sont souvent appelés à participer en semaine à des comparutions téléphoniques avec leurs clients du Nord-du-Québec.
Ces clients sont habituellement des Autochtones placés en détention après leur arrestation et qui attendent de comparaître devant le greffe.
« L’avocat doit rester connecté par voie téléphonique dans l’attente que son client soit placé en ligne, mentionne la décision du juge Louis Riverin. L’avocat doit demeurer branché par voie téléphonique pour une durée d’environ trois heures par jour (...). L’avocat doit demeurer concentré et conserver une écoute rigoureuse, ce qui l’empêcherait de vaquer à d’autres occupations pendant cette tâche ».
La Commission des services juridiques a d’abord accepté de payer les avocats concernés en leur versant un cachet de 106 $. Elle a par la suite révisé sa position, affirmant que les comparutions téléphoniques sont comprises dans « l’ensemble des services (que doivent rendent les avocats de l’aide juridique) jusqu’au prononcé de la peine ».
C’est ce désaccord qui a poussé le cabinet Ménard Avocats à saisir les tribunaux. Le fondateur, Me Yves Ménard, est d’avis que la comparution téléphonique « peut et doit donner lieu à un honoraire spécifique ».
Pas payable, mais…
Après examen, la Cour du Québec établit que la loi sur l’aide juridique penche en faveur de la Commission des services juridiques. Si cette dernière obtient gain de cause, c’est toutefois seulement parce que l’entente de rémunérations qui lie le Barreau au ministère de la Justice ne fait pas mention des comparutions téléphoniques.
« Le Tribunal doit interpréter et appliquer l’entente sans y ajouter une clause qui n’y apparaît pas. Le Tribunal n’a pas à spéculer sur les raisons pour lesquelles une telle clause ne se trouve pas à l’entente alors que celle-ci prévoit d’autres situations qui peuvent paraître semblables ailleurs dans l’entente », explique le jugement.
Ne pas offrir d’honoraire spécifique aux avocats, indépendamment des règles en vigueur, ne demeure pas moins inéquitable aux yeux du tribunal, qui interpelle le Barreau du Québec à la fin de son jugement.
« La situation actuelle est malheureuse et il y a un risque de désengagement des avocats de pratique privée acceptant des mandats d’aide juridique pour des justiciables particulièrement vulnérables. Il revient aux parties à l’entente, et plus particulièrement au Barreau du Québec, de négocier pour ses membres un honoraire particulier pour cette situation afin que les avocats soient rémunérés à la juste valeur du travail effectué », peut-on lire dans le jugement.
Barreau bientôt remplacé
En entrevue, la bâtonnière du Québec, Me Catherine Claveau, explique que des négociations ont déjà en cours pour renouveler l’entente sur les tarifs des honoraires des avocats de l’aide juridique.
Elle ignore cependant si la question des comparutions téléphoniques sera abordée avec le ministère de la Justice. Le Barreau du Québec, qui participe depuis 50 ans à ce type de négociations, devra incessamment céder sa place à une autre instance négociatrice, conformément à un décret adopté par le gouvernement en décembre 2024.
« Jusqu’à tout récemment, le Barreau du Québec était à la table des négociations, mais le projet de loi 78 fait en sorte que nous serons éventuellement remplacés par une autre unité. Les avocats seront représentés par un autre organisme, un organisme fiable et représentatif pour continuer les négociations et les aider à obtenir gain de cause quand on fait des demandes », explique Me Claveau.
Pour préparer la transition, le Barreau du Québec a mis en place un comité transitoire et indépendant, histoire de « prendre (ses) distances » et de laisser les négociations se dérouler de façon indépendante. C’est pour cette raison que Me Claveau ignore où en est l’exercice.